samedi 31 janvier 2015

1er Carnet - 20 mars 1918 (2)

20 mars 1922 - Chez Renoir, à Cagnes. 


« M. Renoir peut-il nous recevoir ? – Il n’a pas dormi de la nuit me répond la servante, je vais voir, voulez-vous me donner votre carte ? » 
Renoir ne me connaît pas, je compte sur la description que la servante va lui faire de la voiture à deux chevaux, les rosses de Grasse. Elle revient et dit : «Si vous voulez bien entrer avec Madame dans la salle à manger, nous allons descendre Monsieur.» «Descendre Monsieur», que veut-elle dire ? 
Le jardin ressemble à une ferme dans la misère, et les portes et les fenêtres de la maison ont les pauvres carreaux de ces villas faux Louis XVI jetées à la hâte et par dizaines sur ces plages créées soudainement par des spéculateurs, genre Dufayel. La vue sur la mer et la campagne est belle. 
Renoir a perdu sa femme il y a trois ans ; le logis s’en ressent, les miettes de la veille n’ont pas été balayées. 
Sur une table, dans un coin, près d’une fenêtre, quelques pinceaux, une boîte de couleurs à l’eau, de petits carrés de céramique, ornés de fleurs, de dessins enfantins, de bateaux, d’arbres de bergerie ; aussi quelques assiettes avec son éternelle femme nue, un genou sur l’autre. Je reconnais la manière et les couleurs du maître. Renoir fait-il de la céramique ?


Mais par la porte entrouverte je l’aperçois ; on le descend, deux femmes le portent dans une sorte de fauteuil à brancards. Georges Bernheim, le marchand de tableaux modernes, m’a dit à Paris : «Il est gaga.» C’est ça. Que suis-je venu faire dans cette galère ? Devant moi, une loque. On le change de fauteuil en le relevant et en le tenant solide-ment par les épaules pour qu’il ne s’effondre pas. Mais ses genoux repliés ne plient pas. Il est tout en angles et d’une pièce, comme les cavaliers désarçonnés des soldats de plomb. Il tient sur un pied, l’autre est furieusement emmailloté. On le rassied en le faisant basculer en arrière.


Assis, c’est une vision d’épouvante, les coudes au corps, les avant-bras levés ; il agite deux moignons sinistres, entourés de cordons et de rubans très minces. Les doigts sont coupés presque à ras ; les os sortent pointus avec un peu de peau par-dessus. Ah ! mais non, il a ses doigts, collés, allongés contre la paume de ses mains, de ses mains lamentables et décharnées comme les pattes des pauvres poulets quand, déplumés et ficelés, on va les mettre à la broche. 
Mais je n’ai pas encore vu sa tête, elle s’enfonce dans un dos courbé et bossu. Il est coiffé d’une large et haute casquette anglaise de voyage. Son visage est pâle et maigre ; sa barbe blanche raide comme des ajoncs s’en va vers la gauche comme poussée par le vent. Comment a-t-elle pu prendre ce faux pli ? Quant à ses yeux… Eh bien ! ma foi… on ne sait pas. 
Cette chose informe va-t-elle me répondre ? Quelques lueurs brillent-elles encore ? Il faut parler. Je me risque et je dis à peu près ceci : 
— Admirateurs de vos œuvres, avec ma femme, nous venons rendre hommage au grand peintre. C’est le maître que nous saluons. 
Un signe pour que nous prenions place, un autre à la servante pour qu’elle lui donne une cigarette. Elle la lui met dans la bouche et la lui allume. 
Alors Renoir parle et dit : 
— J’ai tous les vices, même celui de peindre.


Je respire, cette boutade prononcée avec clarté et sur un ton très vif me rassure. Je ris. Il sourit. Ses yeux si indistincts tout à l’heure s’animent. Je lui dis : 
— J’ai vu sur cette table, dans ce coin, des céramiques où j’ai reconnu votre main. 
— Oui, la céramique, ce fut mon premier métier et j’enseigne cet art à mon petit-fils qui a seize ans et qui habite avec moi. Il faut que chacun ait un métier. Ça semble lui plaire. C’est très difficile. La même couleur appliquée par deux mains donne deux tons. 
— On m’a expliqué que vous cherchiez à composer vos couleurs afin qu’elles ne changent pas plus tard.

