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dimanche 8 mars 2015

1er Carnet - 27 mai 1918

27 mai. – Même cynisme. 

Les Forges de Vulcain de Boucher

Avec Chanas, en auto, en route pour Montgeron et le château des Pélissier. 
— Alors, monsieur Gimpel, vous avez bien compris, vous êtes un Américain vous venez acheter les trois tapisseries de Boucher, des merveilles dont Les Forges de Vulcain qui a près de six mètres de long ; elle est entière avec la vue des forges ; puis Mars et Vénus, malheureusement en deux morceaux, coupée à gauche, et Le Triomphe d’Amphitrite, également coupée. Les bordures ont été enlevées mais conservées. 
Nous arrivons au château et je trouve ridicule ce rôle que Chanas veut me faire jouer.
La comtesse de Pélissier vient d’avoir ses deux fils tués à la guerre*. «Jeunes gens que je n’ai pas connus, si vous saviez comme votre mère a pu vous adorer !» «Dieu, fait-elle, n’a pas voulu leur conserver la vie! » Nous repartons une heure après et Chanas me dit : « Trois millions, ils sont fous, mais quelles belles tapisseries ! Sans la mort de leurs fils qui les a plongés dans l’anéantissement, ils n’auraient jamais songé à vendre. » Et Chanas ajoute : « Ce qui fait le malheur des uns fait le bonheur des autres. » 
La grosse Bertha**. 
Elle dépasse sa ligne de tir. Un obus est tombé rue de Berri à côté des serres du marquis de Casa Riera, à quelques centaines de mètres de notre maison d’affaires où loge mon associé. Sa femme, terrifiée, vient de s’écrier : « Ce n’est plus de jeu ! » 

Ricochet
L’obus est tombé à moins de cent mètres de la demeure des Chaponay. Il y a des années que je travaille cette affaire, et combien d’offres ai-je faites en vain ! Cinq minutes après l’explosion, le marquis me téléphonait qu’il acceptait ma dernière proposition et j’acquiesçai.

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Note de l'auteure du blog

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Comte Herman de PÉLISSIER - Chevalier de la légion d'Honneur, croix de guerre avec palme - Fils de Carloman Paul Henri et de Marie Urbaine Claire Amélie LANGLOIS de CHEVRY, frère de Marie Joseph Urbain Léon Maurice mort pour la France le 28/10/1917 - Saint-Cyrien promotion de Montmirail (1912-1914) - citation au tableau d'honneur spécial de la Légion d'Honneur : "Jeune saint-cyrien, a fait preuve d'un entrain et d'une intrépidité remarquables jusqu'au 1er octobre 1914, jour où il est tombé glorieusement en maintenant sous un feu très meurtrier sa section dans la position qui lui avait été assignée"
Comte - Prénom usuel : Maurice - Chevalier de la Légion d'Honneur, Croix de guerre avec 2 étoiles - Fils de Carloman Paul Henri et de Marie Urbaine Claire Amélie LANGLOIS de CHEVRY - Saint-Cyrien promo 1908 - Ingénieur des Arts et Manufactures (Centrale Paris) promotion 1913 - Frère de Marie Joseph Urbain Eugène Herman+le 01/10/1914 à Servon (51) - Acte de décès transmis à la mairie de Chevry-en-Sereine (77)
Source memorial genweb

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La grosse Bertha, ou « dicke Bertha » en allemand, est le surnom d’un canon allemand de gros calibre utilisé par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. Conçu et fabriqué à Essen, dans les usines de Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, ses projectiles sont capables de transpercer un mur en béton armé de 3 mètres d’épaisseur à une distance d’une dizaine de kilomètres. La grosse Bertha se fait connaître par les énormes dégâts qu’elle provoque lors des sièges de Liège, Namur, Maubeuge, Anvers ou encore Verdun. Longtemps, les Allemands crurent que la grosse Bertha, avec ses 70 tonnes et ses obus de 800 kg, serait l’arme miracle qui leur permettrait de remporter la guerre, ce qui ne fut pas le cas.
 Mais au fait, d’où vient ce surnom de « grosse Bertha » ? Apparemment, la tradition au sein des usines Krupp voulait que l’on donne un petit nom aux canons du groupe industriel, et de préférence des prénoms de la famille Krupp. Et comment s’appelait l’épouse du patron, héritière de l’entreprise ? Bertha Krupp von Bohlen und Halbach. Une femme à la carrure imposante, paraît-il…
Source defense.gouv

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 6 mars 2015

1er Carnet - 24 mai 1918

24 mai. – Sur le dôme des Invalides. 

