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lundi 14 septembre 2015

4e Carnet - du 8 au 19 avril 1919

8 avril. – La Tapisserie de sainte Véronique.
Madame George Blumenthal par Boldini en 1896
Madame Blumenthal photographiée en 1916-1920
Source Half Pudding Half Sauce où l'on peut "visiter" l'hallucinante collection réunie par les Blumenthal 

L’ai vendue quatre-vingt mille dollars à Mme Georges Blumenthal.

10 avril. – Des Renoir chez Durand-Ruel.
Source Artvalue

Exposition de trente-cinq toiles, la plupart des petites. Durand-Ruel les a achetées au peintre au cours de ces deux dernières années. Le catalogue nous apprend que les plus anciennes datent de 1878. Durand-Ruel me dit : « Je ne pourrais dire les dates, car Renoir retouche toutes ses toiles avant de nous les livrer. »
J’admire deux toiles, des pommes. Durand-Ruel m’apprend qu’il y avait ainsi cinq groupes de pommes sur une même toile, que son frère et lui ont trouvée dans la chambre d’une vieille bonne qui venait de mourir chez le peintre. Ils l’ont découpée.(1)

19 avril. – L’Exposition Lemordant est terminée.

Ce fut un gros succès, un monde fou jusqu’à la dernière minute. J’ai vendu pour treize mille huit cents dollars. Je vais trouver Lemordant à 6 heures. Le 15 avril, il a été reçu à l’Académie des beaux-arts, où il a prononcé un discours bouleversant sur l’art et les artistes qui ont fait, à la guerre, le sacrifice de leur vie.
Avec émotion et d’une voix large, Lemordant me remercie de ce que j’ai pu faire. Il me dit :
— Je sais tout ce que vous avez fait pour moi. Pendant quatre années de martyre la sensibilité s’affine. Privé des distractions extérieures toute joie humaine disparaît. Je me confine dans les joies intérieures, et pour un homme jeune il est des heures dures. Oui, vous vous êtes beaucoup donné à moi, je l’ai senti. Après ces années tissées de ma souffrance, un être sensible s’est développé en moi, bon juge de la sensibilité des autres. Ah ! comme je voudrais avec vous me promener à Paris, un jour, sur les quais. Ah ! si ma vision revient, je clopinerai quelque peu, mais qu’importe ! Mes yeux, j’aurai mes yeux !

FIN DU 4e CARNET

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Note de l'auteure du blog

Les œuvres de Renoir affluent chaque année en grand nombre sous le marteau des enchères. Le site Art Value.com en dénombre entre 250 et 300 par an, toutes techniques confondues. Les tableaux cotent, selon leur qualité et leur importance, entre 30 000 et 2 à 3 millions d'euros.
Pour Renoir, la qualité est en effet très inégales.
La dernière période, celle des baigneuses aux formes généreuses, qui fait actuellement l'objet de la grande exposition du Grand Palais, est la plus abondante sur le marché, mais non la plus cotée, quoique parfois surcotée. A cette époque le peintre septuagénaire, atteint d'arthrose, depuis 1898 n'a plus la virtuosité du jeune impressionniste de 1870. Pour continuer à peindre, il se faisait attacher ses pinceaux entre ses doigts paralysés !
Et que dire des œuvres format "carte postale", découpées après sa mort dans la grande toile sur laquelle l'artiste esquissait ses sujets ? Montées sur châssis, frappée du tampon d'atelier elles se retrouvent sur le marché à des prix disproportionnés à leur valeur artistique.
Les très gros prix vont aux toiles emblématiques des années 1870/90, quasiment introuvables sur le marché de l'art. Au point que les 78,1 millions de dollars M$ (58 575 000 €) obtenus par Sotheby's à New-York le 17 mai 1990, demeurent vingt ans plus tard un record non battu. Il s'agit d'une version contemporaine mais un peu plus petite (78 x 114 cm) de la toile du musée d'Orsay (131x175cm) .
Le dernier prix important offert aux enchères remonte au 5 février 2008, avec les 9 869 595 € chez Sotheby's d'une version réduite de La Loge, peinte en 1874 : 27x21cm contre 80x63,5cm pour la toile conservée à la Courtauld Gallery de Londres.


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 12 septembre 2015

4e Carnet - 28 mars 1919

28 mars. – Banquet en son honneur.
Entrée de l'hôtel Vanderbilt de NYC en 1912

A l’hôtel Vanderbilt, cent vingt personnes environ, surtout des artistes. Dîner servi par petites tables. La salle est de style mi-chinois, mi-jardin d’hiver européen. Le plafond est tapissé de feuillages ainsi que le haut des murs ; plus bas, une étoffe crème et, perpendiculairement, des bambous.


Comme un casque qui lui tomberait jusqu’aux narines, un amas de bandages enserre sa tête. Il se tient droit dans sa gloire, la poitrine bombée.
M. Chapman, dont le fils fut un des premiers aviateurs américains morts pour la France, nous parle de façon sensible de l’amitié franco-américaine.

Portrait de Lemordant par Cécilia Beaux

Puis, Cecilia Beaux, une artiste peintre assez répandue et non sans un certain talent, dit tout ce que les artistes américains doivent à la Bretagne, même ceux qui ne sont pas des bretonisants, ceux qui n’ont fait que la parcourir une seule fois, et elle se résume par cette jolie fiction : « Quand le bon Dieu créa le monde, il dit : « Je veux « que l’on sache que je suis un artiste », et il fit la Bretagne. »
Bartlett, un bon sculpteur américain, une tête de Musset, prosateur, prend ensuite la parole dans un français sans accent.


