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mardi 14 juillet 2015

4ème Carnet - 8 au 14 décembre 1918

8 décembre. – « Le Dit des jeux du monde ».


Pièce cubiste de Paul Méral, en quatre suites, musique de A. Honegger, danses de G.P. Fauconnet, au théâtre du Vieux-Colombier. Elle n’est point sans mérite cette pièce que l’on siffle, où l’on se bat, comme hier soir, paraît-il.

11 décembre. – Sur un Vigée-Lebrun et un mobilier. 

Nathan Wildenstein rappelle qu’il a offert quatre cent quarante mille francs du Vigée-Lebrun Polignac et il dit à Veil-Picard qu’il achèterait bien un million deux cent mille francs le mobilier rose des Laroche-Guyon composé de douze fauteuils et de deux canapés.

12 décembre.

Depuis l’armistice, tous les commerces se plaignent vivement de l’arrêt des affaires.

13 décembre. – Collection Denys Cochin. *


Le Baron Denys Cochin et la Baronne dans leur intérieur

Il en demande un million quatre cent mille francs.

14 décembre. – Le président Wilson à Paris.



Des amis m’ont invité à venir le voir passer du haut de leur balcon, avenue du Bois, mais je préfère me mêler à la foule et, avenue du Bois même, près de la rue Spontini, je trouve une excellente place : je poserai un pied sur le rebord d’un réverbère et l’autre sur un de ces grillages qui entourent les pelouses. Le canon tonne, Wilson débarque. Des hurrahs frénétiques. Le voilà. Le voici.


Son rictus ressemble à des parenthèses gigantesques que, tour à tour à volonté, il rapproche et éloigne, qu’il allonge et diminue, et c’est avec ce merveilleux instrument qu’il conquiert la foule, comme avec sa façon familière d’agiter son chapeau qu’il tient, le bras allongé, en l’air, très droit, du bout des doigts et qu’il tourne avec rapidité comme un miroir à oiseaux.

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Note de l'auteure

* Fils d'Augustin Cochin (1823-1872), Denys Cochin fit ses études au Collège Stanislas et au lycée Louis-le-Grand puis s’engagea, à l’âge de 19 ans, en 1870, comme maréchal des logis au 8e cuirassier, avant de devenir porte-fanion du général Charles Denis Bourbaki.
Après la guerre, il fut pendant un an comme attaché d’ambassade à Londres auprès du duc de Broglie. De retour en France, en 1872, il entreprit des études de chimie, dans le laboratoire de Pasteur notamment. Chimiste éminent, il participera, pendant la Première Guerre mondiale, au développement de nouveaux explosifs et d'armes chimiques. Élu conseiller municipal du 7e arrondissement en 1881, il fut député de Paris de 1893 à 1919. Il fut l'un des principaux porte-paroles du parti catholique à la Chambre : après avoir amené - par une interpellation - le ministre Spuller à se déclarer favorable à un « esprit nouveau » à l'égard des catholiques, il défendit les libertés scolaires et les congrégations religieuses contre les attaques des gouvernements Waldeck-Rousseau et Combes.
Symbolisant le ralliement des catholiques à l’« Union sacrée », il fut ministre d’État dans le cabinet Briand (29 octobre 1915 - 12 décembre 1916), puis sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, chargé de la question du blocus allemand, dans le cabinet Ribot (20 mars - août 1917) dont il démissionna en constatant la rupture de l’« Union sacrée ». Il déclara alors :
« Pitié mon Dieu ! Vous êtes notre Père
À genoux, vos enfants sont en pleurs
Protégez-nous tout le temps de la guerre
Que nos soldats soient partout les vainqueurs
Pitié mon Dieu ! Pour la France coupable !»
Il a laissé plusieurs ouvrages dont : L’Évolution de la vie (1885, couronné par l’Académie française), Le Monde extérieur (1895), Contre les barbares (1899), L’Esprit nouveau (1900), Ententes et ruptures (1905). Il fut élu à l’Académie française le 16 février 1911.
Amateur d'art, Denys Cochin achète chez Durand-Ruel des tableaux impressionnistes, notamment de Claude Monet. En 1895, Denys Cochin commande à Maurice Denis une décoration d'ensemble pour son bureau sur un sujet tiré de la légende du Beau Pécopin, racontée par Victor Hugo dans Le Rhin, et de la légende de saint Hubert. Le choix de ces sujets illustre sa passion pour la vénerie, qu'il pratique en forêt de Fontainebleau, au départ de sa propriété de Beauvoir (Seine-et-Marne). Les sept panneaux de cette décoration sont conservés au Musée Maurice Denis. Albert Besnard réalise son portrait en 1902 (collection particulière).

