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vendredi 12 juin 2015

3ème Carnet - 23-25 octobre 1918

23 octobre. – Sur Toulouse-Lautrec.


« Il fut très mal vu de sa famille, me dit Georges Bernheim, jusqu’au jour où il devint célèbre. Alors, Séré de Rivières, son parent, un très auguste président au tribunal de la Seine, lui demanda de peindre sa fille ; Toulouse-Lautrec, ironiste, lui donna deux nus, des femmes de b… l, et les lui fit mettre de chaque côté du portrait. 
J’ai acheté une des toiles. » « Le portrait ? » dis-je. « Ah ! mais non, clame Bernheim, j’ai acheté une des femmes de b… l. »

25 octobre. – Collection Arthur Veil-Picard.

Arthur Veil-Picard (le plus grand des deux, forcément !!) avec son entraîneur Georges Batchelor

Son hôtel qu’il a payé un million huit cent mille francs est un bâtiment rectangulaire, 63, rue de Courcelles, entre cour et jardin. Le terrain s’étend jusqu’au faubourg Saint-Honoré. A gauche, le pavillon de la concierge dont la petite porte est toujours ouverte, à droite, les écuries. Au fond, quelques marches, un perron et l’hôtel, mais depuis quatre ans c’est un hôpital bénévole. Il me faut chercher l’entrée de service que je trouve à droite ; je descends quelques marches dans l’obscurité et je débouche dans la cuisine. Une bonne me montre l’escalier des domestiques et je monte deux étages. C’est le chemin que, depuis la guerre, Veil-Picard est obligé de suivre chaque jour pour gagner ses appartements qui regardent sur les jardins. A côté de sa chambre, il a installé une pièce qui lui sert d’antichambre, de bureau, de salon et de cabinet d’amateur.

Portrait de Marie Solare de La Boissière, comtesse de Sesmaisons par Maurice Quentin de La Tour

— René Gimpel, me dit-il, je n’ai plus de collection, elle est à Pontarlier. Regardez le La Tour que je viens d’acheter au comte de Clermont-Tonnerre. Voyez si c’est beau. C’est le portrait de Marie Solare de La Boissière, comtesse de Sesmaisons.
— Elle a un masque à la Voltaire, elle lui ressemble, c’est beau comme un Houdon.

Marie-Gabrielle-Louise de La Fontaine Solare de La Boissière, marquise de Sesmaisons Gilles-Edmé Petit (graveur) ; d'après Maurice-Quentin de La Tour (peintre) *

— Regardez le bleu velouté de sa robe, le manchon dans lequel ses mains se réfugient et cette fourrure de tigre ! Petit l’a gravé et Clermont-Tonnerre en a le dessin.
— Vous devriez le lui demander.
— Il me le donnera car nous sommes des copains.
Il poursuit :

Le portrait de Gabriel Bernard des Rieux  par La Tour est aujourd'hui au musée Paul Getty

— Je ne voulais pas de votre pastel, Le Président de Rieux, il est trop grand pour moi ; j’ai payé celui-ci cent cinquante mille francs et j’ai donné cinquante mille francs pour ses deux Pigalle qui sont sur la commode : l’Enfant à l’oiseau et l’Enfant au nid. Tous deux signés : Pigalle, sculpteur du Roy, 1768.


Ces marbres sont de qualité médiocre. Je vois à côté du tableau de Clermont-Tonnerre deux beaux La Tour de même dimension, Le Graveur Schmidt ...

Maurice Quentin de la Tour - Portrait de femme, en costume de bal, tenant un masque (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

et le portrait d’une femme tenant un masque de sa main gauche, exposé aux Cent Pastels, et de l’ancienne vente Laperlier. Le Graveur Schmidt avait passé aux ventes San Donato et Laperlier et dans cette dernière il avait dû être adjugé dans les quatre mille francs.
Du second, Veil-Picard me dit qu’il l’a acheté sept mille francs, il n’y a pas dix ans. Je lui en offre soixante-dix mille. Il me raconte : « Après la vente Laperlier, ce pastel, Le Graveur Schmidt, est parti en Allemagne et un beau jour on me l’apporte pour trente-cinq mille francs, je le voulais. J’en offre trente mille, mais votre père l’achetait entre temps, le vendait le jour même quarante-cinq mille à son client Ernest Crosnier et, à sa vente, je l’achetai quatre-vingt-dix mille francs.

John Russell - Portrait de Mrs. Currie (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

Regardez aussi ce pastel par Russell qui fut également exposé aux Cent Pastels en 1907, il a son histoire. C’est un portrait assez fade de jeune femme. A la vente Leroi-Gauchez je pousse jusqu’à soixante mille francs, puis je me lève en disant à mon voisin, un marchand, de mettre encore mille francs. Quelques minutes après, j’avais gagné le fond de la salle, où l’on m’apprend que le pastel a été adjugé quatre-vingt mille francs. Je demande quel est l’imbécile qui l’a acheté et on me répond que c’est moi ! L’animal de marchand avait mal compris mon ordre.