Lemordant commence. Il parle lentement, deux ou trois mots à la fois, s’arrête, sa diction est claire, aucune hésitation, et parfois cependant il semble chercher la pensée en sa nuit. Voici ce qu’il dit :
« Mon émotion est telle que j’ai peine à dominer mes sentiments. La présence de M. Chapman qui a souffert pour la grande cause donne son sens à ce banquet et la présence de tant d’artistes en précise le caractère. Par-delà ma personne, c’est à l’idéalisme de la race française que s’adressent vos hommages. Beaucoup d’entre vous sont venus dans nos ateliers, ont travaillé dans nos écoles, et vos rêves de jeunesse se sont mêlés aux nôtres. Vous qui connaissez la France, savez que cet esprit de sacrifice qu’elle a montré sur les champs de bataille est le même que celui que sa jeunesse artiste a montré depuis des siècles pour la défense de la beauté. Nos ennemis appelaient Paris la Babylone moderne. Paris, c’est l’esprit qui régnait durant la Renaissance, l’esprit de Florence et de Rome, avec une jeunesse passionnée. Depuis l’époque où, sur notre sol, s’élevèrent les tours massives et les clochers élancés des époques gothiques, un souffle de spiritualisme n’a cessé de régner sur l’Ile-de-France. Au xvie, nous avons Jean Goujon ; au XVIIe, Poussin, plein de clarté, ouvre le siècle à Louis XIV. Au XVIIIe, Houdon, Chardin, Fragonard, François Boucher, Watteau, le doux poète, l’exquis rêveur dont l’âme triste aime à se réfugier dans le mystère et dans le songe. Rude, le stoïcien, Ingres, austère amant de la ligne, rival de Delacroix, le Véronèse français. Nul arrêt. Corot renouvelle l’art du paysage ; Millet exprime la poésie et le morne accablement qui pèse sur la destinée des simples. Gauguin s’en va dans les Iles pour conserver une âme vierge. Cézanne, enfant de génie, Courbet, Manet, Degas donnent le sens du modernisme. Corot dans ses dernières toiles, Cézanne, Monet et les impressionnistes enrichissent le langage pictural de nuances plus claires. Carpeaux, à la grâce enjouée, pétrit les groupes de la Danse et de Flore. Les émouvantes maternités de Carrière traduisent l’infini de la vie intérieure. Qui, parmi nous, n’a point fait l’émouvant pèlerinage de la Sorbonne devant les Puvis de Chavannes ? Rodin, dernier disparu, à la puissante maîtrise, marque son empreinte sur toute la sculpture. Même désintéressement et mêmes sacrifices. Poussin, premier peintre du roi, abandonne sa place pour aller à la recherche de la beauté. Watteau, pauvre, malade, mort à trente-sept ans, faisait, pour vivre, des figures de saints pour un barbouilleur du pont Saint-Nicolas. Ingres, pour quelques francs, traçait ces merveilleux dessins dont s’enorgueillissent les musées et les collections.


« Après Charleroi, reculant sous le nombre, sans broncher, avec le froid, la soif, la fatigue, la fatigue lourde, nous nous retirâmes des plaines de Belgique ; jour après jour, nuit après nuit, même effort, se battre, mar-cher, se battre, marcher, marcher, marcher. Mais cette retraite se fit avec une telle régularité que lorsque le maréchal Joffre, dans son superbe ordre du jour, nous fit savoir que nous devions nous faire tuer sur place, l’armée fit volte-face et fonça.
« Et ce fut la bataille de la Marne. Et ce fut la victoire de la Marne. Ce ne fut pas le miracle de la Marne, miracle seulement pour ceux qui ne nous connaissaient pas. « Nos deux démocraties pratiquent le même culte de l’honneur. Nous pouvons réunir nos morts, les vainqueurs des libertés. »

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 10 septembre 2015

4e Carnet - 22 au 26 mars 1919

22 mars. – Lemordant.
Hotel Vanderbilt en 1913

Il revient de Yale et est de nouveau à l’hôtel Vanderbilt, mais au douzième étage. Il porte son uniforme de lieutenant, avec la croix de guerre, la Légion d’honneur et la fourragère. Il est fatigué, son visage s’est creusé. Ses conférences ont eu du succès.

24 mars. – Installation de son exposition.
Guerre 1914-1918. Le peintre Jean-Julien Lemordant, "dont la vue a été très compromise par suite d'une grâve blessure de guerre, a reçu la croix de la Légion d'honneur", le 23 novembre 1916. A gauche : Monsieur Dalimier, sous-secétaire d'Etat aux Beaux-Arts. Photographie parue dans le journal "Excelsior" du vendredi 24 novembre 1916. © Piston / Excelsior – L'Equipe / Roger-Viollet
Source Paris en images  

Dans une salle de douze mètres sur neuf, j’installe les quatre grandes esquisses de son plafond et toutes les études pour le plafond du théâtre de Rennes. Pour briser la monotonie de ce sujet unique, je joins, en les entremêlant, les études et esquisses des panneaux des saisons. C’est un beau décor de théâtre, comme Le Printemps.


Dans une autre salle de douze mètres sur sept, aux murs clairs, je place assez haut toutes ses fresques sur la mer. Elles tournent tout autour de la pièce. Au-dessous, une double rangée de dessins et de croquis, têtes de pêcheurs, types de vieilles femmes, de vieilles Bretonnes, scènes au bord de la mer, quelques vives pochades de plages, retours de pardons, paysages salins.
Puis, dans une pièce plus restreinte, ses études sur le travail et sur Paris, débardeurs rouges et forgerons de feu !


26 mars. – Vernissage.

Il est là, dans la grande salle, assis dans un large fauteuil, sa pauvre jambe étendue. Il est ému. Beaucoup d’artistes, Caro-Delvaille me souffle : « Ce grand talent accentue le drame de son existence. » Copeau, le directeur du théâtre du Vieux-Colombier, lui parle et ils s’entretiennent du peintre Cottet, leur ami commun.
De 3 heures à 6, l’artiste aveugle sera très entouré. La pitié se fait autour de lui, l’émotion et les larmes. Heureusement qu’il ne le devine pas parce qu’il y a beaucoup de monde ; il ne veut pas de pitié. Un tableau minuscule est vendu pour mille dollars et un excellent dessin, un pêcheur, quatre cents dollars.


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 6 septembre 2015

4e Carnet - 16 mars 1919

16 mars. – Dans l’atelier de Caro-Delvaille.

Est situé 15, North Washington Square où s’élève un arc de triomphe modeste (1). Dans ce square, on se croirait un peu à Londres, avec ces maisons de briques à deux étages et si régulières et toutes jumelles. Ce square, placé à mi-chemin entre le bas de la ville (2), cette fourmilière gigantesque des affaires, et le quartier des résidences que sillonnent des milliers d’automobiles, semble comme par magie appartenir à une autre ville, à une autre ville vraiment située à des centaines de lieues, où le chemin de fer et les autos même ne passeraient pas et où les habitants privés de tous les moyens modernes de locomotion auraient gardé la gravité de nos ancêtres, sans rien pourtant de l’austérité travaillée de nos cités provinciales.

