René Gimpel est né en 1881 à Neuengamme en Allemagne. Son père Ernest Gimpel (1858-1907), fils d'un directeur d'école de Mulhouse, avait épousé Adèle Vuitton (nièce du malletier Louis Vuitton). La famille était juive mais athée.
Ayant fait de mauvaises affaires pendant la guerre de 70, son père devint marchand de tableaux. René fut donc formé dans les traditions classiques de connaisseur. Grand admirateur de Chardin, Gimpel avait une sympathie instinctive pour les contemporains modernes. Ami de Anatole France, et de Marcel Proust dans ses dernières années, il avait une haute estime pour de nombreux professionnels de musée mais une aversion affichée pour les experts qui fournissaient des attributions et des certificats d'authenticité aux peintures sur le marché, particulièrement pour Bernard Berenson.
Il devint, par son mariage le beau-frère de Sir Joseph Duvee, frère de son épouse, Florence. Duveen, dit « Joe » (1869-1939), titré baron Duveen of Millbank, fut qualifié de «plus célèbre et plus spectaculaire marchand de tableaux du siècle».
En 1907, il fit alliance avec Nathan Wildenstein et Duveen pour acheter la collection de Rodolphe Kann, qui comptait, entre autre, dix Rembrandt (selon les attributions de l'époque). Le consortium acheta toute la collection pour 4,2 millions de dollars, puis se la partagea. Des voyages répétés aux États-Unis lui valurent de nouvelles fortunes des ventes aux collectionneurs américains, qu'il brocarde d'ailleurs dans son journal intime, riant de les voit montrer leurs oeuvres "comme des enfants riches exhibant leurs jouets".
Les amis et les intimes de ce mondain à l'affût s'appelaient Marie Laurencin, Georges Braque, Marcel Proust (avec lequel il se lie dès l'été 1907, au Grand Hôtel de Cabourg-Balbec), Auguste Renoir sur la fin de sa vie, Henri Matisse, Jean-Louis Forain («le farouche persifleur» et ses bons mots), Chaïm Soutine (le Russe tourmenté avec sa «face aplatie de moujik»).
En 1918, lorsqu’il commence à consigner ses souvenirs, Gimpel, héritier des galeries créées par son père et associé à Nathan Wildenstein (1852-1934), le fondateur de la sulfureuse dynastie de marchands, est déjà un professionnel reconnu, spécialiste des maîtres anciens dont l’activité s’est élargie, par goût personnel, aux peintres modernes. De New York, où il s’est installé dès 1902 et a contribué à la constitution de nombreuses collections – en dépit d’amateurs américains « qui ont si peu de personnalité » –, à Londres où son père a fait des affaires dans « l’arrière-boutique du vieux Martin Colnaghi », Gimpel relate une somme d’anecdotes, aussi cruelles qu’émouvantes, sur le marché de l’art et la vie artistique de son temps. «Profession des espions», lui dira en mai 1918, avec une certaine sagacité, un commissaire de police en lui délivrant un visa pour se rendre en Seine-et-Marne, alors en zone militaire. Comme il vend des œuvres d’art mais en achète aussi, Gimpel se voit ouvrir de nombreuses portes.
Son journal fut, une première fois, publié chez Calmann-Lévy en 1963, accompagné d'une préface de Jean Guéhenno. Le livre, épais de 487 pages, n'avait pas été republié depuis mais voilà qu'en 2011 une nouvelle édition établie par Claire Touchard, René et Rémy Gimpel, forte de 754 pages, donc enrichies de nouvelles notes et surtout affichant en clair plus de noms que la première, fut publiée aux éditions Hermann. Le livre, disponible pour 35,50€, est disponible à l'achat ici.
Le contenu de cet épais bouquin est, pour les amateurs d'art, absolument passionnant. Gimpel étant mort le 1er janvier 1945 (ou le 3 selon les sources), je pensais qu'il devenait libre de droits aujourd'hui. Mais je crains que le statut de l'auteur doive le faire considérer comme "mort pour la France" : en effet, issu d'une famille qui avait fui l'Alsace, scandalisée par les termes du traité de 1871, il était lui aussi animé par cet esprit de révolte qui le conduisit à s'enrôler, comme ses trois fils, dans la Résistance. Interné par Vichy, puis arrêté par les Allemands, il fut déporté à Neuengamme où il mourut en janvier 1945, ayant préparé ses codétenus à la Libération en leur enseignant l'anglais à travers des promenades virtuelles dans les grands musées du monde. Moyennant quoi, ses écrits n'entreraient dans le domaine public que dans 30 ans. Ce qui explique la réédition récente de son livre.
Mais le livre est tellement passionnant, à lire au compte-goutte, quelques pages par-ci, quelques pages par-là, que j'ai formé le projet, en m'appuyant sur l'édition 1963 que je possède (ainsi je ne fais pas de tort à la réédition) de le publier petit à petit, en illustrant ses écrits de commentaires ou d'ajouts iconographiques pour en améliorer la lecture. Les lecteurs de ce blog qui seront intrigués par l'ouvrage pourront acheter l'édition papier (il n'existe aucune version numérique) de 2011 pour le lire "d'un trait" !! Je pense ainsi que ce blog, loin de nuire à l'éditeur, devrait lui apporter quelques lecteurs supplémentaires qui auront découvert le livre ici.
--------------
Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
Voilà Michelaise, dont la passion et la compétence n'ont vraiment pas de frontières, partie pour une très intéressante nouvelle aventure dans le domaine de l'Art et son histoire, qu'encore une fois nous pouvons partager avec elle... Merci !!
RépondreSupprimerMerci à toi Siu, de ta fidélité, de ta curiosité et de ton inépuisable indulgence. Si tu savais combien je me fais plaisir en entamant ce nouveau blog !!
RépondreSupprimer