Mercredi 12 octobre. – L’antiquaire Georges Samary* (15, rue La Fayette).
Lui aussi possède plusieurs millions. Il me dit : « J’ai commencé avec cent francs. J’étais musicien et le soir je jouais dans l’orchestre du théâtre des Italiens, la plus belle salle qui ait jamais existé ; les instruments de musique m’intéressaient, j’en achetais d’anciens et je les revendais. J’achetais aussi de l’argenterie, quatre-vingts francs une pièce que je revendais quatre-vingt-dix.
Un encrier de Caffieri ... sans porcelaine de Sèvres !
Un jour, près d’Amiens, se présente ma première grosse affaire. Je trouve un encrier de Sèvres, avec des bronzes de Caffieri, pour trois cents francs. Mannheim vient chez moi et m’en demande le prix, je lui dis : six mille. Il le prend et le vend à Gustave de Rothschild. Il se trouve aujourd’hui chez son fils Robert et vaut facilement cent cinquante mille francs.
Des tapisseries de Beauvais ... sur des fauteuils ! Estampillés Claude Chevigny, maître le 27 avril 1768.
Époque : Louis XVI, vers 1780.
Matériaux : hêtre mouluré, sculpté et relaqué,
tapisserie du XVIIIe siècle, probablement de Beauvais.
« L’affaire qui me permit de me mettre dans mes meubles m’arriva grâce à un vieux revendeur de plumes qui achetait leurs déchets aux tapissiers, et qui me dit un jour : « Samary, j’ai ce qu’il vous faut », et il me montre des morceaux de tapisserie roulés, six fauteuils et leurs manchettes, du Beauvais. « Combien ? » lui dis-je. « Soixante francs. » Trois jours après je les vendais deux mille à un marchand. Ils ont passé en vente quatre ans après et ont atteint seize mille. Je ne les ai pas vus depuis trente-cinq ans. Comme je vous l’ai dit, après cette affaire j’ai pu m’installer. J’ai pris un appartement rue de Navarin, et j’ai acheté deux chambres à coucher, une pour moi et l’autre pour notre fille, une salle à manger et même un salon. »
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Note de l'auteure du blog
* Elise Brohan (1828-1891), la fille de l'actrice Suzanne Brohan, épousa le violoncelliste Samary. De leur union naquirent Georges, Jeanne, Henry et Marie.
Jeanne (1857-1890), doué elle aussi pour le théâtre, devint actrice et débuta à 18 ans à la Conédie Française dans le rôle de Dorine. De fait, elle excellait dans les rôles de soubrettes de Molière. Mais elle rêvait d'incarner une nouvelle de Maupassant, Yvette. L'écrivain, qui n'aimait guère les expériences théâtrales, fuyait la proposition. En septembre 1890, alors qu'elle se trouvait à Trouville, elle apprit qu'il avait enfin accepté. Mais quelques jours plus tard, elle fut victime d'une fièvre typhoïde et, ramenée d'urgence à Paris, succomba peu après.
Portrait d'Henry Samary par Louis Anquetin, Orsay (vers 1890)
Henry, son frère (1865-1902) fut, lui aussi, acteur et connu une brillante carrière à la comédie française jusqu'en 1892. Mais la mort de Jeanne le dévasta et, n'ayant pas obtenu le sociétariat dont il rêvait, il quitta la Comédie Française pour le théâtre de la Gaieté. Puis il abandonna les planches devenant antiquaire avec son frère Georges. Le 27 janvier 1902, alors qu'il partait pour Berlin pour y régler une série de réprésentations, il fut atteint d'une péritonite à laquelle il succomba le 3 février. Il est connu par les portraits que firent de lui Toulouse-Lautrec et Louis Anquetin
Portrait d'Henry Samary par Henri de Toulouse-Lautrec - Vers 1889 - Musée d'Orsay
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Georges Samary (1851-1921), frère aîné de Jeanne et d'Henri, est plus volontiers donné comme musicien et collectionneur d'instruments de musique. On cite le Catalogue des instruments de musique ... composant la collections de M. Georges Samary: et dont la vente aura lieu Hotel Drouot, le mardi 15 mars 1887. Georges est décédé en 1921.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
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