North Washington Square dans les années 1920' d'après une carte postale

Washington Square et ses approches furent, jusque vers la fin du siècle dernier, l’enclos, très clos, dans lequel s’emprisonnèrent les familles jalouses de leur ancienneté et qui bâtirent cette aristocratie américaine plus fermée que la cour du plus petit et du plus orgueilleux des roitelets.

North Washington square en 1920, photo

Mais le luxe des nouveaux riches qui se construisent, plus haut, dans la ville, leurs demeures, et le besoin de confort, les chassèrent de leur berceau ; aujourd’hui les artistes, les seuls vraiment sages de cette ville, sont venus se réfugier loin du bruit et de la multitude dans ces maisons délaissées et délabrées.


J’apprends au peintre que le journal Art in America, qui veut reproduire mon David Jeanne de Ricbemont, m’a demandé qui pourrait l’accompagner d’un article et que j’ai répondu : « Seulement Caro-Delvaille. » Il accepte et dit alors : « Les Américains ne comprennent pas le génie français qui élimine l’inutile et clarifie l’utile ; ils ne comprennent pas Watteau, ils n’y voient qu’un décor, quand Watteau n’a peint que des paysages méditatifs et tristes. Je dirai même qu’entre Greuze et David il n’y a qu’une différence de temps mais pas de science. »

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Note de l'auteure du blog

(1) L'arc dédié à George Washington, véritable symbole du parc a été érigé en 1895, édifié sur son côté nord à partir des dessins de Stanford White pour célébrer le centième anniversaire de l'accession de George Washington à la présidence des États-Unis. À l'origine, il était fait de bois et de papier mâché. Les travaux pour le reconstruire en béton et en marbre se sont étalés de 1890 à 1895. Des sculptures supplémentaires y ont été ajoutées en 1916 et 1918. Aujourd'hui, les étudiants de l'université de New York défilent sous le monument, lors de la cérémonie de remise des diplômes. L'arche a été l'objet d'une rénovation entre 2002 et 2004, pour un budget de 2,7 millions de dollars.
Source Wikipedia

(2) Washington Square, long de 300 mètres, large de 150 et d'une superficie de 4 hectares, est un des lieux les plus populaires du sud de Manhattan où les gens aiment flâner et s'y rencontrer. Le parc a en fait peu de verdure, à part des arbres et des parterres de fleurs, il est presque entièrement pavé et est équipé de tables de jeu d'échecs, installées à demeure, où l'on peut voir les joueurs s'affronter devant un large public.
Cependant, il possède également quelques statues et monuments :
Une fontaine en son centre entourée de bassins.
L'arc dédié à George Washington
Une statue de Giuseppe Garibaldi, au sud-est de la fontaine, fut réalisée par Giovanni Turini (it) et offerte par les Italiens de New York en 1888.
Washington Square est le point de départ de la légendaire Cinquième Avenue que se dirige vers le nord.
Source Wikipedia

(3) Rappel :
La peinture a été vendue par Gimpel à Berwind pour un David et elle est présentée pour telle dans la presse lors d'une visite d'anciens combattants au musée. Source Le Journal d'un collectionneur 

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 21 août 2015

4ème Carnet - 13 et 14 février 1919

13 février. – Institut Carnegie. 
Institut Carnegie, bibliothèque

Donné par Andrew Carnegie aux habitants de Pittsburgh pour le dé-veloppement de la littérature, de la science et de l’art. Il fut vraiment le premier grand philanthrope américain. Il voulait mourir pauvre. Il n’y est pas parvenu mais il a beaucoup donné. Il n’a été dépassé depuis que par Rockefeller. L’Institut a un musée de tableaux modernes.

Bibles pour commis voyageurs.

Dans ma chambre d’hôtel, une bible repose sur ma table de nuit. On les trouve dans toutes les chambres d’hôtel de province. Je l’ouvre et je lis qu’elle est offerte par la Société Gédéon (Gideon Society) et que Gédéon était prêt à exécuter toutes les volontés de Dieu sans faire appel à son propre jugement. Voici quelques renseignements que je recueille :
— Si l’on est seul, triste (blue : le cafard), si vos amis ne sont pas fidèles, lire pages 23 à 27.
— Si découragé ou en difficulté quelconque, lire : John 14.
— Si vos affaires ne vont pas, lire : John 15.
— Si vous êtes mal à votre aise, lire : Hébreux 12.
— Si vous perdez confiance dans les hommes, lire…, etc.
— Si sceptique, lire John…
— Si vous ne pouvez ; pas faire prévaloir votre volonté…
— Si vous êtes très prospère…

14 février. – Une collection de timbres.
Henry Duveen

Mon oncle Henry Duveen est mort il y a un mois. Il avait constitué une collection de timbres qui lui avait coûté environ soixante mille livres (70 000). Un syndicat européen vient d’en offrir deux cent mille livres (200 000) à son fils qui en obtiendra deux cent quarante mille livres (240 000).


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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 17 août 2015

4ème Carnet - 11 février 1919

11 février. – Mon métier. 

Williams, un de mes vendeurs, un Américain rude, m’explique ses nouvelles méthodes de travail. Il me dit : « Quand j’arrive dans une ville de province, je ne vais plus comme autrefois frapper à la porte de quarante clients ; aujourd’hui, j’agis comme un voleur. Je surveille une ou deux maisons, j’en étudie les habitants et, des habitants j’étudie les habitudes. Je parle avec les domestiques, je me fais expliquer les lieux et quand je suis bien renseigné sur les gens et sur les murs où je puis placer des tableaux, je fonce comme un taureau ! » (as a bull). 

La vente des orgues. 

Williams continue : « C’est une affaire encore plus amusante que la nôtre. Par exemple, un vendeur de l’Aeolian Company arrive dans une ville, vend à M. John un orgue à dix sifflets, va trouver M. Peter, lui dit que John n’a acheté que dix sifflets, alors Peter en commande un de quinze, et le prochain client visité, vingt, et ainsi de suite, car un orgue peut s’entendre de New York à San Francisco. L’année suivante, notre vendeur reparaît chez M. John qui, honteux de ses dix sifflets, en commande quinze, mais M. Peter, maintenant, en veut vingt et ainsi de suite. Et, sans cesse, les orgues sont en réparation par suite d’agrandissement.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 15 août 2015

4ème Carnet - 7 au 10 février 1919

7 février. – Débarqué.