Maurice Quentin de la Tour - Portrait de Watelet, de l'Académie française, 62x52 cent. (Collection de M. Arthur Veil-Picard)

Par contre, je n’ai payé que quarante mille francs cet autre La Tour, portrait de Watelet, à Arnault, de l’Ariège. Regardez encore ce Lami intitulé Le Dernier Galant. Il provient de chez Scott, l’héritier de Wallace. Jacques Seligmann l’a vendu quatre mille francs. »

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Note de l'auteure du blog

* Cette estampe fait partie de la série de grands albums reliés contenant des portraits gravés et provenant du cabinet de gravures constitué par Louis-Philippe, duc d'Orléans puis roi des Français. La constitution des albums s'est étendue pendant plus de vingt-cinq ans et était conservée au Palais-Royal. Sur les 114 volumes dont on garde la trace, 75 sont aujourd'hui conservés à Versailles dont 65 seulement contiennent des gravures - près de 16 500. Les albums furent ensuite conservés au manoir d'Anjou, près de Bruxelles, dans la collection d'Henri d'Orléans comte de Paris, puis, lorsqu'en 1948 le prince et sa famille quittèrent la Belgique pour se fixer au Portugal, les volumes furent mis en vente publique à Bruxelles. A la demande de Charles Mauricheau-Beaupré, le comte de Paris accepta de retirer les volumes et les vendit au château de Versailles pour 1 200 000 Francs. Cf. Delalex Hélène, " La collection de portraits gravés de Louis-Philippe au château de Versailles ", Revue des Musées de France - Revue du Louvre, 2009.
Source Archives de Versailles

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 2 mars 2015

1er Carnet - du 18 au 22 mai 1918

18 mai. – De l’art et de l’amour. 

Georges Bernheim me dit : « Dans un instant, à 6 heures, je vais au b… l de la rue Favart voir seize Toulouse-Lautrec dont on demande cent mille francs. On en aurait refusé cent vingt mille avant la guerre. 
— C’est possible, répond Alforsen, un artiste suédois, car les affaires marchent mal dans les maisons closes. Les femmes trouvent trop de travail au dehors, et les patronnes ne parviennent pas à recruter assez de main-d’œuvre féminine. » 

 21 mai. – Un Rembrandt. 

Old Woman Holding Glasses, 1643, van Rijn Rembrandt (1606-1669) 
The State Hermitage Museum St. Petersburg Russie

J’ai offert cent quarante mille dollars pour le portrait d’une femme âgée de la collection Montgermont, daté de 1643. Elle tient des binocles dans la main droite. Illustré dans Bode. Tome IV .(1)

22 mai. – Collection du marquis de Chaponay, 30, rue de Berri*.


1711- Marie-Madeleine Coskaer de La Vieuville Parabere par l'atelier de Largillière 

Deux anciennes folies placées côte à côte que le marquis a réunies et dont il a fait une charmante maison. Aspect un peu château. Un immense jardin. Terrain de quatre mille mètres. Il n’avait pas un tableau il y a vingt-cinq ans et il se fit une collection en moins d’un an, aidé par la marquise. Ils n’en avaient parlé à âme qui vive, et un beau jour ils invitèrent vingt-cinq amis, des amateurs. Stupéfaction. Les Chaponay, une collection, pas possible ! Grand bruit au faubourg Saint-Germain. Puis, on apprit quelques prix alors sensationnels : deux cent mille francs à Durand-Ruel pour un Nattier, c’était un record. N. Wildenstein en avait offert cent soixante-quinze mille francs. Trois cent cinquante mille francs pour un Romney, une femme en blanc, qui n’est même pas vraie. Plus de cent mille francs pour un Largillière, Madame de Parabère, qui avait appartenu au comte Boni de Castellane auquel mon père l’avait vendu. Plus de deux cent cinquante mille francs pour un Watteau en largeur à cinq personnages, peint sur fond or, avec, à gauche, son vieux joueur de flûte et, au milieu, un danseur, frère de L’Indifférent. Ce doit être un ancien panneau de clavecin. L’or sous la jupe de la danseuse est plein de radiation. Tableau ardent et raffiné !(2)
Que possède encore le marquis ? Une peinture de Lawrence(3), un peu « porcelainisée ». Un ou deux Vigée-Lebrun. Un Schall. Un Mlle Gérard. Un petit amour de Boucher. Un Gainsborough, le portrait de Peel.
Le marquis et la marquise veulent vendre. J’achèterais le Nattier (4)  six cent mille francs, c’est le plus beau qui existe ; le Watteau, deux cent cinquante ; le Largillière, cent vingt-cinq ; le Lawrence, soixante-quinze ; deux mobiliers, cinq cent mille, dont un de Salambier et l’autre à pavots des Gobelins ; dans les cent cinquante mille un Fragonard, La femme à la lettre de l’ancienne collection Mühibacher. Ils l’ont acheté dans les trente mille. Il y a encore un beau bronze : le portrait de Henri IV, puis de jolis meubles, de beaux objets, beaucoup de goût.

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Notes du livre

(1)
Les Duveen, depuis, l’ont acheté plus cher. (Note de 1925.)
(2)
Depuis, chez le baron Edmond de Rothschild.
(3)
Depuis chez Arthur Veil-Picard
(4)
Depuis chez Arthur Veil-Picard

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Note de l'auteure du blog

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Le 30 rue de Berri a été détruit
no 30 : Anciennement hôtel de la marquise de Chaponay, née Constance Schneider (1865-1935). Après elle, il fut la résidence de ses filles, Mlle de Chaponay et Constance Zélie Eudoxie Marie Nicole de Chaponay (1890-1975), duchesse de Lévis-Mirepoix par son mariage avec le duc de Lévis-Mirepoix (1884-1981), membre de l'Académie française. Cette dernière organisait des bals rue de Berri pour les œuvres sociales de la noblesse française. L'hôtel existait encore en 1953.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963