Hippolyte Destailleur 1822-1893, le père de Walter-André dont parle Gimpel. Vu ce que le grand-père et le petit fils (voir ci-dessous en note) se ressemblent, on imagine volontiers la tête de Walter-André

L’architecte Destailleur*, qui a du talent malgré son physique ciré de demi-hidalgo, me raconte qu’il possède les comptes originaux du Dôme. Ils sont signés Hardouin-Mansart et datés de Meudon, 1690. Hardouin-Mansart et Girardon se plaignent des entrepreneurs parce qu’ils réduisent les proportions des pierres par mesure d’économie et que la beauté de l’édifice en est altérée et ils demandent des crédits pour, au contraire, augmenter le volume de ces pierres. Ils assurent que sur les plans il était impossible de se rendre compte qu’un tel relief était nécessaire.


Le directeur des Bâtiments royaux approuve leur requête, qu’il motive, et le roi accorde les nouveaux crédits. 

25 mai. – Chez Mlle Brisson, relieuse, 68, rue du Cardinal-Lemoine. 

Portrait de Laurent Tailhade par Félix Valloton
Source Wikipedia 

Une cour, et dans une ancienne remise, son atelier. Je feuillette un livre de Laurent Tailhade**. «Il appartient, me dit-elle, à un de mes amis, un poète, ils sont venus ensemble me voir ici. Depuis, Tailhade m’a envoyé un mot très aimable pour m’inviter à aller chez lui, mais son ami m’a dit : «Abstenez-vous, il vous recevra tout nu.» Mlle Brisson, fille d’un horticulteur, est une gamine de Paris, avec de l’art plein les doigts. Comment vit-elle ? Elle a été réduite à faire des munitions pendant la guerre ! Elle n’est pas commerçante parce qu’elle aime trop le livre. Elle pense que c’est son devoir de le lire pour savoir le relier et perd ainsi deux jours par volume, puis trois jours pour trouver le cuir et la soie ou le papier de garde. Puis, quand elle a exécuté la reliure, elle demande huit francs. Les clients lui donnent sept francs cinquante. Elle ira mourir à l’hôpital. C’est une gamine de Paris avec de l’art plein les doigts (1) . 

Panneau de Boucher de la collection Wallace

Un Boucher. 
Panneau décoratif très esquissé, genre Frago. Il a peut-être un mètre soixante de haut et pas plus de cinquante centimètres de large. De la même série que ceux de Wallace. Acheté cinquante mille francs à l’antiquaire Demotte. En 1770, il avait atteint cent trente livres dix-neuf sols à la vente Beaudouin sous le numéro 10 (2)  .

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Notes du livre

(1)
Elle a épousé un avocat australien et vit à Melbourne, heureuse, dans le confort, mais regrettant toujours Paris, même avec ses heures de misère. (Note de 1939.)
(2)
Depuis dans la collection Gulbenkian. (Note de 1927.)
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Notes de l'auteure du blog

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Walter-André Destailleur Walter-André Destailleur (puis d'Estailleur) est un architecte français né en 1867 et mort en 1940. Fils de l'architecte Hippolyte Destailleur, il étudie aux Beaux-Arts de Paris sous la direction d'Honoré Daumet et de Charles Girault. 
À la mort de son père, en 1893, il achève la plupart de ses chantiers, y gagnant ses galons d'architecte avec ténacité et courage. C'est à cette époque qu'il fait modifier l'orthographe de son patronyme en d'Estailleur, reprenant l'orthographe pré-révolutionnaire. 
Après la Première Guerre mondiale, d'Estailleur restaure l’hôtel de Crillon (1907), place de la Concorde, qu'il transforme en palace et dont il refait intégralement le décor intérieur. Toujours vers 1907, il construit à Biarritz la villa Bégonia également appelée Villa Lady Roussel, du nom de sa commanditaire, Marguerite Chaslon-Roussel, mère de l'écrivain Raymond Roussel. Dans les années 1910, il construit un hôtel à Alexandrie et donne les plans d'un nouveau quartier au Caire. 
Juste avant la Première Guerre mondiale, il construit avenue Foch, dans le style Louis XVI, l'hôtel de l'industriel Louis Renault. En 1921, il est chargé de restaurer et de transformer l'hôtel de Wagram, avenue George-V, afin d'y installer l'ambassade d'Espagne. Walter-André d'Estailleur peut être considéré comme l'un des derniers représentants de l'historicisme en Europe (mouvement instauré par son grand-père). De son mariage avec Marie Tuault de La Bouvrie, petite fille du député Joseph Golven Tuault de La Bouvrie, naîtra un fils, l'homme de lettres et aviateur Philippe d'Estailleur-Chanteraine.