Ce matin, je suis aussi surpris que nos pères devant le premier train, quand je vois dans le hall de l’hôtel Ritz une boîte aux lettres spécialement réservée aux correspondances par avion. Il y a un départ chaque jour pour Philadelphie et pour Washington. 

8 février. – Caro-Delvaille(1). 
Henry Caro-Delvaille, portrait de madame Simone

Il vient prendre de mes nouvelles. Sa situation matérielle est meilleure ; il a peint bon nombre de portraits depuis plusieurs mois. Il cherche à obtenir la décoration murale du Parlement d’Ottawa, où il est soutenu par les éléments français, mais les Anglais veulent un des leurs. 

10 février. – Le modernisme à l’église. 
Saint Thomas Church Manhattan 

Je suis aussi surpris que les hommes qui virent pour la première fois une boîte aux lettres destinée aux correspondances par aéro, en découvrant dans l’église Saint-Thomas, de mon ami le révérend Stires, un ascenseur. Et même de style gothique !

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Note de l'auteure du blog

(1) Henry Caro-Delvaille, né Henri Delvaille à Bayonne (Basses-Pyrénées) le 6 juillet 1876 et mort à Paris en juillet 1928, est un peintre et décorateur français.
Après avoir étudié de 1895 à 1897 à l'école des beaux-arts de Bayonne, Henry Caro-Delvaille est l'élève de Léon Bonnat à l'école de beaux-arts de Paris. Il expose pour la première fois au salon de la Société des artistes français à Paris en 1899. Il y remporte une médaille de troisième classe en 1901 pour son tableau intitulé La manucure. Membre de la Société nationale des beaux-arts à partir de 1903, il en devient secrétaire en 1904. En 1905, il remporte la grande médaille d'or de l'Exposition internationale de Munich. La même année, son ami Edmond Rostand lui confie la décoration de sa villa de Cambo. Il se fait alors connaître comme portraitiste et bénéficie de très nombreuses commandes. Il est fait chevalier de la légion d'honneur en 1910. Les présents de la terre, décoration pour la maison du docteur Semprun à Buenos-Aires (1912) À partir de 1917, il voyage aux États-Unis où il s'installe jusqu'en 1925. Il y réalise de nombreux portraits, des nus, des paysages et des panneaux décoratifs.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 14 août 2015

4e Carnet - 29 et 31 mars 1919

29 mars.

Une femme me demande si ces trois cents toiles ont été faites par Lemordant depuis qu’il est aveugle.

31 mars. – Au téléphone avec Lemordant.
George Gray Barnard (1)

Tous les soirs, vers 7 heures, je lui téléphone et je lui donne tous les détails de la journée, et cela lui cause un tel plaisir ! La question des ventes l’intéresse si peu que j’ose à peine lui en parler ; mais ce qui lui procure une vraie joie, c’est d’entendre, par exemple, qu’un directeur de musée, comme cela s’est produit aujourd’hui, m’a confié qu’avant d’avoir vu les œuvres du peintre, il avait cru que le bruit fait autour d’elles n’était que sentimental, mais que, devant ses toiles, il avait été surpris de trouver tant de force. Lemordant est heureux qu’hier au soir, le sculpteur américain Barnard, qui a vraiment du talent, soit resté de 7 heures et demie du soir jusqu’à 9 h 30, tout seul devant ses toiles pour les étudier.

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Note de l'auteure du blog

(1) George Grey Barnard (24 mai 1863 - 24 avril 1938) était un sculpteur américain. Il est né à Bellefonte (Pennsylvanie), mais grandit à Kankakee. Il fit ses études à l'Art Institute of Chicago puis travailla dans l'atelier parisien de P. T. Cavelier (1883-1887) tout en fréquentant l'école des beaux-arts. Il resta à Paris pendant 12 ans. Après avoir connu le succès au Salon de 1894, il retourna aux États-Unis en 1896. L'influence du sculpteur français Auguste Rodin est perceptible dans son œuvre.
Passionné par l'art médiéval, Barnard acheta en France, chez des antiquaires et des particuliers, des sculptures et fragments architecturaux provenant de quatre monastères – Saint-Michel-de-Cuxa, Saint-Guilhem-le-Désert, Bonnefont-en-Comminges, Trie-en-Bigorre – vendus comme biens nationaux à la Révolution et démantelés par leurs propriétaires. À son retour aux États-Unis, il présenta au public sa collection dans un bâtiment en briques sur Fort Washington Avenue. Cette collection fut achetée par John D. Rockefeller Jr. en 1925 et forma le noyau de la collection du musée The Cloisters du Metropolitan Museum of Art.
Barnard mourut d'une crise cardiaque le 24 avril 1938 au Harkness Pavillion du Centre médical de l'université Columbia à New York. Il était en train de travailler sur une statue d'Abel, trahi par son frère Caïn, lorsqu'il tomba malade. Son corps repose au cimetière de Harrisburg en Pennsylvanie.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 17 avril 2015

2ème Carnet - 21 juillet 1918

21 juillet. – Saint-Thomas Church.
Source épiscopat ; l'église en 1918 avait encore sa flèche

J’ai une conversation avec le révérend E.M. Stires, et malgré sa modestie, je devine que c’est lui qui a construit cette belle église gothique au coin de la Trente-troisième rue et de la Cinquième avenue ; il n’en fut pas l’architecte mais l’âme.


Il a fait recommencer certains plans quatre et cinq fois et des dessins à l’infini et même en ce moment il n’hésite pas à demander à un même sculpteur pour une seule niche trois ou quatre épreuves en pierre.

