Avenue du Bois, Jacques Doucet (*) se promène. Tu as plus de soixante ans et tu es resté le beau Jacques.
Jacques Doucet (source musée Angladon)
Ta barbe blanche que j’ai connue très blonde fut toujours taillée comme un jardin à la française. Tu portes tes vêtements comme tes mannequins tes robes.
Un défilé particulier chez Jacques Doucet (Source Head to toe fashion art)
Couverture du catalogue de la vente Doucet en 1912 (source Diktat)
Tu as formé une collection de XVIIIe d’un goût très fin. Elle ne t’a pas coûté trois millions, la vente publique en a produit quatorze(**).
Chez Jacques Doucet, à la fin de sa vie (source Le favori)
Et pour cette collection, tu avais construit, aidé par le décorateur Hœntschel, un cadre superbe que tu as quitté le lendemain de la vente publique. J’y habite aujourd’hui (19, rue Spontini). Cette vente ! Ce départ ! Une peine d’amour. Tu l’as dit et je te crois. Tu aimais Mme X… et elle divorçait pour toi. Tu allais l’épouser, elle est morte. Personne n’a pensé que tu pouvais être aussi sentimental car on te hait pour ton orgueil, dont tu souffres et qui fait que tu ne reçois pas de tes bienfaits la juste récompense.
Tu n’entres pas à l’institut, où tu devrais siéger pour lui avoir fait le don magnifique de ta bibliothèque d’art et d’archéologie, monument unique au monde, trésor pour les savants, les curieux et les chercheurs, et qui t’a coûté des millions(***).
Jacques Doucet avec le peintre Picabia (source musée Angladon)
Tu as aussi le mérite d’encourager les artistes et d’avoir senti presque avant quiconque la renaissance actuelle de l’art décoratif (****). Comme on a ri de toi, il y a six ans, au moment de ta volte-face artistique ! Aujourd’hui on commence à t’imiter. Tu t’éloignes. Nous nous retrouverons.(*****)
--------------
Notes de l'auteur du blog
(*) Jacques Doucet, né à Paris le 19 février 1853 et mort à Paris le 30 octobre 1929, est un grand couturier, collectionneur et mécène français, personnalité de la vie artistique et littéraire parisienne des années 1880-1920.
Propriétaire d’un magasin hérité de sa mère, rue de la Paix, Jacques Doucet fonde à Paris une des premières maisons de haute couture. Sa riche clientèle d’actrices et de femmes du monde — Réjane, Sarah Bernhardt, Liane de Pougy, la Belle Otéro — lui assure une fortune et lui permet de satisfaire ses passions d’amateur d’art et de bibliophile. Après avoir réuni des objets d’art du xviiie siècle — tableaux, dessins, sculptures, œuvres d’ébénisterie et de marqueterie —, il s’intéresse aux livres de cette même époque. En 1912, il vend cette première collection pour acquérir des toiles de Manet, Cézanne, Degas, van Gogh, Bakst, Arthur Jacquin.
Source Wikipedia
Source Wikipedia
Personnage hors du commun et demeuré largement méconnu du grand public, Jacques Doucet fut l'habilleur des femmes peintes par Proust et fréquentées par les frères Goncourt. Ce grand couturier était avant tout un mécène d'une générosité rare (mécène du groupe surréaliste notamment), un collectionneur d'un goût très sûr et d'une intelligence inouïe. Surnommé par l'écrivain André Suarès "le magicien", Doucet s'est étrangement appliqué à gommer toute trace de lui, ne nous léguant que le meilleur de lui-même : ses collections et ses bibliothèques.
Source France Inter l'Humeur vagabonde
(**) A la naissance du XX siècle, Jacques Doucet a déjà rassemblé une collection classique de mobilier et tableaux du XVIII siècle français : La Tour, Chardin, Watteau, et du mobilier de Roentgen ou Jacob. Il prépare sa demeure en vue de son mariage avec une jeune femme issue d’une famille noble. 1912 : la noce est annulée. Alors il vend tout aux enchères, d’un coup. Les journaux titreront « La vente du siècle » après l’obtention des 15 millions de francs or pour cette opération déjà très médiatique. Source les Echos
(***) Le critique d’art Pierre Cabanne, dans son livre sur les grands collectionneurs, parle à son propos d’une « impassible curiosité ». Froid, distant, aimant le luxe, mais en quête d’une chose indéfinissable qui s’appelle l’avant-garde. Quant à son biographe, François Chapon, il remarque avec esprit que le secret de l’équilibre de ses collections tient certainement au fait que «peut-être, il tenait des habitudes mentales de sa profession le sens des ensembles».L’anomalie dans son attitude était cependant sa discrétion. Doucet aura repoussé les honneurs que lui offraient les officiels. « Au représentant du ministre, venu lui proposer le ruban rouge, il réplique : "Donnez-le à mon secrétaire, il lui sera plus utile."» Il tient aussi à la dédramatisation de ses gestes généreux. Ainsi, lorsque le président de la République vient inaugurer les nouveaux locaux de sa bibliothèque, qu’il rend accessible au public, et qu’il l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à sa création, il répond : «Parce que cela m’amusait.»