Le retour du troupeau, ou retour à la ferme - Troyon
— Oui, mais réussirai-je ? Le grand Troyon du Louvre, Le Retour du troupeau, il y a soixante ans, je l’ai connu avec cette buée qui sort des naseaux du bœuf, tout ensoleillée. Eh bien ! quand j’ai revu ce tableau, il y a quelques années, le soleil autour des mufles des animaux était parti. Et c’est pourquoi il faut étudier sans cesse. 
Ma femme lui demande s’il aime le paysage. 
— Beaucoup, mais c’est trop difficile. Je suis classé parmi les peintres de figures et on a raison. Mon paysage n’est qu’un accessoire. En ce moment, je cherche à le confondre avec mes personnages. Les anciens ne l’ont pas tenté. 
— Pourtant Giorgione.

Les tours de la Rochelle - Corot
Les tours de la Rochelle - Corot

Renoir ne me répond pas. Il n’approuve pas. Alors je lui parle de Corot et il me dit : 
— Ce fut le grand génie du siècle, le plus grand paysagiste qui ait jamais vécu. On l’appelle un poète. Quelle erreur ! Ce fut un naturaliste. Je l’ai étudié sans pouvoir jamais parvenir à son art. Je me suis souvent placé dans les endroits où il a peint, à Venise, à La Rochelle. Jamais je ne l’ai approché. Les tours de La Rochelle, ah ! ce qu’elles m’ont donné du mal !

Les tours de la Rochelle - Renoir

Ce fut sa faute à lui, Corot, j’ai voulu l’imiter ; les tours de La Rochelle, mais il donnait la couleur de la pierre, et moi je ne l’ai jamais pu. 
Il jette sa cigarette dans une écuelle à ses pieds, fait de nouveau un signe à sa servante pour qu’elle lui en donne une autre, et il reprend : 
— Le paysage, c’est l’écueil de la peinture. On pense parfois qu’il est gris ; ah ! dans un paysage gris, souvent, que de couleurs ! Et si vous saviez, monsieur, comme avec un pinceau il est difficile de pénétrer un arbre. 
— Il est extraordinaire, lui dis-je, que vous et quelques amis, à l’époque où vivaient encore presque tous les maîtres de 1830, alors que cette école était en pleine apogée, si appréciée, en pleine gloire, quand vraiment aucune décadence chez elle ne se laissait encore percevoir, quand par-dessus tout vous l’admiriez, vous ayez pu créer une école rivale, qui semblait non seulement si différente mais même de tendance opposée.

Charles Gleyre Autoportrait

— Ce fut l’effet du hasard. Il y avait à Paris un nommé Gleyre*, un Suisse, qui avait un cours de dessin très bon marché, dix francs par mois. Je n’avais pas le sou, c’est ce qui m’y conduisit. J’y rencontrais Monet, Sisley, Bazille. C’est notre pauvreté commune qui nous réunit, et c’est elle qui nous permit ainsi, nous ayant groupés, de faire naître l’école impressionniste. Chacun de notre côté, nous n’aurions jamais eu la force, ou le courage, ni même l’idée. En plus de notre misère, l’école impressionniste eut pour origine notre amitié et nos discussions. Nous eûmes vite à lutter et à nous soutenir. En 1872, Berthe Morisot s’était jointe à nous, et pour nous procurer quelque argent, tous ensemble nous fîmes une vente à l’hôtel Drouot d’où résulta une émeute.

Victor Choquet peint par Renoir

Un nommé Chocquet nous fît beaucoup de bien. C’était un vieil habitué des salles publiques, un quotidien, un de ceux qui aiment à respirer cette poussière dont l’odeur n’est à nulle autre pareille. Il entre dans notre salle, aperçoit un ami qui passe dans le couloir, l’appelle : « Viens voir les horreurs que l’on expose ici. » L’effet est contraire à celui que Chocquet en attend. Son ami admire nos tableaux. Chocquet s’indigne : « Ce sont des cochonneries. » Il interpelle les gens. Alors deux camps se forment qui en viennent aux mains. Des agents sont appelés. On accourt de la rue. L’hôtel Drouot est envahi. C’est la bagarre. Le passage à tabac commence. On est obligé de fermer les portes jusqu’au moment où le calme se rétablit. La vente a lieu le lendemain, nos toiles se vendent à une moyenne de vingt-cinq francs pièce. Mais à partir de ce jour-là nous avons eu des défenseurs !

