Affichage des articles dont le libellé est jean lemordant. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est jean lemordant. Afficher tous les articles

lundi 14 septembre 2015

4e Carnet - du 8 au 19 avril 1919

8 avril. – La Tapisserie de sainte Véronique.
Madame George Blumenthal par Boldini en 1896
Madame Blumenthal photographiée en 1916-1920
Source Half Pudding Half Sauce où l'on peut "visiter" l'hallucinante collection réunie par les Blumenthal 

L’ai vendue quatre-vingt mille dollars à Mme Georges Blumenthal.

10 avril. – Des Renoir chez Durand-Ruel.
Source Artvalue

Exposition de trente-cinq toiles, la plupart des petites. Durand-Ruel les a achetées au peintre au cours de ces deux dernières années. Le catalogue nous apprend que les plus anciennes datent de 1878. Durand-Ruel me dit : « Je ne pourrais dire les dates, car Renoir retouche toutes ses toiles avant de nous les livrer. »
J’admire deux toiles, des pommes. Durand-Ruel m’apprend qu’il y avait ainsi cinq groupes de pommes sur une même toile, que son frère et lui ont trouvée dans la chambre d’une vieille bonne qui venait de mourir chez le peintre. Ils l’ont découpée.(1)

19 avril. – L’Exposition Lemordant est terminée.

Ce fut un gros succès, un monde fou jusqu’à la dernière minute. J’ai vendu pour treize mille huit cents dollars. Je vais trouver Lemordant à 6 heures. Le 15 avril, il a été reçu à l’Académie des beaux-arts, où il a prononcé un discours bouleversant sur l’art et les artistes qui ont fait, à la guerre, le sacrifice de leur vie.
Avec émotion et d’une voix large, Lemordant me remercie de ce que j’ai pu faire. Il me dit :
— Je sais tout ce que vous avez fait pour moi. Pendant quatre années de martyre la sensibilité s’affine. Privé des distractions extérieures toute joie humaine disparaît. Je me confine dans les joies intérieures, et pour un homme jeune il est des heures dures. Oui, vous vous êtes beaucoup donné à moi, je l’ai senti. Après ces années tissées de ma souffrance, un être sensible s’est développé en moi, bon juge de la sensibilité des autres. Ah ! comme je voudrais avec vous me promener à Paris, un jour, sur les quais. Ah ! si ma vision revient, je clopinerai quelque peu, mais qu’importe ! Mes yeux, j’aurai mes yeux !

FIN DU 4e CARNET

--------------
Note de l'auteure du blog

Les œuvres de Renoir affluent chaque année en grand nombre sous le marteau des enchères. Le site Art Value.com en dénombre entre 250 et 300 par an, toutes techniques confondues. Les tableaux cotent, selon leur qualité et leur importance, entre 30 000 et 2 à 3 millions d'euros.
Pour Renoir, la qualité est en effet très inégales.
La dernière période, celle des baigneuses aux formes généreuses, qui fait actuellement l'objet de la grande exposition du Grand Palais, est la plus abondante sur le marché, mais non la plus cotée, quoique parfois surcotée. A cette époque le peintre septuagénaire, atteint d'arthrose, depuis 1898 n'a plus la virtuosité du jeune impressionniste de 1870. Pour continuer à peindre, il se faisait attacher ses pinceaux entre ses doigts paralysés !
Et que dire des œuvres format "carte postale", découpées après sa mort dans la grande toile sur laquelle l'artiste esquissait ses sujets ? Montées sur châssis, frappée du tampon d'atelier elles se retrouvent sur le marché à des prix disproportionnés à leur valeur artistique.
Les très gros prix vont aux toiles emblématiques des années 1870/90, quasiment introuvables sur le marché de l'art. Au point que les 78,1 millions de dollars M$ (58 575 000 €) obtenus par Sotheby's à New-York le 17 mai 1990, demeurent vingt ans plus tard un record non battu. Il s'agit d'une version contemporaine mais un peu plus petite (78 x 114 cm) de la toile du musée d'Orsay (131x175cm) .
Le dernier prix important offert aux enchères remonte au 5 février 2008, avec les 9 869 595 € chez Sotheby's d'une version réduite de La Loge, peinte en 1874 : 27x21cm contre 80x63,5cm pour la toile conservée à la Courtauld Gallery de Londres.