Philippe d'Estailleur-Chanteraine en 1932

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Laurent Tailhade, né à Tarbes le 16 avril 1854 et mort à Combs-la-Ville le 2 novembre 1919, est un polémiste, poète, conférencier et pamphlétaire libertaire français.
Le poète satirique et libertaire Laurent Tailhade est issu d'une vieille famille de magistrats et d'officiers ministériels, lesquels, pour l'empêcher de s'adonner à la vie de bohème littéraire l'obligèrent à faire un mariage bourgeois et à se confiner dans l'ennui doré de la vie de province. «Libéré» à la mort de sa femme, Tailhade put gagner la capitale et dilapider en quelques années tout son bien, en s'adonnant à la vie qu'il désirait mener depuis toujours. Devenu l'ami de Verlaine, Albert Samain et Aristide Bruant, Tailhade, tout en écrivant des vers influencés par les Parnassiens, développait sa fibre anarchiste et anticléricale dans des poèmes et des textes polémiques et d'une vigueur injurieuse peu commune.


Son nom devint populaire à partir de décembre 1893, lorsqu'il proclama son admiration pour l'attentat anarchiste d'Auguste Vaillant avec une phrase fameuse, « Qu'importe de vagues humanités pourvu que le geste soit beau ! » Par une étrange ironie du sort, Tailhade fut lui-même victime quelques mois plus tard, d'un attentat anarchiste, d'où il ressortit avec un œil crevé.
C'était un habitué des duels (plus de 30 à son actif), et il avait été blessé plusieurs fois par ses adversaires, notamment par Maurice Barrès. En 1902, lors des obsèques d'Émile Zola, il en prononce le panégyrique (lui-même, comme Zola, était dreyfusard) ; il est reconnaissant que ce dernier soit venu le défendre, au nom de la défense de la liberté de la presse, à la barre du tribunal l'année précédente lorsqu'il était poursuivi pour avoir écrit dans Le Libertaire un article incendiaire constituant un véritable appel au meurtre à l'encontre du tsar Nicolas II qui fait en 1901 sa seconde visite en France. Il est pour cela condamné à un an de prison ferme et séjourne environ six mois à la prison de la Santé entre octobre 1901 et février 19024.


Laurent Tailhade prend l'habitude de passer la saison estivale à Camaret: d'opinion libertaire, de mœurs libres (il y fait scandale en partageant sa chambre à l'Hôtel de France à la fois avec sa femme et un ami peintre), il était volontiers provocateur. Le scandale du 15 août 1903 est resté longtemps célèbre à Camaret : le 15 août est traditionnellement le jour de la Fête de la bénédiction de la mer et des bateaux : après la messe, la procession part de la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour, suit le « Sillon » et longe les quais du port avant de faire demi-tour et, de retour à la chapelle, est suivi des vêpres ; des couronnes de fleurs sont jetées à la mer et les bateaux sont bénis par le curé de la paroisse tout au long du parcours de la procession. Lorsque celle-ci se trouve à hauteur de l'Hôtel de France, Laurent Tailhade, dans un geste de provocation, verse le contenu d'un vase de nuit par la fenêtre de sa chambre, située au premier étage. Le 28 août 1903, 1800 camarétois font le siège de l'Hôtel de France, menaçant d'enfoncer la porte d'entrée, criant «À mort Tailhade ! À mort l'anarchie ! », et menacent de jeter Tailhade dans la vase du port. Il doit quitter Camaret sous escorte policière. Il se réfugie à Morgat et se venge, notamment en publiant dans L'Assiette au beurre du 3 octobre 1903 un pamphlet intitulé « Le peuple noir » où il critique violemment les Bretons et leurs prêtres. Un procès lui est par ailleurs intenté par le recteur (curé) de Camaret devant la cour d'assises de Quimper. La chanson paillarde Les Filles de Camaret a d'ailleurs probablement aussi été écrite anonymement par Laurent Tailhade pour se venger des Camarétois. Le nom tailhade est devenu pendant une bonne partie du XXe siècle dans le parler local un nom commun synonyme de « personnage grossier, mal élevé », même si ce mot est désormais tombé en désuétude.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963