Autoportrait de Renoir du temps de Cagnes

L’évocation de ces souvenirs de jeunesse et de luttes a enflammé les yeux de Renoir qui pétillent. Gaga ! Ah non ! Georges Bernheim a exagéré. N’a-t-il jamais regardé les yeux de Renoir ? L’infirme, dans sa chaise, aux moignons pantelants, tout ça disparaît devant ces yeux. Ces yeux, quelle animation, quelle vivacité et que de jeunesse encore en eux ! 
Je lui demande de voir quelques toiles et il donne l’ordre à sa servante de nous accompagner. 
Elle nous conduit à côté, dans une chambre à coucher où, sur le mur, sont fixées avec des punaises deux rangées de toiles sans châssis. D’autres traînent sur l’édredon, sur le lit. Souvent sur une même toile sont peints dans tous les sens trois ou quatre sujets, parfois un morceau coupé en angle manque. Des peintures de vingt, trente, quarante mille francs, laissées là comme du linge à sécher. Beaucoup de portraits. Dans ce soleil du Midi, ses dernières œuvres n’ont pas cet aspect brique souvent si désagréable qu’il affectionne depuis quelques années ; ses têtes aussi semblent plus distinguées. Je suis surpris. C’est souvent un amoncellement de pierreries. Cependant ces toiles ne valent pas celles de sa jeunesse. «Mais comment peut-il peindre ?» demandons-nous à cette femme.


— Je lui place les pinceaux entre les doigts et je les retiens avec les cordons, les rubans que vous avez vus. Parfois, ils tombent, je les lui remets, mais ce qu’il y a de plus surprenant en M. Renoir, ce sont ses yeux, des yeux de lynx. Parfois, il m’appelle et me dit d’enlever là, sur la toile, un poil de brosse qui s’est collé. Je cherche, je ne trouve pas, et c’est Monsieur qui me le montre, minuscule, caché dans un empâtement. 
—  Peint-il beaucoup ? 
— Enormément, sans arrêt. Beaucoup de ses toiles, il les donne à des sociétés de charité ou à d’anciens amis ou à leurs enfants tombés dans la misère.


La brave femme est à son service depuis seize ans et elle se désole de ne pouvoir parler d’art, son seul plaisir, et de ne jouer auprès de lui que le rôle de garde-malade. Elle nous a conduits dans un petit atelier, isolé, situé dans le jardin et nous montre la toile sur laquelle le maître travaille en ce moment, une femme nue, un dos très étudié. Le châssis sur le chevalet, au lieu d’être soutenu par une tablette, est accroché et maintenu par un contrepoids qui permet à Renoir de monter et de descendre sa toile lui-même avec facilité. 
Nous revenons auprès du vieillard, je m’extasie auprès de lui sur les merveilles que j’ai vues et je m’étonne de la richesse de son atelier ; il m’apprend que dans sa vie il a vendu plus de trois mille peintures. Je lui demande s’il m’en céderait une et il me répond : 
— Non, pas en ce moment, je n’en ai pas assez à laisser à mes enfants ; dans un an, je verrai. 
Je n’insiste pas et je lui dis : 
— Ce doit être une grande joie pour vous de constater combien fut énorme l’influence de votre école dans le monde entier, influence si forte même qu’elle n’a pas laissé aux différents génies artistiques des peuples la faculté de se développer dans un sens national. Que ce soit en Amérique, au Canada, en Suède, en Norvège et même en Allemagne, partout on fait de l’école française. 
— Partout, dit-il, et même en Allemagne, dans ce pays où tout est resté gothique. Ils vivent comme au Moyen Age dans des tavernes ; leur architecture date encore de cette époque. Le Kaiser parle comme un Burgrave. Son épée et son bon vieux Dieu. A propos, avez-vous vu l’exposition Degas ?

Paul Durand-Ruel dans sa galerie

— Oui, chez Durand-Ruel. Et je lui répète ce que j’ai dit à Miss Cassatt. 
— Quel animal c’était, ce Degas ! Mauvaise langue et plein d’esprit. Tous ses amis ont dû le fuir ; je suis resté auprès de lui un des derniers, mais je n’ai pu résister jusqu’à la fin. Ce qui est incompréhensible, c’est que Manet, doux et tendre, fut toujours discuté, tandis que Degas, acerbe, violent, intraitable, fut dès la première heure reconnu par l’institut, le public et les révolutionnaires.

Autoportrait photographique de Degas, 1895
— On le craignait, dis-je. 
— Oui, c’est ça. Moi, j’ai conservé longtemps son amitié en le bousculant. Un jour, il me dit : «Renoir, j’ai un ennemi terrible, irréductible. – Qui est-ce ? – Mais, vieille bête, fait-il en se frappant la poitrine, tu devrais le savoir, cet ennemi, c’est moi-même !»