---------------

Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 12 septembre 2015

4e Carnet - 28 mars 1919

28 mars. – Banquet en son honneur.
Entrée de l'hôtel Vanderbilt de NYC en 1912

A l’hôtel Vanderbilt, cent vingt personnes environ, surtout des artistes. Dîner servi par petites tables. La salle est de style mi-chinois, mi-jardin d’hiver européen. Le plafond est tapissé de feuillages ainsi que le haut des murs ; plus bas, une étoffe crème et, perpendiculairement, des bambous.


Comme un casque qui lui tomberait jusqu’aux narines, un amas de bandages enserre sa tête. Il se tient droit dans sa gloire, la poitrine bombée.
M. Chapman, dont le fils fut un des premiers aviateurs américains morts pour la France, nous parle de façon sensible de l’amitié franco-américaine.

Portrait de Lemordant par Cécilia Beaux

Puis, Cecilia Beaux, une artiste peintre assez répandue et non sans un certain talent, dit tout ce que les artistes américains doivent à la Bretagne, même ceux qui ne sont pas des bretonisants, ceux qui n’ont fait que la parcourir une seule fois, et elle se résume par cette jolie fiction : « Quand le bon Dieu créa le monde, il dit : « Je veux « que l’on sache que je suis un artiste », et il fit la Bretagne. »
Bartlett, un bon sculpteur américain, une tête de Musset, prosateur, prend ensuite la parole dans un français sans accent.


Lemordant commence. Il parle lentement, deux ou trois mots à la fois, s’arrête, sa diction est claire, aucune hésitation, et parfois cependant il semble chercher la pensée en sa nuit. Voici ce qu’il dit :
« Mon émotion est telle que j’ai peine à dominer mes sentiments. La présence de M. Chapman qui a souffert pour la grande cause donne son sens à ce banquet et la présence de tant d’artistes en précise le caractère. Par-delà ma personne, c’est à l’idéalisme de la race française que s’adressent vos hommages. Beaucoup d’entre vous sont venus dans nos ateliers, ont travaillé dans nos écoles, et vos rêves de jeunesse se sont mêlés aux nôtres. Vous qui connaissez la France, savez que cet esprit de sacrifice qu’elle a montré sur les champs de bataille est le même que celui que sa jeunesse artiste a montré depuis des siècles pour la défense de la beauté. Nos ennemis appelaient Paris la Babylone moderne. Paris, c’est l’esprit qui régnait durant la Renaissance, l’esprit de Florence et de Rome, avec une jeunesse passionnée. Depuis l’époque où, sur notre sol, s’élevèrent les tours massives et les clochers élancés des époques gothiques, un souffle de spiritualisme n’a cessé de régner sur l’Ile-de-France. Au xvie, nous avons Jean Goujon ; au XVIIe, Poussin, plein de clarté, ouvre le siècle à Louis XIV. Au XVIIIe, Houdon, Chardin, Fragonard, François Boucher, Watteau, le doux poète, l’exquis rêveur dont l’âme triste aime à se réfugier dans le mystère et dans le songe. Rude, le stoïcien, Ingres, austère amant de la ligne, rival de Delacroix, le Véronèse français. Nul arrêt. Corot renouvelle l’art du paysage ; Millet exprime la poésie et le morne accablement qui pèse sur la destinée des simples. Gauguin s’en va dans les Iles pour conserver une âme vierge. Cézanne, enfant de génie, Courbet, Manet, Degas donnent le sens du modernisme. Corot dans ses dernières toiles, Cézanne, Monet et les impressionnistes enrichissent le langage pictural de nuances plus claires. Carpeaux, à la grâce enjouée, pétrit les groupes de la Danse et de Flore. Les émouvantes maternités de Carrière traduisent l’infini de la vie intérieure. Qui, parmi nous, n’a point fait l’émouvant pèlerinage de la Sorbonne devant les Puvis de Chavannes ? Rodin, dernier disparu, à la puissante maîtrise, marque son empreinte sur toute la sculpture. Même désintéressement et mêmes sacrifices. Poussin, premier peintre du roi, abandonne sa place pour aller à la recherche de la beauté. Watteau, pauvre, malade, mort à trente-sept ans, faisait, pour vivre, des figures de saints pour un barbouilleur du pont Saint-Nicolas. Ingres, pour quelques francs, traçait ces merveilleux dessins dont s’enorgueillissent les musées et les collections.