Source les Echos
(****) Le grand amateur d’art aura eu plusieurs maisons, mais, à la fin de sa vie, outre son domicile, il possède un studio, écrin Arts déco, pour accueillir le meilleur de ses collections. Dans le vestibule vert pâle trônent « Les Demoiselles d’Avignon », dont Madame Doucet n’avait pas voulu à leur domicile, sous prétexte qu’il s’agissait d’une scène de prostituées. Il ouvre sur un cabinet oriental rempli de porcelaines chinoises, de cristaux, d’émaux et de statuettes bouddhiques. Dans la salle principale, les peintures cubistes de Braque ou Picasso sont somptueusement encadrées - Doucet était particulièrement sensible à « l’habillage » des toiles et des livres -, présentés non loin d’oeuvres primitives de Côte d’Ivoire et d’Afrique centrale. Jeux de lignes, dispositions des volumes… Il était en quête d’une harmonie des formes et des couleurs. Mais sans jamais perdre le sens des affaires : toutes les œuvres avaient été âprement négociées et systématiquement payées en plusieurs traites, y compris auprès des artistes.
Source les Echos
(*****) Le couturier meurt en 1929 des suites d’une maladie cardiaque. Il est esseulé. Les surréalistes lui ont tourné le dos et, dans l’élite, peu de gens se déplacent pour assister à l’enterrement du mécène. Pour voir aujourd’hui quelques bribes de cet exceptionnel ensemble, il faut se rendre à Avignon, dans une fondation peu connue, créée par les héritiers Doucet, Jean Angladon-Dubrujeaud et sa femme Paulette Martin. Là, dans un hôtel particulier provençal du XVIII siècle, on peut admirer entre autres un Van Gogh, un Cézanne, un Degas, cinq Picasso et des Vuillard, Modigliani, Foujita…
Source les EchosSource les Echos
(****) Le grand amateur d’art aura eu plusieurs maisons, mais, à la fin de sa vie, outre son domicile, il possède un studio, écrin Arts déco, pour accueillir le meilleur de ses collections. Dans le vestibule vert pâle trônent « Les Demoiselles d’Avignon », dont Madame Doucet n’avait pas voulu à leur domicile, sous prétexte qu’il s’agissait d’une scène de prostituées. Il ouvre sur un cabinet oriental rempli de porcelaines chinoises, de cristaux, d’émaux et de statuettes bouddhiques. Dans la salle principale, les peintures cubistes de Braque ou Picasso sont somptueusement encadrées - Doucet était particulièrement sensible à « l’habillage » des toiles et des livres -, présentés non loin d’oeuvres primitives de Côte d’Ivoire et d’Afrique centrale. Jeux de lignes, dispositions des volumes… Il était en quête d’une harmonie des formes et des couleurs. Mais sans jamais perdre le sens des affaires : toutes les œuvres avaient été âprement négociées et systématiquement payées en plusieurs traites, y compris auprès des artistes.
Source les Echos
(*****) Le couturier meurt en 1929 des suites d’une maladie cardiaque. Il est esseulé. Les surréalistes lui ont tourné le dos et, dans l’élite, peu de gens se déplacent pour assister à l’enterrement du mécène. Pour voir aujourd’hui quelques bribes de cet exceptionnel ensemble, il faut se rendre à Avignon, dans une fondation peu connue, créée par les héritiers Doucet, Jean Angladon-Dubrujeaud et sa femme Paulette Martin. Là, dans un hôtel particulier provençal du XVIII siècle, on peut admirer entre autres un Van Gogh, un Cézanne, un Degas, cinq Picasso et des Vuillard, Modigliani, Foujita…
--------------
Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire