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jeudi 16 juillet 2015

4ème Carnet - 16 décembre 1918

16 décembre. – Après la deuxième vente Degas.


Elle a atteint près de deux millions. Ce matin, je vais chez Durand-Ruel et je compte plus de cent vingt dessins et pastels, là, contre ses murs. Le syndicat a beaucoup racheté. Durand-Ruel me montre dans son bureau deux pastels, dont un est une femme vraiment décapitée par son cadre (n° 29 : Après le bain) et il me dit : « je l’estimais trois ou quatre mille francs et il a fait seize mille. Quant à l’autre pastel (n° 189 : Intérieur) étude pour un plus grand tableau, il fut mis sur table à quinze cents francs et il a été adjugé plus de quinze mille. Ce sont deux œuvres bien insignifiantes. »


Voici Vollard. L’ombre de ses sourcils fait la nuit sur ses yeux. Il parle beaucoup de ce qu’il écrit. Il a un fort accent auvergnat, cet homme des Iles ! La conversation reprend sur Degas, et Durand-Ruel dit : « Cet homme n’avait qu’un seul plaisir, se fâcher. Il fallait toujours être de son avis et toujours lui céder. » « C’est exact, reprend Vollard ; tenez, voilà tout l’homme : il devait déménager, il en était furieux. Je vais chez lui, gentiment, pour l’aider. Comme j’arrivais, il plaçait ses pastels à plat en pile sur le parquet. « Faites attention, lui dis-je, vous allez les « abîmer. Il faut mettre sur chaque toile du papier glacé et le fixer par-derrière avec « des punaises. » Comme réponse, Degas se met à flanquer de grands coups de pied dans les châssis, et, les repoussant et les poursuivant ainsi, il les redresse contre le mur dans un nuage effroyable de pastel et de poussière. »


« Quand il vendait, fait Durand-Ruel, comme il était dur, il aimait à vous étrangler ! » Vollard reprend : « Le lendemain d’un jour où je lui avais fait un gros achat, il m’a dit, en choisissant une toile : « J’ai du remords de vous avoir par trop écorché, je vais vous donner ce pastel. » Dans un éclair, deux façons se présentent à moi d’accepter, certain qu’une seule sera la bonne. Ou un « entendu » indifférent, ou la bruyante et joyeuse exclamation que je lui sers : « Ah ! comme vous êtes bon, monsieur Degas. » C’était la mauvaise. « Non, fait Degas, timide en reposant sa toile, décidément non, je n’en suis pas satisfait. »

Durand-Ruel, devant Vollard, répète ce qu’il me disait l’autre jour : « Quand il venait dans mes galeries, je le surveillais pour qu’il ne remporte pas une de ses toiles. » Vollard, qui n’est jamais à court d’anecdotes, nous conte celle-ci : « Degas voit chez moi un grand Forain et m’en demande le prix. Je lui dis : deux mille cinq cents francs, et il me propose un échange avec un de ses dessins rehaussé de pastel, je vais donc chez lui le lendemain et il me laisse emporter une femme nue d’environ trente centimètres de haut, mais l’après-midi je le vois paraître chez moi et il fait : « Non, décidément, ce dessin ne me plaît pas, je vais l’améliorer. » Je le laisse faire, heureux à l’idée d’avoir un dessin plus complet. Quelque temps après je le lui redemande. Il avait l’habitude de recalquer les dessins qu’il étudiait, mais sans suivre la ligne, et toujours en les agrandissant. Il me montre ma femme nue, elle avait gagné dix centimètres. « Mais je n’en suis pas satisfait. » remarque-t-il. A la neuvième étude – cela durait depuis des années – ma femme nue avait fort grandi, elle avait atteint près d’un mètre. Degas, devant une réclamation très ferme, me répond : « Vollard, il faut attendre, parce que mon modèle est enceinte. » Un an après, il m’annonce que son modèle a perdu sa taille et qu’il ne pourra jamais terminer cette étude. Heureusement, ajoute Vollard, je ne lui avais jamais livré mon Forain. »


Pour finir, c’est l’histoire d’une somme d’argent que Vollard devait à Degas. Il prend rendez-vous avec l’artiste pour aller avec lui verser la somme dans la banque où il avait son compte, mais Vollard en est empêché et fait alors opérer un virement puis adresse au peintre une lettre recommandée pour l’aviser que l’argent est déjà à la banque. Degas, éperdu, se précipite chez Vollard et hurle : « Comment voulez-vous que je touche dans une banque de l’argent que je n’ai pas versé ? » Et Vollard ajoute : « C’était le fils d’un banquier. »

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 4 février 2015

1er Carnet - 30 mars

30 mars. – Vente Degas. 

Catalogue de la vente Degas les 26 et 27 mars 1918

Elle a eu lieu mardi et mercredi derniers. Elle a produit un million neuf cent soixante-six mille deux cents francs. Pendant ces deux jours-là, les Allemands marchaient encore sur Paris que le canon à longue portée bombardait, et la ville n’était pas encore remise de l’émotion causée par l’explosion de la semaine précédente à La Courneuve qui avait fait quinze cents morts. 