Sur Paderewsky* et les Polonais.
Ignacy Jan Paderewski

Le secrétaire de notre concert de charité est le lieutenant O’Bden, de la Légion étrangère, fils d’un général irlandais, croix de guerre, médaille militaire, le bras droit presque paralysé. Envoyé en mission en Amérique. il en revint pour conduire en France un contingent de soldats polonais. « Ces hommes ont plus de trente et un ans, me dit-il, ils n’auraient donc pas à être soldats en Amérique, la limite d’âge étant de trente ans, mais ils vont se battre sur le sol de France pour l’indépendance de leur pays, de leur pays qu’ils ne connaissent même pas ; ils sont nés en Amérique, certains ne parlent pas l’anglais, le plus grand nombre à peine. Ils sont presque tous mariés, certains gagnent jusqu’à huit dollars par jour. Six cents Polonais, en moyenne, partent chaque semaine pour la France. Ils vont se faire tuer sur une terre qui n’est même pas la leur. Il y a peu d’exemples, chez aucune race, d’un tel patriotisme. J’ai aidé à leur recrutement avec Paderewsky, un être de génie. Je ne parle pas du musicien, mais de l’homme. »

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Note de l'auteure du blog

* Ignacy Jan Paderewski, ou Ignace Paderewski, né le 18 novembre (6 novembre) 1860 à Kuryłówka en Podolie (actuelle Ukraine) et mort le 29 juin 1941 à New York, est un pianiste, compositeur, homme politique et diplomate polonais. Son engagement pour la cause d'une Pologne libre et démocratique commence à se manifester en 1910 ; il fait d'abord deux dons importants pour la construction d'une salle de concert à Varsovie et l'érection d'un monument à Frédéric Chopin pour centenaire de sa naissance, puis une autre contribution financière importante pour l'érection d'une statue du roi Ladislas II Jagellon, pour le cinquième centenaire de la bataille de Tannenberg au cours de laquelle le roi avait remporté une victoire décisive sur les chevaliers teutoniques.
La Première Guerre mondiale
En 1914, dès le début de la guerre, il fonde à Vevey, avec Henryk Sienkiewicz et Henri Kowalski, un « Comité central de secours pour les victimes de guerre en Pologne » ; il en assure la vice-présidence durant la première année, puis devient son représentant aux États-Unis, jusqu'à l'indépendance de la Pologne. En janvier 1917, il rencontre le président Woodrow Wilson et lui remet un mémoire sur la Pologne, dans lequel il plaide pour une Pologne libre et démocratique, mais aussi viable par la libre disposition d'un large accès à la mer Baltique. Le président américain, dans son discours du 8 janvier 1918, prononcé devant le Congrès, inclut l'indépendance de la Pologne parmi ses Quatorze Points : « Un État polonais indépendant devra être constitué, qui inclura les territoires habités de populations indiscutablement polonaises, [État] auquel devra être assuré un accès libre et sûr à la mer, et dont l'indépendance politique et économique et l'intégrité territoriale devraient être garanties par engagement international. »
À partir de 1917, Paderewski assure les fonctions de représentant aux États-Unis du Comité national polonais (gouvernement provisoire en exil siégeant à Paris) et participe à l'organisation et de coordination de bataillons de volontaires polonais envoyés au combat sur le front français.
À la fin de la Première Guerre mondiale, Paderewski se rend en Pologne alors que le sort de la ville de Poznań et de toute la région de Grande-Pologne reste encore incertain ; le 27 décembre 1918, il harangue la foule avec une telle conviction que cela provoque soulèvement populaire contre l'Allemagne, dont l'armée occupe toujours la région.
L'après-guerre En janvier 1919, il devient Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Pologne recréée, fonctions qu'il occupe jusqu'en décembre. À ce titre, il est le chef des délégations polonaises qui signent le traité de Versailles le 28 juin 1919 et celui de Saint-Germain-en-Laye le 10 septembre.
Ignacy Paderewski en 1921
Ayant quitté le gouvernement, il rend encore de nombreux services comme diplomate au service de la Pologne, par exemple dans diverses conférences internationales, de juillet à décembre 1920, et, de septembre 1920 à mai 1921, comme chef de la délégation polonaise auprès de la Société des Nations.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 13 avril 2015

2ème Carnet - 7 juillet 1918

7 juillet. – Henry Goldman*, collectionneur.
Je n'ai trouvé qu'une photo du père d'Henry Goldman, Marcus. La description d'Henry par Gimpel monte qu'il ne l'appréciait guère  et l'homme est, à cause de ses prises de position pro-allemandes (voir note*), laissé dans un prudent oubli.

Tête de haut fonctionnaire allemand. Ses lunettes : les lentilles prismatiques d’un phare. Un visage plein de graisse et de suffisance. Sa confiance en lui-même, le coup de poing sur la table. Ergoteur, fait rouler les r sur un ton rauque.
Nous reparlons des deux tableaux que je lui ai vendus : un Clouet et un Gentile da Fabriano.

Un portrait de François 1er du musée Condé, celui qui correspond au plus près à la description de Gimpel. Le Clouet de Goldman est sans doute actuellement dans une collection privée.

Le Clouet c’est le portrait de François Ier. Environ dix-huit centimètres de haut. On l’appelle : le Clouet de Toulouse. Il se trouvait dans un château des environs de cette ville. Germain Bapst** m’a fait une étude de treize pages tirées à quinze exemplaires chez Frazier-Soye. Il le décrit de trois quarts, légèrement tourné vers la gauche, coiffé d’une sorte de béret orné d’un bijou de barrette et d’une plume blanche. Son justaucorps à plis est de couleur cramoisie et laisse en une sorte de crevé passer la chemise. Un manteau est jeté sur ses épaules, bordé de zibeline et garni de perles. La tête se détache sur un fond vert olive foncé.
Ensuite, Bapst dit avoir découvert comment ce tableau parvint à Toulouse. Le fameux camée, l’Apothéose d’Auguste, avait été donné par l’église de Saint-Séverin de Toulouse à François Ier et quelque temps après, en 1553 le roi fit don de son portrait au chapitre pour le remercier. Le camée, aujourd’hui se trouve à Vienne. Durant les troubles de la Ligue, il fut acheté par l’empereur d’Allemagne Rodolphe.
Ce tableau a été exécuté vers 1 530.
Le Gentile da Fabriano est un merveilleux tableau. Il avait appartenu à un Canadien anglais, M. Sartis, qui, étant venu se fixer a Paris, l’avait prêté au musée des Arts décoratifs où il était resté longtemps exposé, en compagnie de deux autres primitifs, dont un Lorenzo Monaco que j’ai vendu pendant la guerre au musée de Boston sur la recommandation de son conseiller d’alors, le peintre Walter Gay, qui a touché sa commission.


