mercredi 2 septembre 2015

4e Carnet - 3 mars 1919

3 mars. – Chez Henry Frick.

Des corbeaux m’ouvrent la porte. Ce sont ses domestiques habillés de noir, du collet aux chaussures. Frick me reçoit dans sa grande galerie où il a suspendu ses toiles les plus solennelles. C’est une salle immense. Elle est tendue de vert. Sur le sol, un tapis d’une seule pièce et doux comme de la mousse. J’ai déjà décrit l’homme à mon dernier voyage mais, depuis, il a grossi et est entré dans un stade plus avancé de la vieillesse ; son visage s’affaisse, son teint rosé s’inégalise, sa barbe blonde formait masse et elle s’éclaircit.

Le même quelques années après

Mais ses yeux froids, prenants et durs, sous son regard bonhomme, restent d’un bleu clair et beau. Je lui parle de mon Watteau l’Accordée du village dont je lui demande cent trente mille dollars.

Une des versions de l'Accordée du village- Source collection Alfred de Rotshild (1842-1918), puis son fils, Edmond, et actuellement dans une collection particulière.

J’ai l’impression que Frick n’a jamais vu un Watteau, quoiqu’il affirme le contraire. Pendant que je lui parle, je jette mes regards tout autour de cette pièce et j’avoue que cette collection qu’il léguera, avec cet hôtel, à la ville de New York sera un cadeau royal !


Le plus beau tableau est le Rembrandt peint par lui-même (1658. Bode 428. Collection : Earl of Illchester). Il est habillé d’une sorte de blouse ou robe d’un jaune richissime. Des mains colossales saisissent les bras de son fauteuil. Potentat humain et savant dont les yeux s’appuient sur le contemplateur et l’écrasent. Un autre Rembrandt magnifique est Le Cavalier polonais (1653). Si son visage n’était pas celui d’un jeune homme, je jurerais que c’est le Juif errant qui passe là, dans ce paysage où se résument toutes les incertitudes, où l’hospitalité à chaque pas s’éloigne, où l’air n’est qu’un doute immense. Son cheval est aussi lamentable qu’héroïque, il courra ainsi pour l’éternité, avec ses membres disjoints et dans son mouvement saccadé qui s’accommode de tous les terrains. Il y a deux Ver Meer ; aucun n’est tout à fait beau, mais c’est aussi qu’ils sont retouchés.

Le soldat et la servante qui rit de Vermeer (2)

Le meilleur est Le Soldat et la Servante qui rit. Le beau mousquetaire, quoiqu’il soit de dos ! Combien ce conquérant de cabaret, avec son chapeau à bords immenses, apparaît formidable à la douce jeune fille ; elle rit, le regarde, elle est sans résistance.

La leçon de musique de Vermeer (3)

L’autre Vermeer La Leçon de musique avec aussi un peu d’amour. Plusieurs Van Dyck et plusieurs beaux Hals dont son portrait (1635), Le Bourgmestre, de la collection Kann, puis La Femme assise dans un fauteuil, de la collection Yerkes, et l’Amiral de Ruyter, mais ce peintre n’a jamais su donner à ses modèles la personnalité de leur état social, sauf parfois dans leurs mains.

Hals, Amiral de Ruyter

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Note de l'auteure du blog

(1) Il reste seulement le "R" de la signature sur la droite, car depuis sa réalisation en 1655 ce tableau retrouvé dans un château en Pologne a été un peu raccourci au cours des âges... Il est visible à New-York car il fait partie de la Collection Flick exposée à côté de Central Park.
Les cavaliers sont très rares dans l'œuvre de Rembrandt, mais ce cheval se retrouve dans un dessin de jeunesse, ce qui facilite l'authentification par les experts.
Ce "Cavalier Polonais", un jeune cavalier sur un vieux cheval (c'est le conseil que l'on donne dans les clubs équestres en complétant: "et un vieux cavalier sur un jeune cheval...") semble engagé dans une sorte "d'obligation irréversible" selon la formule d'un critique.
Il s'agit vraisemblablement d'une représentation du Comte de Saint Germain...