Explosion à la Courneuve*

Durand-Ruel a payé deux cent cinquante-huit mille cinq cents francs (258 000 frs) les deux Ingres : Monsieur et Madame Leblanc**, les plus beaux de la vente, n’en déplaise à Miss Cassatt. Monsieur de Pastoret***, qu’elle préférait, a atteint quatre-vingt-dix-neuf mille francs (90 000 frs) et Monsieur de Norvins**** a été adjugé soixante-dix-sept mille francs (77 000 frs)  à Knœdler, le marchand américain, qui a aussi acheté le Delacroix en pied Monsieur de Schwiter***** pour quatre-vingt-huit mille francs (98 000 frs). C’est un tableau un peu triste qui manque de cette fougue qui fit ce maître si grand, fougue que l’on trouve plutôt dans ses compositions. Le Louvre a manqué ce tableau, sa place était cependant dans notre musée national, c’est regrettable (1) . Nous tâcherons de retrouver ces tableaux. Je ne serais pas surpris que Monsieur et Madame Leblanc aient été achetés par Mme H.O. Havemeyer, de New York.

Madame et Monsieur Leblanc, de Ingres
en effet aujourd'hui aux Etats Unis, au Metropolitan museum de New York

Le Comte Amédée-David de Pastoret par Ingres - 1826 - Art Institute of Chicago

Monsieur de Norvins par Ingres - 1812 - National Gallery de Londres

Le Baron de Schwiter par Delacroix - 1827 - National Gallery de Londres


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Note de l'éditeur du journal d'un collectionneur
(1) 
Il a été acheté depuis par la National Gallery.
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Notes de l'auteure du blog
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Le 15 mars 1918 le hangar à munitions situé à La Courneuve explose. Probablement situé au carrefour des rues de la Prévôté, Barthélémy-Mazaud, Maurice-Berteaux et Georges-Politzer, il contenait quinze millions de grenades alors qu’il était prévu pour en contenir seulement 200.000.
L’explosion fait des dizaines de morts et des dégâts matériels considérables comme le montrent les constructions de briques éventrées sur la carte postale. L’onde de choc provoque l’effondrement de nombreuses maisons, bâtiments et entreprises.
L’accident serait dû à la manipulation malencontreuse d’une caisse de munitions par trois soldats. Ceux-ci sont évidemment au nombre des victimes comme au moins une trentaine d’habitants officiellement.

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Ces portrait des Leblanc ont été peints en 1823, peu de temps après Ingres ait rencontré le couple à Florence. Mme Leblanc avait été dame d'honneur de la grande-duchesse de Toscane, Élisa Bacchiochi, sœur de Napoléon. M. Leblanc était son secrétaire. Ingres a décrit comme "un Français, très riche et aussi très bon et généreux, qui nous a adopté, au point de nous accabler de bienfaits et aussi avec les demandes de peintures portraits, etc." Edgar Degas, qui a vu ces portraits en 1854, a décrit son acquisition en 1896 comme "l'événement de ma vie en tant que collectionneur." Le Metropolitan les avait achetés à la vente de biens Degas en 1918.
Source le Metropolitan museum de New York

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Le Comte Amédée-David de Pastoret est un tableau peint en 1826 par Jean-Auguste-Dominique Ingres, qui représente le conseiller d'état et membre de l'Académie des Beaux-arts, proche relation du peintre, et commanditaire de plusieurs de ses œuvres.
Le tableau Appartint aux collections du modèle jusqu'à sa mort où le portrait passe par héritage en possession de son épouse, puis à la mort de celle-ci, de sa fille. À la vente après déces de Marie de Pastoret le 10 et 11 mai 1897, le tableau est acheté par la galerie Durand-Ruel, et acquis par le peintre Edgar Degas pour 8 745 francs. Après sa mort, il est acquis en 1918 par le banquier David David-Weill pour 90 000 francs. Celui-ci le vend à la galerie Wildenstein qui le vend en 1971 à The Art Institute de Chicago
Source Wikipedia

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Jacques Marquet de Montbreton, baron de Norvins (Paris, 18 juin 1769 - Paris, 30 juillet 1854) est un homme politique et écrivain français. Conseiller au Châtelet de Paris à l'âge de 20 ans, il voit sa carrière dans la magistrature interrompue par la Révolution française qui le pousse à émigrer avec ses parents. Après le coup d'État du 18 fructidor an V (1797), il rentre en France, est arrêté et traduit devant un conseil de guerre. Il obtient un sursis grâce à l'intervention de Madame de Staël (son oncle avait été l'un des proches collaborateurs de Necker) et recouvre la liberté après le 18 brumaire. Il embrasse alors totalement la cause de Napoléon Bonaparte.
D'abord secrétaire du préfet de la Seine, il entre comme secrétaire au service du général Leclerc qu'il accompagne à Saint-Domingue. Il fait ensuite la campagne de Prusse, devient secrétaire général du ministère de la Guerre du royaume de Westphalie, puis chambellan de la Reine Catherine et enfin chargé d'affaires auprès du Grand-duché de Bade.
Son Histoire de Napoléon paraît en 1827 et remporte un grand succès, inaugurant une série de publications qui vont lancer la légende napoléonienne en présentant Napoléon comme un héros révolutionnaire. Sous la monarchie de Juillet, il devient préfet de la Dordogne puis préfet de la Loire.
Source Wikipedia

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Schwiter est un dandy: un exquis, mince et grand jusqu'à la caricature. Il porte un gant de cuir et tient délicatement de l'autre un chapeau avec un intérieur en soie. Le visage est orgueilleux mais ses cheveux balayés par le vent lui donne un air romantique. Delacroix s'est inspiré du portrait de David Lyon par Lawrence. On dit que le fond de paysage a été peint par son ami, Paul Huet.
C'est dans les années 1820 que Delacroix, de sept ans son aîné, croise pour la première fois, chez son ami Jean-Baptiste Pierret, Louis-Auguste Schwiter (1805-1889). Ils furent des amis très proches et tous les deux, de grands admirateurs du portraitiste anglais Lawrence.
Sources Wikipedia et The Guardian

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963