Le premier achat de Goldman fut un Rembrandt, le portrait d’un boucher, tableau qu’on appelle « Saint Matthieu » pour le vendre plus facilement. Il est mentionné dans Bode. Il le paya dans les cent vingt mille dollars. C’était le sujet à tenter un Boche : un Rembrandt, un homme qui tient un couteau ! Il trouve cela fort. Ce n’est pas une tête de saint, mais bien de boucher, pas d’étincelle, la bestialité. Rembrandt prend ses personnages dans le peuple, dans le bas peuple, il leur met dans les yeux toute sa philosophie. La qualité de cette peinture est excellente, mais c’est une toile vulgaire.
Goldman m’apprend qu’il a acheté pour deux mille dollars à la vente Hermann, le premier Rembrandt mentionné dans Bode et dans le Klassiker der Kunst. Hermann l’avait payé vingt-cinq mille dollars au marchand autrichien Kleinberger. Goldman vient de s’en débarrasser dans un échange avec les frères Ehrich, auxquels il a pris un Van Dyck, époque de Rubens, une vierge et un enfant, collection de Lord Hartington. « Je n’avais acheté ce Rembrandt, me dit-il, que pour l’étudier quelques mois. »

Femmes américaines.

J’ai connu Mme Gimbel jeune fille, jolie, intelligente, intellectuelle, s’intéressant aux arts, à la littérature. Elle aime son mari qui ne possède aucune intellectualité. Le soir, j’ai dîné chez eux. Quand je la quitte, je la remercie et c’est elle qui m’exprime ses remerciements de façon débordante. Cette soirée fut pour elle comme une dernière lueur. Dans quelques années, l’enlisement sera total.

Le 14 juillet.
Source KSDK

Pour la première fois et à travers tous les États-Unis, le gouvernement américain célèbre officiellement notre fête nationale. Douze mille personnes, ce soir, se pressaient au Madison Square Garden où toutes les places étaient louées depuis déjà longtemps.
L’homme qui obtint le plus gros succès, ce fut l’orateur Paderewsky, hier pianiste, aujourd’hui représentant officiel de la Pologne. Fini, il ne joue plus, il lutte, et comme il est beau ! Il est là sur l’estrade ; il est maigre, le damné et divin défenseur de sa patrie, en habit, les cheveux épars et superbe ! Il parle avec hardiesse et beauté dans une agitation continue et entraînante. En chantant notre fête de la liberté, il sait qu’il appelle pour son pays l’heure de la délivrance.

Les « Chine » de Morgan.
Extrait du catalogue de la collection Morgan, 1911

Joe a acheté la collection près de trois millions de dollars.

Collection Morgan source ZAS07

Retour.

Je m’embarque à bord de la Lorraine. Même cabine.

Vision du temps passé. 
Les religieuses, de la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, servantes des pauvres, sont de celles que l'on rencontrait partout où il y avait malades et blessés à soigner ; reconnaissables à leur grande cornette, maintenant abandonnée pour une plus discrète. Ici, à l'hôtel Dieu de Valenciennes, en 1918.

La mer n’est pas très bonne. À l’extrémité du pont dorment des sœurs de charité. La tête rejetée en arrière, elles ne savent pas, elles, si discrètes, qu’elles laissent leur visage découvert et exposé à tous les regards. Il me semble, sans les chercher, avoir saisi sur leurs traits des traces du passé. La mer a contracté leur figure, la souffrance a l’air de les étreindre et je retrouve, ah ! mais de façon frappante, l’expression des vierges du XVIIe siècle, des vierges qui ont souffert des attaques contre leur foi. Je crois rêver de me trouver de façon si saisissante ramené en arrière et de constater comme une même vocation, une même pensée, font mêmes tous ces visages.

Transatlantique de guerre.
Source Pages 1914-1918 Forum

Deux cents soldats polonais. Quatre-vingts Slovaques. Soixante Italiens. Vingt-cinq Français. Soixante membres de l’Association des jeunes gens chrétiens, une vingtaine de Chevaliers de Colomb qui est l’association catholique, puis des Croix-Rouge en quantité. Des membres de toutes sortes de sociétés de charité, quelques commerçants, des policiers. En seconde classe, de riches Américains pressés d’arriver en France pour s’y dévouer ou y mourir, parqués quatre dans des cabines intérieures et puantes, des gens qui, en temps de paix, ne voyageraient pas sans cabines de luxe. Une telle réunion de tant de gens de cœur est unique. L’atmosphère est saturée de hautes âmes. On a l’idée de ce que pourra être un monde meilleur, et c’est là un monde meilleur. Moi, si solitaire durant mes traversées, si heureux tout seul avec mes livres, je sens le besoin de me mêler à cette foule et je le fais.

Le paquebot camouflé

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Notes de l'auteure du blog :

* Henry Goldman (21 Septembre, 1857 - 4 Avril 1937) était un banquier américain, fils de Marcus Goldman . Il a joué un rôle dans la décision du conglomérat financier Goldman Sachs au début du XXe siècle. Banquier innovant, il a servi avec un grand dévouement auprès du comité exécutif de l'automobile. En 1915, Goldman a exprimé publiquement son soutien pour les Allemands et a refusé de permettre à Goldman Sachs pour participer à une émission de 150 millions de dollars obligataire anglo-français organisé par JP Morgan. En 1917, après l'entrée en guerre de l'Amérique, Goldman a démissionné en tant que partenaire de Goldman Sachs pour incompatibilité d'opinion. Goldman est resté un fervent partisan de l'Allemagne jusqu'en 1933, quand, lors d'un voyage annuel à Berlin, il a été témoin de première main l'antisémitisme de plus en plus brutal et institutionnalisé qui commençait à prévoloir dans le pays. Goldman n'est jamais revenu à l'Allemagne. Jusqu'à sa mort en 1937, Goldman a travaillé pour aider allemande intellectuels juifs et les enfants réfugiés à immigrer aux États-Unis pour échapper aux nazis.