« Après Charleroi, reculant sous le nombre, sans broncher, avec le froid, la soif, la fatigue, la fatigue lourde, nous nous retirâmes des plaines de Belgique ; jour après jour, nuit après nuit, même effort, se battre, mar-cher, se battre, marcher, marcher, marcher. Mais cette retraite se fit avec une telle régularité que lorsque le maréchal Joffre, dans son superbe ordre du jour, nous fit savoir que nous devions nous faire tuer sur place, l’armée fit volte-face et fonça.
« Et ce fut la bataille de la Marne. Et ce fut la victoire de la Marne. Ce ne fut pas le miracle de la Marne, miracle seulement pour ceux qui ne nous connaissaient pas. « Nos deux démocraties pratiquent le même culte de l’honneur. Nous pouvons réunir nos morts, les vainqueurs des libertés. »

---------------

Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 10 septembre 2015

4e Carnet - 22 au 26 mars 1919

22 mars. – Lemordant.
Hotel Vanderbilt en 1913

Il revient de Yale et est de nouveau à l’hôtel Vanderbilt, mais au douzième étage. Il porte son uniforme de lieutenant, avec la croix de guerre, la Légion d’honneur et la fourragère. Il est fatigué, son visage s’est creusé. Ses conférences ont eu du succès.

24 mars. – Installation de son exposition.
Guerre 1914-1918. Le peintre Jean-Julien Lemordant, "dont la vue a été très compromise par suite d'une grâve blessure de guerre, a reçu la croix de la Légion d'honneur", le 23 novembre 1916. A gauche : Monsieur Dalimier, sous-secétaire d'Etat aux Beaux-Arts. Photographie parue dans le journal "Excelsior" du vendredi 24 novembre 1916. © Piston / Excelsior – L'Equipe / Roger-Viollet
Source Paris en images  

Dans une salle de douze mètres sur neuf, j’installe les quatre grandes esquisses de son plafond et toutes les études pour le plafond du théâtre de Rennes. Pour briser la monotonie de ce sujet unique, je joins, en les entremêlant, les études et esquisses des panneaux des saisons. C’est un beau décor de théâtre, comme Le Printemps.


Dans une autre salle de douze mètres sur sept, aux murs clairs, je place assez haut toutes ses fresques sur la mer. Elles tournent tout autour de la pièce. Au-dessous, une double rangée de dessins et de croquis, têtes de pêcheurs, types de vieilles femmes, de vieilles Bretonnes, scènes au bord de la mer, quelques vives pochades de plages, retours de pardons, paysages salins.
Puis, dans une pièce plus restreinte, ses études sur le travail et sur Paris, débardeurs rouges et forgerons de feu !


26 mars. – Vernissage.

Il est là, dans la grande salle, assis dans un large fauteuil, sa pauvre jambe étendue. Il est ému. Beaucoup d’artistes, Caro-Delvaille me souffle : « Ce grand talent accentue le drame de son existence. » Copeau, le directeur du théâtre du Vieux-Colombier, lui parle et ils s’entretiennent du peintre Cottet, leur ami commun.
De 3 heures à 6, l’artiste aveugle sera très entouré. La pitié se fait autour de lui, l’émotion et les larmes. Heureusement qu’il ne le devine pas parce qu’il y a beaucoup de monde ; il ne veut pas de pitié. Un tableau minuscule est vendu pour mille dollars et un excellent dessin, un pêcheur, quatre cents dollars.


---------------

Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 4 septembre 2015

4e Carnet - 6 et mars 1919

6 mars. – Le Nattier Chaponay.

Nathan Wildenstein m’écrit qu’il l’a vendu à Ambatielos avec quatre petits Fragonard pour la somme totale de quarante-quatre mille livres, le Nattier étant compris pour trente-quatre mille livres. 

8 mars. – Collaboration avec Lemordant.

Dans cette revue La Forge de Juillet-Août 1919 : André Buffard : La Vie des Arts [Jean-Julien Lemordant, peintre] (p. 57-59)
Source Petites Revues

Cette semaine, il m’a téléphoné presque chaque jour pour se tenir au courant des progrès du catalogue. La seule idée d’une erreur, d’une faute, l’effraye, l’énerve. Heureusement, je n’ai que de bonnes nouvelles à lui donner. Je lui ai annoncé que je suis parvenu à faire imprimer par Yale même, que la couverture sera d’un bleu horizon pelucheux, très joli ; que les caractères seront impeccables, la mise en pages harmonieuse et les quinze reproductions soignées, et que leur ton est si chaud !


