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jeudi 12 mars 2015

2ème Carnet - 1er JUIN 1918

Source ici

1er juin. Journal de bord.


8 heures du matin. Dans l’air, des saucisses et des hydroplanes. 9 heures. Nous partons. Un contre-torpilleur construit pendant la guerre nous convoie.


Il tourne autour de nous comme un chien de berger. Dans ma cabine, le garçon m’apporte la feuille que l’émigration américaine force tout passager à remplir. Elle n’a pas changé depuis la guerre. À chaque traversée depuis quinze ans je réponds à ces vingt-neuf questions. En dehors de celles qui concernent l’identité la plus détaillée, cinq sont particulièrement à retenir. N° 19 : le passager a-t-il jamais été en prison ou dans un hospice ou a-t-il été nourri par la charité ? – N° 20 : le passager est-il polygame ? – N° 21 : le passager est-il anarchiste ? – N° 23 : Quel est l’état mental ou physique du passager ? – N° 24 : Est-il difforme ou estropié ? Si oui, indiquer par suite de quelle cause. 
Vers midi, le convoyeur, après quelques signaux optiques, nous quitte tandis que militaires français, anglais et américains se promènent sur le pont avant le déjeuner. 2 h 10. Venant de l’ouest, deux transports chargés de troupes américaines et précédés d’un navire de guerre anglais. Je demande pourquoi le ventre de nos canots de sauvetage est corseté de filets. En cas de torpillage pour s’y accrocher. Nous marchons jusqu’à ce soir en zigzag pour dérouter le tir du problématique sous-marin. À la nuit, on ferme avec des plaques de fer hublots et fenêtres. Dans les couloirs, des lumières bleues. Devant les portes d’accès aux ponts, des rideaux de toile à voile.


Je passe ma soirée à l’avant du navire, par terre, adossé à l’un de ces énormes champignons d’acier qu’on nomme cabestans, percés de meurtrières, qui servent à enrouler les cordages. Le mien me protège contre le vent. Delannay me dit que sur les anciens navires ils étaient cinq fois plus larges ; que les hommes manœuvraient en passant des barres de fer à travers ce que j’appelle des meurtrières. La chaîne de l’ancre cassait fréquemment. Alors, à une vitesse folle, le cabestan partait en sens inverse et vingt hommes étaient fauchés par les barres.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 10 mars 2015

2ème Carnet - 30 mai 1918

30 mai 1918 - En route pour New York.


7 heures du matin. Arrivée à Bordeaux, j’embrasse et quitte ma femme qui pleure. Mon cœur se serre. Nous passons sur les quais où « la Lorraine » surgit à nos yeux, toute camouflée*. C’est un décor de théâtre vu à cinquante centimètres ou plutôt c’est un tableau cubiste démesuré, avec de grandes nappes de bleu d’outremer, de noir, de vert, quelquefois parallèles mais dont le plus souvent les angles sans pitié s’enfoncent les uns dans les autres, et quoique nous ne comprenions pas, nous devinons un raisonnement, un plan, une ligne de conduite, une étude.

La Lorraine en temps normal, dans les années 1900

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Notes de l'auteure du blog

* Durant la Première Guerre Mondiale la guerre sous-marine fait rage contre les navires de commerce. Les sous-marins autrichiens et allemands poursuivaient en effet avec acharnement les bâtiments chargés de troupes. Cette nouvelle menace, renforcée par les mines flottantes et les bombardements par avion, fut responsable de nombreux naufrages. La guerre sous-marine étant une nouveauté, les marins manquaient cruellement d’expérience défensive. Toutefois, peu à peu, des instructions se mettent en place pour l’organisation du service de surveillance (postes d’observation, le choix des personnes), pour l’organisation d’exercices du service d’abandon (numérotation des places dans les barques, localisation de celles-ci) et pour le fonctionnement du service en zone dangereuse (précautions à prendre). En 1917, l’offensive sous-marine allemande reprend avec une grande intensité, l’Axe recherchant une décision. C’est à cette époque que se renforcèrent les recherches sur le camouflage des navires. 
Les ruses et les techniques de camouflage 
Au début, la coque était peinte d’une couche sombre uniforme (grise ou noire) qui devait se fondre à l’horizon. Toutefois, à la mi-1917, les pertes de navires alliés sont élevées, signifiant l’inefficacité de cette mesure. La mise au point d’un camouflage efficace s’adaptant au constant changement de l’environnement, de la lumière et du temps est donc indispensable. 
A cette époque, un français, Pierre Gatier (peintre et graveur originaire de Toulon), est convié par un de ses amis à une promenade en mer à bord du sous-marin Le Nivôse. A travers le périscope, il est très difficile de fixer du regard les navires en perpétuel mouvement. Les vagues, les couleurs de l’eau agitée ou calme, le soleil, les orientations des navires, le ciel et les variations des nuages modifient constamment le paysage marin. 
On commence alors à peindre les superstructures des navires de façon à ce qu’elles se confondent avec la brume et l’eau. Les Anglais avaient déjà créé une section de camouflage à la Royal Academy de Londres. Ils avaient conçu une méthode de déstructuration visuelle destinée à tromper les observations ennemies. Pierre Gatier va les perfectionner : son but est de tromper l’ennemi sur le cap, les dimensions et les distances des navires. Grâce à certains contrastes, il pu parvenir à renverser le jeu naturel des ombres, tel que l’on peut l’observer sur la coque de La Lorraine camouflé ou encore sur la représentation de Lieutenant de Missiessy des Messageries Maritimes. En 1918, il rejoint le siège parisien du service de camouflage de la marine.


La technique est simple, un petit modèle de navire était placé sur une plaque tournante à l’extrémité d’une longue table figurant le niveau de la mer. A l’autre extrémité de la table, un périscope permettait de se placer dans les conditions d’observation d’un sous marin inspectant la mer. Les motifs de camouflage sont appliqués des deux côtés du navire, mais différemment, avec des motifs irréguliers sur toute la longueur pour en casser la forme. 
Les couleurs utilisées sont de préférence le vert, le bleu et le gris, que l’œil a du mal à distinguer et à différencier du ciel et de la mer. Bien qu’elles puissent évoquer le cubisme, les formes utilisées pour le camouflage répondent à un impératif d’efficacité et non à une volonté artistique. Une nouvelle forme d’art et une nouvelle école de recherche scientifique naît, dont le but est de créer une illusion d’optique de façon à rendre le navire invisible. 
Les ruses : 
les navires ennemis pouvaient aborder des marquages identiques à ceux des navires marchands alliés ou neutres pour être confondus et ainsi gagner du temps et prendre l’avantage des hostilités. De même, l’altération de la silhouette du navire par l’ajout ou le retrait d’une cheminée, ou le fait de rendre la poupe identique à la proue afin que l’ennemi ignore la direction du navire permettaient de tromper la vigilance dans les deux camps. Il était également possible de faire croire à un navire très défendu par la mise en place d’armements en bois ou carton, ou bien par la représentation d’une silhouette de navire escorte de protection sur le flanc du paquebot. Cela pouvait effrayer l’ennemi et le décourager.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963