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Notes de l'auteure du blog
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Charles Gleyre est né le 2 mai 1806 à Chevilly (canton de Vaud).
Après avoir étudié à Paris chez Louis Hersent, puis à Rome, il part en 1834, en compagnie de John Lowell Jr., industriel et amateur d'art fortuné vers la Sicile, la Grèce, l'Égypte, puis au Proche-Orient, et rentre à Paris en 1837, avec un problème de santé, sa vue s'étant altérée.... Il est nommé professeur à l'École des beaux-arts de Paris en 1843, en remplacement de Paul Delaroche. Certains des peintres impressionnistes seront formés dans son atelier. Son art prône le retour à l'antique. Il dit à Claude Monet : « Rappelez-vous, jeune homme, que quand on exécute une figure, on doit toujours penser à l'antique…? » Le 5 mai 1874, Charles Gleyre meurt à Paris d'une atteinte d'apoplexie. 
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 29 janvier 2015

1er Carnet - 20 mars 1918 (1)

20 mars. – Chez Mary Cassatt. 

Pauvres chevaux qui me conduisez de Cannes jusqu’à Grasse, vous aussi souffrez de la guerre, votre ventre ne connaît plus l’avoine. Ah ! les pénibles montées. L’heure s’avance et vous piétinez. Le cocher ne vous pousse pas, il sait que ce serait en vain. Vous allez faire attendre là-haut ma vieille amie !
Nous arrivons auprès de la villa Angeletto, à la sortie de la ville, sur la route des gorges du Loup. Avec ma femme et mes deux fils, nous descendons et suivons une étroite allée dont la pente est rapide, et qui nous conduit dans le jardin de la petite maison où demeure la célèbre artiste américaine qui, avec Whistler, fut la seule représentante de son pays dans cette pléiade de peintres qui créèrent l’impressionnisme.

Mary Cassatt en 1914 - Photographe inconnu

Hélas ! la grande amoureuse de la lumière est aujourd’hui presque aveugle. Elle qui a tant aimé le soleil et qui en a extrait tant de beauté, est à peine touchée par ses rayons. Ils réchauffent au moins son corps long et maigre de vieille femme, au type si anglo-saxon. Elle a adoré les fleurs et son jardin est désolé. Elle vit dans cette adorable villa posée sur la montagne comme un nid dans des branches. La vue s’étend très loin sur un paysage ondulé et parfumé, et le voile devant elle s’épaissit chaque jour.


Enfant au bain de Mary Cassatt 1891-1892

Elle prend entre ses mains les têtes de mes enfants, et, sa figure contre la leur, elle les regarde avec intérêt et me dit : « Comme j’aurais aimé les peindre ! » Mon cœur de père est flatté, car Mary Cassatt fut toujours assez indépendante pour refuser de faire le portrait de tout enfant qui n’était pas joli. L’hygiène de l’enfance et Mary Cassatt sont nées le même jour. Son enfant sort toujours du bain et est élevé à l’anglaise, au plein air. Degas a dit d’elle : « Elle peint le petit Jésus avec sa nurse anglaise. » Il lui manque peut-être la science de ses amis les Manet, Monet, Degas et Renoir, ce qu’elle-même avoue, mais elle possède à un très haut degré le sentiment.

Bombardement Paris mars 1918

Elle m’apprend qu’une bombe est tombée sur le 15 de la rue Laffitte, juste en face du magasin de Durand-Ruel où se trouvait toute la collection Degas qui doit passer en vente publique, mardi prochain. Elle se désole à l’idée que ces belles œuvres auraient pu être détruites. « Cette catastrophe, me dit-elle, aurait jeté dans la misère la nièce de Degas qui, par ses soins merveilleux, a au moins prolongé de trois ans la vie du grand artiste. »

Durand-Ruel par Renoir

Je lui raconte que Durand-Ruel, avec son amabilité habituelle, a passé une heure le mois dernier à me montrer les Degas empilés dans son magasin. Ce qui est presque invraisemblable, c’est ce nombre énorme de fortes ébauches, esquisses peu avancées mais bien intéressantes, auxquelles on ne peut donner aucune attribution. Sont-elles de Degas ou de quelques-uns de ses amis géniaux ? Impossible de le discerner. Durand-Ruel, qui connaît ses maîtres mieux que quiconque, s’est entouré des avis de tous ceux qui ont quelque compétence dans cette école, afin de jeter plus de lumière sur l’authenticité de ces toiles quand il en est temps encore.