Lemordant part demain pour Yale où son exposition ouvrira le 11, il y recevra son prix. Il parlera d’abord sur la guerre, puis de Watteau et de Rude. Je garde la chambre ; j’ai la grippe.


---------------

Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 31 août 2015

4e Carnet - 1er et 2 mars 1919

1er mars. – Première visite à Jean-Julien Lemordant (1).

Lemordant en 1917 - Source Wikipedia

C’était un peintre. La guerre l’a rendu aveugle. Il est arrivé hier au soir sur le transatlantique Espagne. Ah ! qui donc l’a logé dans cette étroite chambre d’hôtel* où le jour n’entre pas ? C’est parce qu’il ne voit pas que je voudrais que sa chambre fût immense et que la lumière entrât à flots. Il est 3 heures et demie. Il tourne le dos à la fenêtre et derrière lui une petite lampe est allumée. Il est étendu sur un fauteuil à côté de son lit et sa jambe grièvement blessée repose sur une chaise. Deux cannes sont jetées sur les couvertures. Sa tête et la moitié de son visage sont entourées de linges. Je juge, par l’expression énergique de son nez et par sa bouche bien dessinée, que tous ses traits doivent être fins et réguliers. Sa moustache est noire et taillée. Il a retiré sa tunique, il porte un gilet de laine brune. Son képi de lieutenant traîne sur son lit. Sa vie de soldat fut héroïque. Le Goffic l’a chantée ; Geffroy l’a écrite. Son parler est franc, sa pensée pondérée. Je lui parle de Caro-Delvaille qui a travaillé avec lui chez Bonnat et qui veut venir le voir le plus tôt possible.

La salle de restaurant de l'Hôtel de l'Épée décorée par Lemordant en 1905
Et la salle Lemordant avec les décorations de cette salle actuellement.

Lemordant est arrivé ici sous les auspices du haut-commissariat français pour recevoir le prix Henry E. Howland, que lui a décerné l’université de Yale, et que l’on donne tous les deux ans pour récompenser une œuvre de haut idéalisme dans les sciences ou les arts. La bourse est de quinze cents dollars. Pour les Européens, elle sert juste à payer le voyage car ils sont obligés de venir jusqu’ici et de parler à l’Université. Le service de propagande a aussi demandé à Lemordant d’apporter ses tableaux ; il a trois cents toiles et dessins avec lui, dont plus des deux tiers lui appartiennent. Je vais lui organiser son exposition dans mes galeries. La générosité est en lui, je le sens aussitôt. C’est ainsi qu’il refuse que les catalogues soient vendus à son profit ; le bénéfice ira à une œuvre.

Le peintre et son chien Romeo après sa blessure

Il va faire des conférences sur la peinture française du XVIIIe. Il me parle de Watteau, il croit que les Américains l’aiment beaucoup ; je l’étonne quand je lui apprends qu’ils ne l’apprécient pas et que même tout le XVIIIe est quelque peu méprisé. Il me dit alors : « Vous m’accorderez pourtant, je pense, que Watteau est un des plus grands peintres qui aient jamais existé ! Mes conférences iront de lui à Rodin, autre géant, aussi grand que Michel-Ange. » Je lui conseille d’insister sur le côté humain et réaliste de Watteau. « Vous avez raison, me dit-il, oui, il a peint son temps. Et nous, modernes, ne pouvons-nous pas être grands en peignant l’ouvrier, l’usine et la mécanique ? » Je lui parle alors de ses figures de débardeurs. « C’est que, me dit-il, je ne suis pas exclusivement un peintre de la Bretagne. Je suis Breton, j’aime mon pays, j’aime ses habitants, j’ai aimé sa couleur, mais avant tout, j’étais un décorateur, et le décorateur porte un monde multiple en son cerveau. »
Lemordant donne l’impression de parler de façon saccadée mais, en fait, il martèle ses périodes qui sont très courtes. Je crois qu’il deviendra un excellent conférencier.

2 mars. – Deuxième visite à Lemordant.