** Germain Bapst (Paris, 20 décembre 1853 - Paris, 9 décembre1921) est un érudit, bibliophile, collectionneur de souvenirs historiques français. Germain Bapst fait ses études chez les jésuites. Il entre dans la maison plus que centenaire que son père Alfred Bapst, dernier joaillier de la couronne, dirige avec ses cousins Paul et Jules Bapst. Après la mort de son père en 1879, Germain s’associe avec Lucien Falize. Se rendant compte qu'il avait plus d'aptitudes pour les études historiques et artistiques que pour le commerce, il rompt avec son associé et lui abandonne la direction de la maison. Il s'acquiert alors une notoriété particulière d'historien, de collectionneur, de bibliophile.
Membre de nombreuses sociétés savantes, il était également administrateur du Musée des Arts décoratifs, membre du Conseil de la Manufacture nationale de Sèvres. Il est envoyé de 1883 à 1886 en mission pour le compte du gouvernement en Orient. Il publie en 1886 les Souvenirs de deux missions au Caucase, Les fouilles sur la Grande chaîne en 1885 et Les fouilles de Siverskaia en 1887.

Là encore je n'ai trouvé qu'une photo de Jules Bapst, le cousin de Germain, joaillier lui aussi.

Ses études sont parfois relatives au rôle économique des bijoux, des métaux, à leur provenance, à leurs usages. Il possédait une collection restreinte, mais choisie, qu'il a léguée en partie au Musée du Louvre, au Musée des arts décoratifs de Paris et au Musée du Luxembourg. Il est trois fois lauréat de l’Institut : Académie des inscriptions et belles lettres, prix Marcellin Guérin (prix de littérature) et Académie française, prix Thérouanne (prix annuel d’histoire).
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 11 avril 2015

2ème Carnet - 3 juillet 1918

3 juillet. – Avec Joe. Sur les Fragonard de Grasse*.

« Combien, lui dis-je, les avez-vous vendus à Frick ?
— Un million deux cent cinquante mille dollars. Je n’ai pas pris un centime de commission. Morgan les avait exposés au Metropolitan Muséum où je me promenais un dimanche. Devant les Frago, j’aperçois Knœdler, entouré de ses associés et employés. « Ah ! ah ! me dis-je, ils veulent les vendre à Frick. » Le lendemain matin, je me précipite chez Morgan. « Combien vos Fragonard ? » « Douze cent cinquante mille dollars.
— J’en donne un million.
— À prendre ou à laisser.
— C’est bien, je les prends, mais veuillez, je vous prie, téléphoner à M. Frick, que je les lui laisse au prix coûtant.
Morgan téléphone et Frick répond : « Que Joe vienne me trouver de-main matin. » Je les lui vendis, et j’ai tenu cet homme depuis ce jour-là, fit Joe. Je lui achète tout ce qu’il veut dans les collections européennes sans prendre de commission.

Fourth of July. Independence Day.


Cent mille hommes défilent sur la Cinquième avenue depuis 9 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir. Au 647, à mon balcon, quelques membres de la mission française. Entre autres, Stéphanne Lausanne, l’ancien rédacteur en chef du Matin. Plusieurs années avant la guerre, ses articles contre l’Allemagne avaient fait interdire son journal en Alsace-Lorraine. Il triomphe aujourd’hui.
Un autre propagandiste, Kneicht, un Lorrain de beaucoup d’esprit.


Quarante-deux nationalités sont représentées sur les quarante-cinq que les États-Unis reconnaissent. Ce défilé me fait comprendre pour la première fois l’immense mélange de races d’où sort cette nation. Les soldats et les marins forment la tête du défilé, mais ce peuple jeune a besoin d’explications simples et claires. On lui fait défiler la guerre sur des chars un peu enfantins et ainsi il comprend mieux l’effort qu’on lui demande. C’est de la réclame en relief. Ici, un aéroplane traîné sur une automobile, un mécanicien est au volant et l’hélice tourne sans arrêt avec un bruit d’enfer. Là des mitrailleuses dans la tranchée, les hommes guettent à plat ventre. Ensuite, un char, une réclame pour recruter des marins ; des hommes dorment, bercés dans des hamacs. Plus loin, une barque qui montre comment on relève les mines. Un poste électrique dans la marine, véritable usine sillonnée de longs éclairs. Le découpage de forts blocs d’acier. Un navire en construction, avec ces mots : un bateau tous les douze jours. Un canon antiaérien que des hommes pointent sans cesse vers le ciel.

Soldats américains dans les rues le 4 juillet - Photo courtesy of Getty Images.

Maintenant, c’est un défilé de nurses qui portent des écriteaux : Nous en demandons vingt-cinq mille. Puis des ambulances, des tanks et même des torpilles. Le char de l’Y.M.C.A., cette admirable association protestante qui apporte le confort et la distraction aux soldats en guerre, est très pittoresque. C’est l’organisation du repos dans la tranchée ou dans l’abri, le piano, le papier à lettre. L’Armée du Salut, sur son char, fabrique des gâteaux. Alors, commence le défilé des races. 


L’Arménie porte cette bannière : « L’Arménie souffrante espère en l’Amérique. » Les Assyriens, que je croyais morts depuis trois mille ans, disent aussi : « Notre espoir est en l’Amérique. » La Chine traîne une pagode. La Bolivie, le Monténégro, les Slovaques et les Tchèques, dans leurs costumes nationaux, sont représentés, Panama, Central America, Honduras, Cuba, les Carpathes, la Syrie, le Liban, la Finlande, avec cette inscription : Vingt-cinq mille ouvriers finlandais font des bateaux pour l’Amérique », la Norvège, avec celle-ci : « Nous avons perdu huit cent trente bateaux. »
Les Français défilent avec deux chars, celui de l’Alsace-Lorraine et un autre où Rouget de Lisle chante à Strasbourg La Marseillaise. Le gros succès est pour eux, pour la France.

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Note de l’auteure du blog

* On visite à Grasse la maison où vint habiter Fragonard, chez son cousin Alexandre Maubert, quand il dût fuir Paris pour cause de Révolution et de santé défaillante. Il apporta avec lui, roulés, quatre panneaux illustrant les Progrès de l’Amour dans le coeur d’une jeune fille, commandés par Madame Du Barry pour la décoration du pavillon que lui avait offert Louis XV à Louveciennes, puis qu’elle avait refusés. Largement indemnisé, le peintre garda 20 ans ces œuvres dans son atelier, avant de les apporter à Grasse. Les panneaux y arriveront en janvier 1790 et la tradition veut que Fragonard les ait accrochés lui-même dans le salon de son cousin. L’ensemble resta en place jusqu’en 1896, lorsque le petit-fils d’Alexandre Maubert, les vendit... non sans les avoir fait copier par un excellent peintre lyonnais, Auguste de La Brély. Les originaux, désormais connus sous le nom des Fragonard de Grasse, sont depuis 1915 exposés à la Frick Collection de New-York.
Source Bon Sens et Déraison

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 9 avril 2015

2ème Carnet - 28 juin 1918

28 juin. – Chez Du Pont de Nemours.
Winterthur se situe dans la vallée de Brandywine dans le Delaware, un état verdoyant et vallonné situé à deux heures de voiture au sud de New York 

Dans leur immense propriété, le soleil est radieux, les arbres sont verts, les fleurs étincellent. À dix kilomètres, on fabrique la poudre, la mort.