Les peintures de Degas m’apportent une désillusion ; une légende s’est accréditée depuis tant d’années qu’il gardait ses plus beaux tableaux, qu’il ne les montrait à personne, que sa vente nous révélerait des aspects insoupçonnés de son génie. C’était exagéré. Il y a quelques jolis pastels, quelques très belles peintures ; mais combien de simples études qui ne nous enseignent rien, des notes pour le seul bénéfice de l’artiste ; tant de pastels pas assez poussés ou effacés : manque de soin, négligence condamnable ; certains pastels sont revêtus de trente années de poussière. Si bien que Durand-Ruel, afin d’éviter, si c’est possible, que des faussaires ne terminent ces pastels et même les peintures, a fait prendre des photographies très soignées de tous les Degas qui passeront à la vente, et il les donnera à toutes les institutions artistiques et bibliothèques de France et de l’étranger.

Degas, la fête de la patronne 

Mary Cassatt me demande si j’ai vu les eaux-fortes. Je lui dis que oui, mais je lui apprends que la famille a détruit les œuvres érotiques, ayant peur de voir, un jour, publier un « Degas érotique ». Durand-Ruel m’a montré La Fête de la patronne*, eau-forte qu’il a sauvée. Très nature comme ces dames !
De la collection de tableaux anciens de Degas, Mary Cassatt préfère Monsieur de Pastoret par Ingres. Elle a conseillé au Metropolitan Muséum de New York de l’acheter.


Aujourd’hui, Mary Cassatt parle beaucoup de son ami le collectionneur et milliardaire James Stillman**, mort à New York il y a trois jours. Elle dit : « Ses premiers achats furent deux belles tapisseries de Boucher, puis je lui fis acheter un Titien chez Trotti et deux Moroni qui venaient de l’archevêque de Trente. Il ne les a payés que cent soixante mille dollars (1).


Il existe de nombreux portraits de Titus par son père, Rembrandt. J'ai choisi, cela m'a paru le plus logique, celui du Metropolitan Museum de New York

Puis ce fut votre Rembrandt Titus du duc de Rutland (2), et vos deux Fragonard : Le Jardinier et la Vendangeuse, et le Vigée-Lebrun. C’était à peu près toute sa collection d’ancien avec un autre Rembrandt (3).

La vendangeuse de Fragonard

Il avait la manie de vouloir acheter mes toiles. Il en a environ vingt-quatre et j’espère qu’il ne les aura pas données à des musées ; mes tableaux sont pour le home, ils sont plaisants et agréables et ils n’apprennent rien au public ni aux artistes. »

Il se fait tard, le jour baisse, nous quittons Miss Cassatt qu’on ne peut malheureusement pas amener à parler de l’époque si intéressante de sa vie où elle fut la compagne des Monet, Manet, Degas et Renoir qu’elle vénère. Mais elle n’aime pas Gauguin, qui ne s’est jamais cru, dit-elle, un peintre. Elle appelle Whistler : un sauteur de talent, et Sargent : un farceur.

Portrait de la mère de Whistler : un sauteur ??


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Notes de l'éditeur du Journal d'un collectionneur
(1) A sa vente, ils ne se vendront environ que 40.000 dollars les deux. 
(2)  Depuis dans la collection Barton Jacobs, de Baltimore, mais presque détruit par un nettoyage de Duveen. 
(3)  Aujourd’hui chez Ringling, un ancien clown. (Note de 1929.)
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Note de l'auteure du blog
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Comme en témoigne le cadre luxueux formé par les tapis et les miroirs, Degas a dépeint les intérieurs des établissements les plus raffinés, qu’il avait l’habitude de fréquenter. Ce monotype représente un moment de réjouissance entre les pensionnaires d’une maison close en l’honneur de la maîtresse des lieux. Ces images ont été très peu vues du vivant de l’artiste, ce dernier n’ayant pas souhaité les exposer publiquement tant elles allaient à l’encontre des bonnes mœurs. Ambroise Vollard les a pourtant popularisées en les incluant dans l’édition illustrée de La Maison Tellier de Guy de Maupassant parue en 1934
Source Divartsite

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James Jewett Stillman (né le 9 juin 1850 et mort le 15 mars 1918) fut un important homme d'affaires Américain qui investit dans des propriétés foncières, des banques, et des compagnies de chemin de fer à New York, au Texas et au Mexique. Il bâtit l'une des plus grosses fortunes des États-Unis au début du xxe siècle.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 27 janvier 2015

1er Carnet - 7 au 19 mars 1918

7 mars. – Retour des choses d’ici-bas. Au 57. 