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 14 mars 2015

2ème Carnet - 5 JUIN 1918

5 juin. – Sur le président Wilson. 



« C’est dans la chaire que ma mère, mon frère et moi avons fondée à l’université de Princeton que Wilson vint en 1890 professer », me raconte Harold McCormick, un millionnaire de Chicago. « Mon frère se trouvait à Princeton quand Wilson y faisait aussi ses études, tandis qu’en cette même université je fus plus tard son élève. Il y enseignait le droit romain, la jurisprudence, l’économie politique, les lois internationales. Ses cours étaient si populaires que la chapelle seule était assez grande pour contenir ses auditeurs. 

Woodrow Wilson (1856–1924), Class of 1879. Sidney Edward Dickinson, American, 1890-1980. Oil on canvas, 1929, 150.5 x 100 cm. (59 1/4 x 39 3/8 in.). Princeton University, gift of William Church Osborn, Class of 1883, and friends. Photo: Bruce M. White

« Afin de faire comprendre au peuple américain pourquoi il devait se battre, Wilson lui a dit « It is for democracy. » Nos ennemis ont répondu : « La démocratie, « vain mot, inventé comme prétexte. » Et moi, je vous dirai, monsieur Gimpel, que dès son adolescence, sur les bancs de l’école, Wilson étudiait les questions de démocratie. Comme professeur, il nous en enseignait l’esprit. Comme président de l’université, il a combattu pour l’imposer à Princeton où il fut vaincu par le parti conservateur. Elu en 1902 président de l’université par le comité des directeurs, il veut, pour le bien du pays, relever le niveau des études et rendre les concours plus difficiles. Opposition. Puis il déclare que les sports sont nécessaires à tous, que la santé du corps importe à celle de l’esprit. Il n’a trouvé à Princeton que quelques athlètes se donnant en spectacle. Il déclare : « Pas de concours d’athlètes, je veux une hygiène « égale et générale. » Ses adversaires crient : « Que deviendra Princeton dans les « concours inter-collèges ? » Il jure qu’il s’en moque. Ce n’était pas assez, il commence le siège d’une troisième tour d’ivoire : le club. Ils ont grandi, très fermés, tout au moins à un élève sur deux. L’exclu est méprisé, non seulement au collège mais aussi au dehors ; non seulement au temps des études mais dans la vie. « Halte-là ! crie Wilson, cet ostracisme est en opposition avec l’esprit de démocratie. » Mais si Wilson n’ignore pas que les élèves des clubs ne sont pas les plus intelligents, il ne se doute pas de la force qu’ils doivent à la richesse et il sous-estime les haines qu’il soulève. Le comité des directeurs et les professeurs se liguent avec les élèves pour lui donner le dernier assaut. Il vient d’être question d’édifier, aux environs de Princeton, un collège pour les élèves ayant obtenu leur diplôme universitaire, et désirant entreprendre des études plus poussées ou se spécialiser. « Très bien, dit Wilson, mais si nous trouvons l’argent, il faut bâtir à Princeton même, car les élèves doivent rester liés à présent, et dans l’avenir. Or, la distance séparant les bâtiments conduira à une rupture entre les élèves, ce qui est contraire à l’esprit de démocratie, lequel consiste à donner les mêmes chances à tous. » 