L’amour du galon.
Pyramide de casques allemands à New York en 1918
Source La Boîte verte

Beaucoup d’individus ont profité de la présence des soldats alliés pour se vêtir de faux uniformes. Les autorités militaires, pour les prendre, ont donné l’ordre aux officiers de s’habiller le lendemain en civil. La cueillette a été très fructueuse.

Sur un Nattier.

Il y a une dizaine d’années, Henry Huntington, de Los Angeles, a acheté aux Knœdler un Nattier pour environ quatre-vingt-dix mille dollars. C’est le portrait d’une femme reproduit dans la petite édition de Nolhac. Très belle qualité. Superbe draperie rouge.
Aujourd’hui, Joe compte le reprendre dans un échange. Il me demande pour combien il doit le mettre dans ses livres. « Pour cinquante mille dollars, lui dis-je, je l’achèterai toujours pour ce prix-là. » Ce tableau était à Reims, et pendant des années j’ai cherché à l’obtenir. Son propriétaire ne voulait pas le vendre. Il meurt. Un intermédiaire qui travaillait pour moi, du nom de Lacombe, un négociateur très habile, saute dans le premier train pour Reims, mais en y arrivant il aperçoit sur le quai, Boussod, le marchand de tableaux, accompagné d’un autre intermédiaire ; les deux hommes repartent pour Paris et Lacombe leur trouve un air bien joyeux et se dit qu’ils lui ont enlevé l’affaire. Il se rassure quand il apprend que le mort n’est pas encore enterré, mais il lui est impossible d’entrer dans la maison. Il lui faut attendre la cérémonie du cimetière, et il commence à craindre le retour de Boussod. Il surveille l’arrivée des trains. Personne en vue. Il est dans la place. Revenue des funérailles, la veuve le reçoit. Il est le premier et respire. « Trop tard, lui dit-elle, le Nattier est vendu. Une drôle d’aventure, monsieur. Le jour de la mort de mon mari, un des croque-morts remarque mon tableau et il introduit auprès de moi un riche amateur qu’il connaissait pour avoir enterré sa femme. Ce collectionneur me fit une grosse offre et je l’ai acceptée aussitôt. »
Et dans la description des deux hommes, Lacombe reconnaît dans le croque-mort son rival et dans Boussod le pauvre veuf.

Amundsen part au pôle nord*.
Cela me rappelle le mot du gamin de Paris qui, le 4 août 1914 ? voyant un enterrement, fait : « Eh bien, en voilà un qui n’est pas curieux. » On attribue ce mot à Tristan Bernard.

Collection L. Blair.
Madame de Wailly, née Adélaïde-Flore Belleville (1765–1838) Augustin Pajou (Paris 1730–1809 Paris) Date: 1789 Source Metropolitan museum NY

Ses splendides tapisseries de Boucher, ses meubles et ses objets d’art sont couverts pour l’été. Nous essayons dans son grand salon le Pajou « Madame de Wailly »**. Je lui en demande soixante-quinze mille dollars. L’année dernière, pour sept mille dollars, mon prix coûtant, je lui vendu la merveilleuse cheminée Louis XVI en marbre blanc de l’hôtel de Crillon. « Quand on me l’a posée, me dit Blair, j’en ai fait remarquer la beauté à l’entrepreneur qui ne s’occupe que de la pose de cheminées. – Oui, c’est bien, m’a-t-il répondu, mais vous n’avez jamais vu les cheminées que fabriquent Smith & Co. »

à vendre : une cheminée ancienne de l'hôtel Crillon, marbre blanc style Louis XVI

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Notes de l'auteure du blog

* Né le 16 juillet 1872 à Borge, près d'Oslo, Roald Amundsen est le quatrième fils d'un capitaine de marine devenu armateur, Jens Amundsen. Sa mère fait pression sur lui pour l'éloigner de l'activité maritime et souhaite qu'il devienne médecin. Lors du retour triomphal de Fridtjof Nansen après sa traversée du Groenland en ski en 1889, Amundsen, alors âgé de 18 ans, décide de devenir explorateur polaire mais cache ce rêve à ses parents. En 1890, il entame cependant des études de médecine pour sa mère. Après le décès de celle-ci, en 1893, et des examens ratés1,2, il quitte l'université pour une vie de marin. Il est alors âgé de 21 ans et s'engage pour une campagne de six mois sur le phoquier Magdalena. Il poursuit ensuite son apprentissage de marin à bord des navires de la flotte de son père. C'est en 1909 qu'il réalise le rêve de toute sa vie : être le premier homme à atteindre le pôle Nord. Nansen lui prête le Fram et Amundsen se prépare pour une répétition de la dérive de ce dernier à travers l'océan Arctique, un projet prévu pour durer entre quatre et cinq ans2. À cette époque les expéditions polaires sont en plein essor et dans un esprit de compétition entre les nations et entre les hommes, aussi bien pour le Nord (Peary, Cook, Amundsen), que pour le Sud (Scott, Shackleton). Cette rivalité va faire basculer le destin d'Amundsen : le 1er septembre 1909, Frederick Cook annonce qu'il a atteint le pôle Nord le 21 avril. Six jours plus tard, Peary annonce qu'il a atteint le pôle Nord, lui, le 6 avril. La grande controverse du pôle Nord commence.
Source Wikipedia

** Le modèle était la femme de l'ami de toujours de Pajou, Charles de Wailly, un compagnon de sa vie d'étudiant à Rome. De Wailly, architecte de la cour de Louis XVI, avait construit des maisons voisines pour Pajou et lui-même, et Pajou exécuta des bustes de l'architecte et sa femme. Après la mort de son mari, Mme de Wailly épousé M. de Fourcroy, un médecin et chimiste. 
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963