Nathan Wildenstein a reçu ce matin, dans son courrier, la lettre suivante : « Monsieur, je suis la veuve d’Edouard Drumont, le farouche antisémite *. J’espère que vous n’en serez pas moins impartial. J’ai des tableaux à vendre, veuillez, je vous prie, venir les voir… » 

  8 mars. – Sur le duc de Clermont-Tonnerre. Au 57. 

Mlle de La Fontaine Solare de La Boissière (Arthur Veil-Picard) par Quentin La Tour

« Mademoiselle X, offrez au duc cent cinquante mille francs pour son La Tour : Melle de La Fontaine Solare. » Elle me répond : « Il faudra me donner une bonne commission car le duc est rasant. Hier, il m’a déclamé pendant deux heures, debout devant son piano, les discours qu’il a prononcés dernièrement devant les grévistes anglais, et il me disait : « Admirez mon style et mon énergie. » J’avais bien envie de lui répondre : « Je comprends que les grévistes aient cessé leur grève « pour ne plus avoir à vous entendre. » Mais je l’ai fermée, il me faut décrocher le pastel. » 

  9 mars. – Alerte. 

Sacha Guitry dans le reprise de Monsieur Debureau en 1951.
Source La rose couverte

Hier au soir, les Gothas ont bombardé Paris. La semaine dernière il y eut aussi alerte. Sacha Guitry jouait au Vaudeville sa comédie Monsieur Deburau**. C’était à la fin d’un acte, et quand un acteur annonça l’alerte, du poulailler, un poilu cria : « Je reviens du front, je connais ça, les Gothas, j’ai payé ma place, je veux voir la pièce. » 



L’acteur dit alors : « Que les spectateurs qui veulent se retirer s’en aillent, et après quoi la représentation continuera. » Très peu de personnes sortirent. Quand le rideau fut tombé sur le dernier acte, le public, peut-être avec affectation, s’attarda à applaudir. Alors Guitry s’avança, applaudit le public du bout des doigts, disant : « Très bien ; ah ! oui. vraiment, c’est très bien ! » 

 10 mars. – Meubles de poupées. 

La maison de poupée de Petronella Oortman par Jacob Appel, datant de 1686-1705. 

Hier, vente de meubles de poupées de Mme X… Mme X est Mme Paulme, la femme de l’expert qui a placé sa fortune en objets d’art. Il a beaucoup de goût. Couple étrange. Paulme est le petit monsieur distingué de province, qui s’efface, et elle est un gamin de Paris élevé mi dans l’atelier, mi dans le ruisseau. Ils furent extrêmement heureux, mais récemment leur fillette, une enfant unique, est morte. C’était pour elle qu’ils avaient composé cette jolie collection et ils se séparent de ces jouets, douloureux pour eux aujourd’hui ! Le plus joli numéro est un petit siège Louis XVI par Jacob, le modèle du mobilier de Sigismond Bardac. 

12 mars. – Un faux tableau. 

L’Enfant bleu de Thomas Gainsborough- Bibliothèque Huntington, San Marino (États-Unis)

Un faux Gainsborough, un Blue Boy, vient d’être adjugé à New York, à la vente Hearn, pour plus de trente-deux mille dollars. Il est plus difficile de vendre un vrai tableau.

18 mars. – Trucs et truqueurs. 


Trucs & Truqueurs. Alterations, Fraudes Et Contrefacons Devoilees de Paul Eudel
Source Delcampe

Une dame Gillet, de Lyon, me dit : 
— Il paraît que vous vous occupez d’art. C’est passionnant. Mais quel métier difficile, on fait tant de faux ! 
— Oh ! oui, beaucoup. 
— Avez-vous lu un livre très amusant : Trucs et truqueurs ? 
— Non, madame. 
— Ah ! vous devriez, ça vous intéresserait, vous qui êtes dans la partie. 

19 mars. – Impressions de l’avant. 


Le président Georges Clemenceau mangeant avec des soldats français dans les tranchées près de Maurepas (Somme) en 1917 © Rue des Archives/Tallandier 

Cadou m’écrit : « L’autre jour, j’étais dans la rue, le matin. Les journaux arrivent. Un poilu d’une division au repos crie : « Chouette, il y a du bon. » Je croyais qu’il parlait du discours guerrier de Clemenceau. Non, il était content que les Parisiens « prennent un peu ». Un autre crie : « Ah ! ben zut alors ! » Je croyais qu’il s’agissait des Gothas sur Paris, non, c’était du discours de Clemenceau : « Ma politique intérieure, je fais la guerre ! » – Viens donc dans les tranchées, salaud ! »

