lundi 11 mai 2015

3ème Carnet - 7 septembre 1918

7 septembre. – Sur le « Baglione » de Nattier. 
Marquise de Baglione en Flore par Nattier (on remarque sur ses genoux une superbe tulipe !)

Helleu me dit : « Votre Nattier est un des plus beaux du monde. Il a une tulipe dont le geste est gracieux. » La comtesse Armand avait chargé, il y a vingt ans, Durand-Ruel de le vendre. Degas et moi le montrâmes à la comtesse de Béarn qui aurait pu l’avoir pour cent soixante mille francs. Degas lui dit : « Achetez-le, je pourrai le copier. » Elle répondit : « Je n’ai pas d’argent. – Vous n’avez pas d’argent, m’écriai-je, eh bien ! faites des dettes (1) ! » 

Le comte Boni de Castellane.

Boni, qui avait trois ou quatre millions de rentes, me parle d’entrer comme vendeur chez moi à New York pour cinq mille francs par mois, et il ajoute : « Autrement, je me ferai député ou sénateur. »

Chez Helleu. 
Paul Helleu dans son atelier

45, rue Emile-Menier, au cinquième étage, avec une belle vue sur les jardins de la Fondation Thiers. Il me montre un Watteau qu’il a acheté pour deux mille francs dans une vente à l’hôtel Drouot. Tout Paris parle de cette découverte sensationnelle. Il est faux (2).

La perspective (vue à travers les arbres dans le parc de Pierre Crozat) 1715 par Antoine Watteau au musée de Boston (qui ne le donne pas comme faux ! Gimpel serait-il jaloux de cette découverte ??)

Helleu me raconte qu’il a toujours cherché à s’inspirer de Watteau et même que Degas fit ce mot : « C’est du Watteau à vapeur. » Helleu continue : « Je travaille vite, mon plus gros succès fut la duchesse de Marlborough dont j’ai terminé la planche en quatre heures. En quelques semaines, j’ai vendu mille exemplaires à cent francs pièce. »

Les deux cousines de Watteau, actuellement au Louvre

Il m’apprend qu’il vient de faire acheter le Watteau de Michel Lévy Les Deux Cousines pour deux cent vingt mille francs.


Helleu est aussi rosse que ses amis Boldini, Sem et Degas. Il me dit : « J’aimerais détruire quinze cents de mes pointes sèches et n’en garder que quatre. » En ancien, il a beaucoup de goût et de connaissances. Il possède de très beaux cadres et quelques morceaux de bois doré remarquables ainsi que quelques sièges.

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Notes de l'éditeur

(1) Ce tableau est aujourd’hui en Amérique. Acheté d’abord par Ambatielos, un Grec qui demeure à Paris et qui perdit son argent, il fut racheté par N. Wildenstein qui le revendit à Erickson.

(2) Il a été acheté par le musée de Boston. (Note de 1927.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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