Gimpel en 1910
Source des photos de famille de Gimpel Archives of American Art
Jean Guéhenno, de l’Académie française.
Je n’écris pas sans scrupules cette préface. La seule amitié peut m’autoriser à le faire, je n’ai pas connu René Gimpel, mais je connais ses fils. Les épreuves des années noires ont rapproché nos familles.
Je tiens bien à dire, dès l’abord, que le premier à qui on doive la publication de ce Journal est l’écrivain Georges Navel, l’auteur si vrai de Travaux, de Chacun son Royaume. C’est à lui que Jean Gimpel confia le déchiffrement du manuscrit qu’une vieille amie de la famille, pendant l’occupation avait, par préférence, sauvé du pillage des Allemands. Il consiste en 22 énormes carnets, de ces « registres à copies » qu’emploient les commerçants. Sa seule apparence eût désespéré les éditeurs. G. Navel avait reconnu tout de suite la valeur du témoignage et travailla à l’établir.
Lorsqu’au temps de l’occupation, on demandait à Jean Gimpel, le cadet, quand il était entré dans la Résistance, il répondait avec humour : « En 1870 ». Le vrai est que son grand-père, Alsacien, n’avait pas accepté le traité de 1871, avait quitté l’Alsace et était venu vivre à Paris. De génération en génération, de père en fils, on avait eu depuis la passion de la France, et « résisté ». En 1914, l’auteur de ce journal, René Gimpel, malade, ne fut pas admis dans les armées. Cette impossibilité de servir lui avait été une grande souffrance et n’avait fait qu’exalter son patriotisme. En juin 1940, René Gimpel et ses fils étaient prêts pour toutes les épreuves et tous les combats. Je ne dirai rien de ce que firent ses fils, puisqu’ils ne le permettent pas. Mais voici ce qu’était le père, et quel homme a écrit ce Journal.
Le grand-père ouvrit à Paris en 1889 une galerie qui eut un grand succès. En 1902, il en ouvrit une autre aux Etats-Unis. En 1918, René Gimpel était, au moment où commence ce Journal, un très célèbre marchand de tableaux. Pourquoi se met-il à ce Journal ? J’imagine, au dé-part, pour le seul plaisir. Il a le goût de l’esprit et il veut se souvenir. Il sait, il sent que son métier lui est l’occasion de curieuses rencontres. Il s’en amuse ou s’en émeut. Il y a ces hommes étranges, parfois incroyablement riches, difficiles à manier, parce que leur culture n’est pas tou-jours égale à leur richesse, avec qui on s’en tire par des plaisanteries : les collectionneurs ; il y a les amateurs, les experts, et il y a les artistes, ces autres hommes étranges qui ne savent d’eux-mêmes jamais bien ce qu’ils sont et que le rapport toujours inattendu avec le public, avec l’acheteur, jette dans tous les excès de la confiance ou du désespoir… Il peut y avoir dans ces pages quelquefois de la légèreté et du bavardage. Le milieu même en est la cause, et René Gimpel, somme toute, s’en amuse le premier. Il est bavard et aime les bavards. Mais, au-delà, on devine, on rencontre un homme infiniment gentil, bon, si généreux qu’il pouvait être dupe, très attaché à sa famille et, dans le fond, très grave. Il a la passion du savoir, et me sorte d’instinct des grandes choses. Ainsi de simple marchand est-il devenu grand connaisseur, expert lui-même (pour le musée de Détroit, aux États-Unis). Et peu à peu le souci des vraies richesses, une grande curiosité d’esprit qui peut aller jusqu’à l’agitation, certaine bizarrerie aussi peut-être, le font s’intéresser à toutes sortes de problèmes, jusqu’à négliger parfois, me semble-t-il, ce que d’aucuns jugeraient le principal de son métier, le commerce.