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Note de l'auteure du blog
* Principal propagateur de l'antisémitisme dans la France de la IIIe République et ardent antidreyfusard, Édouard Drumont fonde, en 1892, le quotidien antisémite La Libre Parole où il se déchaîne contre les parlementaires compromis dans le scandale de Panama et où il fait campagne contre la présence d'officiers juifs dans l'armée. Quotidien qui titre, après la première condamnation de Dreyfus : « Hors de France, les Juifs ! La France aux Français ! » 
Candidat antisémite, Drumont est élu député d'Alger en mai 1898 mais il échoue à obtenir un fauteuil à l'Académie française en 1909 et meurt oublié à Paris, le 3 février 1917, ses phrases sur « les sémites décousus » dont on saisira les biens préfigurant sinistrement la politique du commissariat général aux questions juives qui sera développée par l'État français de 1940 à 1944.
Art, amours et désillusions d'un grand mime du XIXme siècle: Jean-Gaspard Debureau. Sa passion impossible pour la Dame aux camélias, ses joies et ses échecs, ses conflits avec son fils qui veut suivre ses traces... Une vie revue et magnifiée par Guitry, dans un film adapté de sa célèbre et étincelante pièce. Séduisant et impressionnant. Source ici.
Voir distribution de la pièce au théâtre du Vaudeville en 1918 ici.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 25 janvier 2015

1er Carnet - 6 mars 1918

6 mars. – Joseph Bardac et Arthur Veil-Picard, 
amateurs au 57. 

Joseph (1) est le frère de Sigismond (2). Il vient voir les Hubert Robert. C’est le type du banquier robuste et victorieux. Les chiffres lui servent de levier de gouvernail et de poudre à canon. Dans son esprit, ils n’existent que pour construire ou pour détruire. Ses paroles et ses gestes ont l’autorité d’une addition. Il termine toutes ses phrases par : « Eh bien ! quoi ? » Il n’y a plus rien à ajouter, il vous présente toujours un total. Il achète par goût, et profite en même temps de ses réelles connaissances en art pour bien placer son argent.

Le billet doux de Fragonard (source La belle saison)

Je lui ai vendu pour près de sept cent mille francs Le Billet doux de Fragonard.


Jean-Antoine Houdon (1741–1828) Comtesse du Cayla, 1777 - Frick collection New York

Je lui ai acheté, il y a trois ans, le fameux buste de Houdon : Mme Du Cayla en bacchante, que j’ai vendu exactement deux cent mille dollars à Henry C. Frick, de New York.

Louise Brongniard du Louvre
Source musée du Louvre

L’année dernière, je lui ai acheté deux petites terres cuites de Houdon représentant les enfants Brongniard (***). Je les ai vendues pour trente-deux mille dollars à Joseph Widener, de Phi-ladelphie, qui en possédait les marbres un peu mous, et qui provenaient aussi de Bardac par l’intermédiaire de Jacques Seligmann. Notre banquier les avait acquis du baron Pichon, qui les tenait lui-même de la famille Houdon.

Alexandre Brongniard du Louvre

A un moment, ces terres cuites avaient passé pour des plâtres ; il en existe deux plus belles au Louvre. Tandis que Bardac, qui possède les plus beaux Hubert Robert de Paris, admire les miens, on annonce Veil-Picard(****) que je fais monter, et Bardac me dit : « Je vais lui raconter que je viens d’acheter vos Robert. » Veil-Picard entre. A pas lents, il traverse la longue galerie. Le chapeau enfoncé sur l’oreille, les yeux percés dans des amandes, le nez dans les moustaches, les moustaches dans la bouche, la bouche dans le menton, la tête dans les épaules, tout son corps dans ses jambes, voici le premier amateur de Paris. Il n’a jamais vendu que quelques pièces insignifiantes de sa collection, en dehors de deux tapisseries de Boucher qui ne lui plaisent plus, et d’un cassone aujourd’hui chez Widener.


Cassone florentin, 1ère moitié du 17ème, fait pour la famille Strozzi, National Gallery of Art, Washington, Widener Collection

Ce paysan des environs de Pontarlier, qui a gardé de son village, avec l’allure, le plus affreux accent, a formé, seul et sans conseil, sa magnifique collection. Bardac lui dit : « Vous arrivez trop tard, je viens « de vous ravir les Robert. » J’ai regardé Veil-Picard avec attention. Il a reçu un coup car je lis distinctement cette pensée en lui : « Je ne voulais pas acheter ces Robert, mais j’aurais dû le faire puisque cet animal de Bardac les a pris. » Il lui répond sur un ton très simple : « Vous avez eu raison, ils sont beaux. » – « Eh bien ! répond « le banquier, vous pouvez les avoir, en ce moment je n’ai pas d’argent pour de telles « folies. » Alors Veil-Picard, intimement, se dit : « Ah ! Bardac ne les a pas achetés, « alors pourquoi les voudrais-je ? » On parle des anciens prix et Veil-Picard nous apprend qu’on lui avait offert pour cinq mille francs le portrait de M. de Jars par La Tour qui a fait dans les cinq cent mille francs à la vente Doucet.