Photo prise en 1919. De gauche à droite : Lloyd George, Premier Ministre britannique, Vittorio Orlando, président du Conseil italien, Georges Clémenceau, président du Conseil français, et Woodrow Wilson, Président des Etats-Unis. / Crédits : AFP(source)

« Entre temps, West, un professeur de latin, adversaire de Wilson, avait été frapper à la porte de ceux des anciens élèves de Princeton qui avaient fait fortune. À Chicago, il suggéra à un gros donateur nommé Proctor, enrichi dans la vente du savon, d’exiger l’éloignement du nouveau collège. Wilson dit : « Nous devons « refuser cet argent donné dans un esprit contraire à l’esprit démocratique. » Tout le monde le déclare fou, même mon frère qui faisait partie du comité des directeurs. Refuser un million de dollars ! Soutenir qu’il est plus nuisible qu’utile ! Ce président est un illuminé et un inconscient ! Wilson assure que si l’on accepte, il donnera sa démission. L’argent fut pris et il partit. Peu après, la place de gouverneur de l’État de New Jersey étant vacante, elle lui fut proposée et il fut élu. C’est ainsi qu’il est entré dans la politique. On ne peut reconstruire le passé, mais il est bien probable que sans ses luttes à Princeton afin d’y faire régner son ardent amour pour la démocratie, il y serait encore aujourd’hui. »

5 juin. – Abattoirs.


McCormick* n’est pas le « self made man » ; il est né riche, est sorti d’une université, a parcouru l’Europe, y a séjourné ; il ne manque pas de distinction et quand il dit qu’il est de Chicago, on sait qu’on ne se trouve pas devant un boucher enrichi, un « packer » ou empaqueteur. McCormick me raconte une visite qu’il fit avec des amis aux abattoirs d’un des magnats du lard, obéi dans les établissements comme un général et craint comme un sultan. Le boucher conduisit ses visiteurs dans les chambres froides devant les animaux suspendus, alignés dans un ordre superbe, et il caressait le dos d’un bœuf, fier comme un artiste, il en faisait admirer la couleur, le luisant, la forme, la graisse, les marbrures. « Vous n’avez jamais pu, m’assura McCormick, chanter avec tant d’ivresse la beauté de votre plus beau tableau ! » 

Un autre « packer » qu’il a connu, riche de plus de dix millions de dollars, ne pouvait se passer d’aller boire tous les jours un verre de sang tout bouillant. Usé, fini, aux derniers jours de sa vie, malgré la défense de son docteur, malgré les supplications de sa famille, il se traînait à l’abattoir pour boire là, bien chaud, sortant de l’animal, son bol de sang.

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Note de l'auteure du blog :

* Robert R. McCormick (1880-1955) a mené une vie passionnante. Ses intérêts allaient de journalisme à la chasse au renard en passant par l'aviation. Il croyait dans la fonction publique et a été élu conseiller municipal de Chicago en 1904 et président du district sanitaire de la ville en 1905. Il est devenu soldat, servant dans la Garde nationale de l'Illinois en 1915 et dans la Première Division d'infanterie pendant la Première Guerre mondiale. Il a atteint le grade de colonel.
En 1911, il a été élu président de la Tribune Company et a consacré sa vie à la publication et à l'édition du Chicago Tribune. Il a parallèlement créé un empire médiatique important, comprenant aussi des stations de radio et de télévision, des usines de papier journal intégrées et, bien sûr, des imprimeries. 
Il menait une vie d'un gentleman-farmer, dirigeant des fermes expérimentales à Wheaton et à Yorkville.
Il s'est marié deux fois, d'abord à Amy Adams Irwin, qui vivait à Cantigny jusqu'à sa mort en 1939, et plus tard dans le Maryland avec Mathison Hooper, avec qui il a parcouru le monde. À sa mort, sa volonté il a créé une fondation charitabl, connue aujourd'hui comme la Fondation McCormick, finançant des programmes pour favoriser le développement de citoyens instruits, informés et engagés.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963