samedi 17 janvier 2015

1er Carnet - 17 février 1918

17 février. – Nos origines. 

Portrait d'Ernest May par Degas (source l'histoire par l'image)(*)

Je déjeune avec Ernest May, banquier et amateur.

Adoration des mages de Quentin Metsys, au metropolitan museum de New York (source Rivage de Bohême)

C’est un Quentin Metsys, le Roi mage au nez busqué et aux mains jointes du tableau de la collection Rodolphe Kann qui est aujourd’hui au Metropolitan Muséum. C’est aussi la tête du peseur d’or de tous les artistes de la Renaissance mais sans nulle âpreté. C’est le peseur moderne de choses et d’idées. Aussi est-il très riche. 
— Je retrouve en vous, me dit-il, votre père. Je l’aimais beaucoup. N’est-il pas mort en Amérique ?

René Gimpel enfant en 1890 (donc sans doute avec son père) : il a 9 ans, et déjà ils se ressemblent fort - Source : Archives of American Art

— Oui, au début de 1907. On nous prenait souvent pour des frères, il semblait si jeune et il l’était. Mais il dégageait de sa personne une sympathie bien plus que vive. C’était un charmeur avec son éternel sourire et son visage coloré. Quelques-uns de ses amis l’appelaient : le Franz Hais français.

Nathan et Goerges Wildenstein en 1908 (source Wikipedia)

— J’ai aussi connu votre associé, Nathan Wildenstein, et à ses débuts dans l’antiquité. Il a fait du chemin ! 
— Ce devait être au 56, rue Laffitte. 
— Non, avant qu’il eût un magasin, cité du Retiro, dans un appartement au deuxième. Il exerçait alors le métier d’intermédiaire. 
— Il avait d’abord vendu des cravates à Strasbourg, puis s’était installé antiquaire à Vitry-le-François, pour terminer à Paris. Il m’a raconté que rue Laffitte il ne parvenait pas toujours à payer son loyer le jour du terme et il ne passait alors qu’entre chien et loup devant la loge de sa concierge.

Le billet doux de Fragonard (source La belle saison)

Vingt ans plus tard, il achetait avec mon père à la vente Crosnier Le Billet doux de Fragonard, pour cinq cent mille francs et, en 1907, avec la maison Duveen, de Londres, et moi, la collection Rodolphe Kann pour dix-sept millions de francs. 
— Votre père l’a beaucoup aidé, que j’ai connu, 9 rue La Fayette.
— Oui, mais c’est Nathan Wildenstein – c’était en 1889 – qui lui a conseillé d’entrer dans ce métier. Mon père était à la Bourse et il eut aussitôt comme clients les grands financiers, les Rothschild, Bardac, Albert Lehman, Strauss, Stern, et vous-même, je crois. Puis, sachant l’anglais, il amena Wildenstein en Angleterre, où il était alors possible d’acheter de splendides tableaux français à des prix dérisoires. L’arrière-boutique du vieux Martin Colnaghi, dans Pall Mall, fut une mine inépuisable.

Jean Antoine Watteau (1684-1721) Le rêve de l’artiste, 1707 ou 1719, collection particulière.

Ils trouvèrent là pour dix mille francs Le Rêve du poète de Watteau qu’ils cherchèrent vainement à vendre vingt mille francs. Ils l’oublièrent pendant dix ans dans une réserve et, quand ils le sortirent, ils demandèrent cent cinquante mille francs et David-Weill l’acquit, qui l’avait vu quand il était arrivé de Londres ; mais on lui en avait alors demandé trop peu. 
— Moi, Monsieur Gimpel, je n’ai jamais mis plus de dix mille francs dans une toile. Vous avez connu Groult, la grande figure d’amateur du XIXe siècle ; il avait de l’esprit et voici un de ses mots qui nous peint tous, les vrais curieux. Groult montre à des amis un tableau qu’il a payé un grand prix et ils l’en félicitent, mais Groult les arrête : « Je donnerais cinquante mille francs de plus pour l’avoir découvert pour cent francs. »

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Notes de l'auteure du blog
(*) Dans cette scène de genre dont le titre nous indique qu’elle se passe à la Bourse, Edgar Degas a justement représenté des hommes d’affaires en redingote et chapeau haut de forme, comme le veut la mode bourgeoise de l’époque, qui s’entretiennent sous le péristyle du palais Brongniart. Dans ses carnets, le peintre a précisé que les deux hommes au centre du tableau sont Ernest May, le visage allongé et les binocles sur le nez, qui était l’administrateur-directeur de la Banque franco-égyptienne, et derrière lui, son associé, un dénommé Bolâtre, à la silhouette trapue. Source l'histoire par l'image

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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