Le portrait de Lemordant en 1918 par Cecilia Beaux (1855-1942)
Source AllPosters

Je passe deux heures avec lui qui sont entièrement consacrées à la confection de son catalogue auquel il attache beaucoup d’importance. Il veut que ce soit une œuvre d’art comme impression, et quand je lui dis que je connais bien l’art de la typographie, il en est très content. Mais, hélas ! nous avons si peu de temps devant nous, à peine huit jours ! Il me passe les photographies préparées par son secrétaire et nous décidons d’en reproduire quinze. Une exposition de ses œuvres a eu lieu en 1917 chez l’antiquaire Guiraud, rue Roquépine à Paris, et, à cause de la guerre, un très mauvais catalogue fut alors imprimé. Lemordant en fait la critique, oh ! pas du tout comme l’aveugle qui veut donner l’illusion qu’il voit ; c’est une image très nette qui s’est formée en son cerveau.
Impossible de le convaincre de vendre le catalogue à son profit ; il propose de donner l’argent aux soldats aveugles américains. Y en a-t-il ? « Vous appellerez peut-être cela de la sentimentalité, me dit-il, mais je suis un sentimental, un sentimental de cette Bretagne pleine de poésie, d’une poésie que l’on ne connaît pas, car sa poésie à elle n’est pas vraiment sentimentale, elle est grave. »

Guerre 1914-1918. Le peintre Jean-Julien Lemordant, "dont la vue a été très compromise par suite d'une grave blessure de guerre, a reçu la croix de la Légion d'honneur", le 23 novembre 1916, aux Invalides.
© Piston / Excelsior – L'Equipe / Roger-Viollet

----------------
Note de Gimpel

Numéro 224 à l’hôtel Vanderbilt.

----------------
Notes de l'auteure du blog

(1) Le père de Jean-Julien Lemordant était maçon, peut-être marin à l'occasion, et sa mère femme au foyer. D'après ce qui a été raconté au moment du retour triomphal du peintre dans sa ville natale en janvier 1923, son grand-père aurait été « ancien corsaire ». Orphelin dès l'adolescence, sans ressource, Jean-Julien Lemordant réussit à étudier la peinture à Rennes puis à Paris dans l'atelier de Léon Bonnat.
Ancien élève de l'École régionale des beaux-arts de Rennes où il est le condisciple de Camille Godet, Pierre Lenoir et Albert Bourget, Jean-Julien Lemordant perd la vue durant la Première Guerre mondiale, en octobre 1915 durant la Bataille de l'Artois, mais la recouvre en 1923.

Décor pour l'Hôtel de l'Épée de Lemordant - Source Flick

Peintre de la Bretagne et de la mer, on l'a qualifié parfois de « fauve breton », quoiqu'il ait travaillé surtout à Paris. Sa palette très colorée est une de ses principales qualités et il sait admirablement représenter les mouvements des hommes, les danses, mais aussi ceux de la mer, du vent, de la pluie. Son œuvre principale demeure la grande décoration que lui commanda le maire de Rennes, Jean Janvier, pour décorer le plafond du théâtre, aujourd'hui Opéra. Réalisée avec une grande rapidité, l'œuvre fut mise en place en 1914. Elle représente une danse bretonne endiablée aux multiples personnages. On connaît au moins 60 études préparatoires à cette grande composition, le musée des beaux-arts de Rennes en conservant une. Signalons aussi le décor conçu, sur le thème général de la Bretagne, pour l'hôtel de l’Épée à Quimper. Menacé de disparition lorsque l'hôtel ferma en 1975, il fut acquis par le musée des beaux-arts de Quimper, mais le manque de place ne permit de l'exposer qu'après rénovation complète du musée en 1993 .
Il se construit un hôtel particulier au numéro 48 avenue René-Coty à Paris, en sa qualité d'architecte, ancien élève d'Emmanuel Le Ray, architecte de la ville de Rennes.
Source Wikipedia

