mercredi 21 janvier 2015

1er Carnet - 2 mars 1918

2 mars. – Coquines de fleurs. 

Marchande de fleurs ambulante, Paris 25 juin 1918 , rue Cambon

Mme Ruffier, marchande de fleurs, rue Scribe, qui fut belle fille, a le plus joli choix de Paris. Les fleurs chez Lachaume sont peut-être aussi belles, mais Mme Ruffier possède l’art de les savoir assembler. Chaque corbeille est un tableau. C’est une fille de Paris. Elle peut, aujourd’hui, porter collier de perles tandis qu’elle vend à moins riche qu’elle, mais elle ne peut pas effacer l’empreinte de ce peuple des faubourgs parisiens d’où elle sort et qui enfante tant d’artistes. Aussi vaut-elle cent fois mieux nature quand le client n’est pas là, ce qui est rare. 
— Comme vos fleurs embaument, madame Ruffier ! 
— Ah ! les fleurs, quelles coquines ! Moi qui suis entrée là-dedans parce que je les aimais, si vous saviez à quoi ça sert, quelle dégoûtation ! Au commencement ça me gênait, j’avais le cœur poétique ; des hommes qui avaient de gentilles petites femmes envoyaient à des rombières des fleurs à se pâmer devant. Ces femmes-là, ça ne connaît pas la fleur. Les hommes, comme ils sont bêtes ! J’ai un client qui, chaque fois qu’il envoie des fleurs à sa maîtresse, disons pour deux cents francs, adresse une corbeille à sa femme, d’environ quarante francs, et croit qu’il doit s’excuser auprès de moi : « Ma femme ne comprend pas la beauté des fleurs. » Il est vrai, monsieur Gimpel, que si nous ne devions compter que sur les légitimes pour vivre ! Pourtant, moi, j’aime vendre des fleurs à ceux qui les aiment. L’autre jour, un monsieur m’achète, pour une actrice, une corbeille de douze cents francs. J’accompagne mon garçon de peur qu’il ne l’abîme : « Attention, là. au couloir. Prenez garde à la porte. » J’arrive très fière dans le salon de la dame et la bouche en cœur, je lui dis : « Voilà la corbeille. » – « Ah ! l’andouille, s’écrie-t-elle, en ces temps de guerre et de disette il aurait mieux fait de m’envoyer du sucre. »
« Vous comprenez si ça vous flanque un coup : aussi je sais rigoler quand un homme qui a un nom envoie une corbeille de deux cents francs pour bien se faire recevoir, et, après deux ou trois accueils qui ont satisfait ses désirs, tire sa révérence. » 

La rue Scribe source CPArama

Pause. Entrée d’une cliente, jeune, élégante, suivie d’un bel officier. Mme Ruffier la sert. Choix rapide. Sortie. Elle me dit : « C’est la jolie X… 
— Elle est bien. 
— Et deux fois par semaine je vois son vieux qui ne manque jamais de murmurer à mon oreille, en confidence : « Dire que je suis le seul à posséder cette beauté ravissante ! » Mais la province est encore pire. Un homme de Carcassonne, l’autre matin, m’achète des œillets pour une amie laissée là-bas dont il me dicte l’adresse. Au même moment, une femme entre. C’était la sienne. « Ma chérie, lui dit-il tendrement, prends ces œillets, je te préparais cette surprise. »


« Et les pères qui viennent me demander comment leurs filles se procurent des fleurs quoique d’institutrices accompagnées. Et les femmes mariées qui me menacent de faire saisir mes livres, pour savoir si elles sont cocues. Ah ! ces fleurs, ce qu’elles sont coquines ! »

Conscrits de la classe 1919 - Source ici

Dans le métro. 
Chaque soir, sur les grands boulevards, des monômes de conscrits de la classe 19 hurlent : « On les aura ! » Ici, ils chantent le refrain : « Il est cocu, le chef de gare. » Bientôt quatre ans de guerre et l’ardeur n’est pas tombée ; malgré plus d’un million de morts et de quatre millions de blessés !

Hubert Robert : Le Jet d’eau du bosquet des Muses à Marly

Vente Ledoux : présentation de la vente. Reporté au 5 mars, jour de la vente Ledoux

Antoine Watteau, L'enseigne de Gersaint - Château de Charlottenburg, Berlin (Allemagne)

Sur l’enseigne de Watteau.
On parle au 57 de beaux tableaux qui furent contestés. Nathan Wildenstein dit : « Michel Lévy prétend qu’il a la vraie, que celle de l’empereur d’Allemagne est fausse. J’ai pourtant offert un million de marks de cette dernière. Ce cochon de Guillaume a une lettre de moi (1). Cette toile vaut le double. »
On lui demande qui a servi d’intermédiaire et il répond : « Deux hommes, Ludwig Rosenthal, le marchand, fournisseur de la cour, qui avait acheté à Guillaume quelques manuscrits, et un chambellan de l’empereur qui lui transmit mon offre qu’on avait exigée par écrit ; j’en possède la copie. C’était au beau milieu de la polémique soulevée par l’amateur français et dont tous les journaux s’étaient emparés. Guillaume n’avait pas l’intention de vendre mais cherchait une attestation. Ah ! il n’avait pas besoin de la mienne, la France s’était portée à son secours et surtout le gouvernement français qui avait si peur de l’indisposer et qui fit donner toutes les batteries. Nos ministres mirent en branle la Société de l’art français qui, par l’intermédiaire de l’écrivain d’art Alfassa, fut chargée de réfuter chaque argument de Michel Lévy. Le Louvre, en entier, avait reçu l’ordre de marcher contre ce dernier. On tremblait si fort que si Guillaume avait eu la copie, le gouvernement aurait donné l’ordre d’en faire un original ! »(2)

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Notes de l'éditeur du journal d'un collectionneur
(1) Cette lettre date du 11 juin 1910.
(2) Nathan Wildenstein a reconnu comme vrai le tableau de Michel Lévy. Je suis aussi persuadé qu’il est de Watteau. (Note de 1939)
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Note de l'auteure du blog
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Hortense-Félicité, naît le 11 Février 1715. Elle est la quatrième et avant-dernière enfant de Louis III de Nesle et d’Armande-Félicitée de La Porte-Mazarin. ... Le 21 Janvier 1739, sous l'instigation de sa tante, la belle Hortense est mariée à François-Marie de Fouilleuse, marquis de Flavacourt (1708-1763), maréchal de camp. ... D’une grande beauté, la marquise de Flavacourt est remarquée par le roi qui, séduit, commence à lui faire des yeux doux. Hortense résista à ses assiduités et évita son lit bien que ce dernier voulut en faire sa maîtresse après le départ de Mme de Lauraguais. Louis XV se heurta aussi à l’époux d’Hortense, le marquis de Flavacourt. Celui-ci, fort amoureux de sa femme et donc très jaloux, menaça cette dernière de la tuer si elle devenait « putain comme ses sœurs ».... On peut peut-être également attribuer ce refus à la piété et la vertu de Mme de Flavacourt.
Source Jardin secret, où l'on trouvera plus de renseignements sur Madame de Flavacourt
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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