(2) Le sujet principal est la femme, une lumière douce tombe directement sur son visage. Elle ressemble à la femme de Vermeer, Catharina Bolnes, qui a probablement posé pour plusieurs de ses peintures. Les Rayon X ont révélé que Vermeer avait prévu de peindre la femme avec un grand col blanc, mais celui-ci aurait caché une partie de sa robe jaune. En outre, la cape a été plus tard étendue de manière à couvrir l'ensemble de ses cheveux, afin d'attirer l'attention sur l'expression de son visage. Ce corsage jaune avec des tresses apparaît dans de nombreux autres portraits de Vermeer, c'était un vêtement généralement porté tous les jours. La femme porte également un tablier bleu sur sa robe, mais il est caché par les ombres de la table. Les tabliers bleus se portaient fréquemment à cette époque, car ils cachaient bien des taches. Les historiens d'art ont interprété cela comme voulant dire que le soldat a surpris la jeune fille avec une visite impromptue au cours de ses tâches matinales. La femme tient un verre de vin, habituellement utilisé pour le vin blanc. Parce qu'à cette époque, le vin coûtait plus cher que la bière, il illustre sa richesse.
Plusieurs tableaux de Vermeer sont agrémenté d'une carte peinte avec des détails tels qu'il est possible de l'identifier. La carte de la Hollande et de la Frise occidentale est de Willem Blaeu. Aucun exemplaire connu n'a survécu, mais son existence est connue par des archives; la deuxième édition a été publiée en 1621, intitulé "Nova et Accurata Totius Hollandiae Westfriesiaeq. Topographia, Descriptore Balthazaro Florentio a Berke[n]rode Batavo". (Carte nouvelle et précise de la description de l'ensemble de la Hollande et de la Frise de l'ouest. Topographie, Description Balthazaro Florence Berks[n]rode le batave). Vermeer en avait probablement une copie à sa disposition. C'est un autre signe de richesse, les cartes étant très coûteuses.
Les historiens d'art pensent que Vermeer a utilisé une chambre noire pour obtenir les fuyantes dans cette peinture, au lieu d'utiliser une formule mathématique, ce dispositif mécanique lui aurait permis de se rendre compte de la taille relative des personnages. La manière dont il représente les perspectives dans nombre de ses tableaux, penche également dans ce sens. Une chambre noire fonctionne un peu comme une caméra en projetant une image. Toutefois il n'existe aucune preuve historique de cela. 

(3) La plupart des experts pensent qu'il a été peint entre 1662 et 1665, bien que d'autres pensent à 1660.
Dans une pièce éclairée par la lumière du jour, une jeune écolière vue de dos, prend sa leçon de musique en jouant de l'épinette. Un homme debout à côté, probablement son professeur, la regarde et l'écoute attentivement. Sur l'instrument une inscription indique : « La musique est le compagnon de la joie et la guérison de la détresse ». Sur le mur, au-dessus de la femme, un miroir tel un spectateur reflète ce qui se passe.
Au premier plan, une table est recouverte d'un tapis multicolore, sur lequel se tient une carafe blanche sur un plateau.
Sur le mur de droite, on peut deviner une partie d'un tableau, probablement Caritas Romana (de miséricorde romaine), dans le style de Caravage ou de Dirck van Baburen, montrant Péro condamné à mourir de faim mais qui est nourri par le lait de sa propre fille.
Le travail représente une scène d'intérieur, avec peu de personnages, éclairée par la gauche. La perspective est scrupuleusement respectée, comme on le voit sur le miroir, les carreaux du sol et la viole de gambe.
La lumière naturelle pénètre par la fenêtre sur le côté gauche de l'image, en se concentrant sur des surfaces travaillées, faisant rejaillir des paillettes sur le tapis de soie ou réfléchi le pichet de cuivre porcelaine blanche.
Vermeer transmet son grand détail la qualité tactile des différentes surfaces: marbre, soie ou de velours.
La relation étroite entre la musique et l'amour est une question pour Vermeer lorsqu'il a peint cette toile dans les premières années des années 1660, peu de temps après avoir été nommé récepteur de la guilde des peintres de Delft en 1662. Ce travail semble l'éloigner temporairement des intérieurs bourgeois et il va vers une classe sociale plus élevée, comme le montre la présence du miroir ou le tapis oriental sophistiqué recouvrant la table au premier plan.
L'application de couleur avec «pointillisme» donne une lumière étincelante sur la surface picturale, dans un style qui a attiré influencé des impressionnistes comme Renoir et Van Gogh.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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