(2) Cette vaste salle constitue en quelque sorte le cœur du musée. Ses boiseries servent de cadre au grand décor réalisé en 1906/1909 par Jean-Julien Lemordant (1878 – 1968) pour le café de l’Epée à Quimper.
En 1905, les propriétaires du plus célèbre établissement de Cornouaille demandent au peintre de décorer les deux salles à manger. Lemordant imagine une décoration de plus de 65 m2, découpée en 23 peintures illustrant différentes thématiques : Dans le vent et Contre le vent montrent des Bigoudens en costume de fête marchant le long de la côte de Saint-Pierre vers Saint-Guénolé, puis sur la plage de la baie d’Audierne pour se rendre au pardon de Penhors. Le Pardon décrit l’aspect profane d’un pardon du pays bigouden : le cabaret sous une tente, le vendeur d’images pieuses, les différents groupes répartis entres la chapelle et la fontaine miraculeuses. Ces deux ensembles sont présentés au Salon d’automne de 1907. Le succès tant parisien que breton est exceptionnel.
La rénovation de 1993 permet la présentation de l’ensemble du décor conçu par Lemordant selon sa disposition originale, dans un espace qui est un lieu de passage et de rencontre.
L’année suivante, Lemordant complète cette « épopée du peuple bigouden » et expose les toiles composant les deux autres séries : Le Goémon montre les hommes et les femmes recueillant le goémon flottant près du rivage ; Le Port raconte les activités des marins qui raccommodent des filets, cousent des toiles et se préparent à la pêche. La décoration sera complétée en 1908-1909 par deux grandes toiles qui représentent le phare d’Eckmühl et la chapelle Notre-Dame-de-la-Joie.
En 1975, l’hôtel de l’Epée ferme, son mobilier et sa décoration sont mis en vente. Le musée acquiert la décoration mais ne peut exposer qu’une toile.
La rénovation de 1993 permet la présentation de l’ensemble du décor conçu par Lemordant selon sa disposition originale, dans un espace qui est un lieu de passage et de rencontre.
Source Musée de Quimper


--------------
Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 14 août 2015

4e Carnet - 29 et 31 mars 1919

29 mars.

Une femme me demande si ces trois cents toiles ont été faites par Lemordant depuis qu’il est aveugle.

31 mars. – Au téléphone avec Lemordant.
George Gray Barnard (1)

Tous les soirs, vers 7 heures, je lui téléphone et je lui donne tous les détails de la journée, et cela lui cause un tel plaisir ! La question des ventes l’intéresse si peu que j’ose à peine lui en parler ; mais ce qui lui procure une vraie joie, c’est d’entendre, par exemple, qu’un directeur de musée, comme cela s’est produit aujourd’hui, m’a confié qu’avant d’avoir vu les œuvres du peintre, il avait cru que le bruit fait autour d’elles n’était que sentimental, mais que, devant ses toiles, il avait été surpris de trouver tant de force. Lemordant est heureux qu’hier au soir, le sculpteur américain Barnard, qui a vraiment du talent, soit resté de 7 heures et demie du soir jusqu’à 9 h 30, tout seul devant ses toiles pour les étudier.

---------------
Note de l'auteure du blog

(1) George Grey Barnard (24 mai 1863 - 24 avril 1938) était un sculpteur américain. Il est né à Bellefonte (Pennsylvanie), mais grandit à Kankakee. Il fit ses études à l'Art Institute of Chicago puis travailla dans l'atelier parisien de P. T. Cavelier (1883-1887) tout en fréquentant l'école des beaux-arts. Il resta à Paris pendant 12 ans. Après avoir connu le succès au Salon de 1894, il retourna aux États-Unis en 1896. L'influence du sculpteur français Auguste Rodin est perceptible dans son œuvre.
Passionné par l'art médiéval, Barnard acheta en France, chez des antiquaires et des particuliers, des sculptures et fragments architecturaux provenant de quatre monastères – Saint-Michel-de-Cuxa, Saint-Guilhem-le-Désert, Bonnefont-en-Comminges, Trie-en-Bigorre – vendus comme biens nationaux à la Révolution et démantelés par leurs propriétaires. À son retour aux États-Unis, il présenta au public sa collection dans un bâtiment en briques sur Fort Washington Avenue. Cette collection fut achetée par John D. Rockefeller Jr. en 1925 et forma le noyau de la collection du musée The Cloisters du Metropolitan Museum of Art.
Barnard mourut d'une crise cardiaque le 24 avril 1938 au Harkness Pavillion du Centre médical de l'université Columbia à New York. Il était en train de travailler sur une statue d'Abel, trahi par son frère Caïn, lorsqu'il tomba malade. Son corps repose au cimetière de Harrisburg en Pennsylvanie.
---------------

Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963