S’il fallait caractériser d’une phrase l’impression générale que laisse la vie de René Gimpel, peut-être pourrait-on dire : « Un homme parti du papotage parisien et de quelque snobisme inconscient s’élève jusqu’à la fraternité humaine avec le même naturel et la même élégance qu’il y avait dans sa vie mondaine. »
Je tiens bien à dire, dès l’abord, que le premier à qui on doive la publication de ce Journal est l’écrivain Georges Navel, l’auteur si vrai de Travaux, de Chacun son Royaume. C’est à lui que Jean Gimpel confia le déchiffrement du manuscrit qu’une vieille amie de la famille, pendant l’occupation avait, par préférence, sauvé du pillage des Allemands. Il consiste en 22 énormes carnets, de ces « registres à copies » qu’emploient les commerçants. Sa seule apparence eût désespéré les éditeurs. G. Navel avait reconnu tout de suite la valeur du témoignage et travailla à l’établir.
Lorsqu’au temps de l’occupation, on demandait à Jean Gimpel, le cadet, quand il était entré dans la Résistance, il répondait avec humour : « En 1870 ». Le vrai est que son grand-père, Alsacien, n’avait pas accepté le traité de 1871, avait quitté l’Alsace et était venu vivre à Paris. De génération en génération, de père en fils, on avait eu depuis la passion de la France, et « résisté ». En 1914, l’auteur de ce journal, René Gimpel, malade, ne fut pas admis dans les armées. Cette impossibilité de servir lui avait été une grande souffrance et n’avait fait qu’exalter son patriotisme. En juin 1940, René Gimpel et ses fils étaient prêts pour toutes les épreuves et tous les combats. Je ne dirai rien de ce que firent ses fils, puisqu’ils ne le permettent pas. Mais voici ce qu’était le père, et quel homme a écrit ce Journal.
Gimpel et sa famille en 1917
Source des photos de famille de Gimpel Archives of American Art
Le grand-père ouvrit à Paris en 1889 une galerie qui eut un grand succès. En 1902, il en ouvrit une autre aux Etats-Unis. En 1918, René Gimpel était, au moment où commence ce Journal, un très célèbre marchand de tableaux. Pourquoi se met-il à ce Journal ? J’imagine, au dé-part, pour le seul plaisir. Il a le goût de l’esprit et il veut se souvenir. Il sait, il sent que son métier lui est l’occasion de curieuses rencontres. Il s’en amuse ou s’en émeut. Il y a ces hommes étranges, parfois incroyablement riches, difficiles à manier, parce que leur culture n’est pas tou-jours égale à leur richesse, avec qui on s’en tire par des plaisanteries : les collectionneurs ; il y a les amateurs, les experts, et il y a les artistes, ces autres hommes étranges qui ne savent d’eux-mêmes jamais bien ce qu’ils sont et que le rapport toujours inattendu avec le public, avec l’acheteur, jette dans tous les excès de la confiance ou du désespoir… Il peut y avoir dans ces pages quelquefois de la légèreté et du bavardage. Le milieu même en est la cause, et René Gimpel, somme toute, s’en amuse le premier. Il est bavard et aime les bavards. Mais, au-delà, on devine, on rencontre un homme infiniment gentil, bon, si généreux qu’il pouvait être dupe, très attaché à sa famille et, dans le fond, très grave. Il a la passion du savoir, et me sorte d’instinct des grandes choses. Ainsi de simple marchand est-il devenu grand connaisseur, expert lui-même (pour le musée de Détroit, aux États-Unis). Et peu à peu le souci des vraies richesses, une grande curiosité d’esprit qui peut aller jusqu’à l’agitation, certaine bizarrerie aussi peut-être, le font s’intéresser à toutes sortes de problèmes, jusqu’à négliger parfois, me semble-t-il, ce que d’aucuns jugeraient le principal de son métier, le commerce.
S’il fallait caractériser d’une phrase l’impression générale que laisse la vie de René Gimpel, peut-être pourrait-on dire : « Un homme parti du papotage parisien et de quelque snobisme inconscient s’élève jusqu’à la fraternité humaine avec le même naturel et la même élégance qu’il y avait dans sa vie mondaine. »
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