Maurice Quentin de La Tour, portrait-d'Étienne Perinet, chevalier de Jars 
Il en existe deux autres versions ((voir même site)
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Notes de l'auteure du blog

(*)La nouvelle édition parle de Joseph Bardac dès le 12 février :
12 février. - Chez Sigismond Bardac, amateur et banquier. 
Son petit hôtel, 55 avenue Hoche, est construit comme la maison anglaise avec deux fenêtres sur la rue et quelques marches extérieures et sans concierge. Le valet de chambre ouvre la porte d'entrée en face de laquelle un escalier se dresse. Au rez-de-chaussée, un salon et une salle à manger, au premier, deux salons. C'est dans ces quatre pièces très simples et sans décoration que le banquier expose sa collection, aujourd'hui fort diminuée. Il y a quelques années, il m'a vendu l'ensemble de sa Renaissance et j'en avais publié un beau catalogue. Il a liquidé cette année son plus joli dix-huitième, trois marchands l'ont acquis : Giraud, Lion et Samary. J'ai écrit : «Il est banquier.» Mais c'est plutôt là un titre de famille. Ce sont ses frères, Noël et Joseph, qui ont toujours dirigé la banque. Il gagne d'ailleurs plus d'argent avec ses objets d'art.
«Bonjour Monsieur Bardac. - Bonjour cher ami, regardez mes chenets.
— Vos chenets sont dédorés, je n'en veux pas ; j'en cherche de plus beaux.»
Le brocanteur proteste et feint d'être indigné. Je souris et lui dis : «Le jour où vous quitterez la banque, venez vendre avec moi.» À peine ai-je terminé cette phrase qu'une crise d'asthme l'étouffé. Ses yeux noirs et perçants vont jaillir hors de leur orbite ; les plis amers de son visage, maigre et creusé, s'allongent et saillent comme des tendons. A cet instant je vois combien cet homme a souffert ! Sa femme, nièce du philanthrope Osiris et depuis remariée au musicien Claude Debussy, avait été une Maman Colibri ; et lui, depuis, pour éviter la sotte allure de mari trompé, s'est composé un masque sceptique. Il me dit : «Achetez mes vases montés.
— Le Chine en est trop tard. Je préfère votre sépia de Fragonard, L'Allée ombreuse, c'est un chef-d'oeuvre.
— Je le sais. C'est pourquoi j'ai refusé de m'en séparer, lorsque l'année dernière j'ai vendu mes dessins de Fragonard à votre concurrent Jacques Seligmann, qui en a disposé au profit de Mortimer Schiff de New York, qui l'accuse d'avoir gardé L'Allée ombreuse, et même qui au début s'est fâché tout rouge.»
Source Amazon

(**) Debussy épousa Emma Bardac, naguère égérie de Gabriel Fauré, puis première femme du banquier Sigismond Bardac. Ils ont une fille en 1905, Claude-Emma, bientôt rebaptisée Chouchou, pour qui son père écrira les ravissants Children's Corner en 1908. Source Fichtre

(***) D'après le musée du Louvre :
Les bustes des enfants Brongniart établirent la merveilleuse capacité du sculpteur à transcrire la fraîcheur et l'innocence de l'enfance sans sentimentalisme, et à leur donner une véritable personnalité. Ils sont conçus en contraste. Ils détournent la tête en sens opposé. Alexandre est habillé, Louise est nue. La vivacité du garçon se manifeste dans la chevelure aux mèches désordonnées, la veste ouverte sur la poitrine, le regard espiègle et le modelé plus nerveux du visage. Louise semble plus posée : elle a encore les rondeurs de la petite enfance, ses cheveux sont soigneusement relevés en chignon, retenus par un bandeau surmonté d'un noeud. Le sculpteur a distingué le traitement du regard pour exprimer la différence de couleur. L'iris d'Alexandre, rendu par deux rangées concentriques d'incisions rayonnantes donne l'impression d'un regard clair. L'iris de Louise au contraire est profondément creusé : l'ombre qui en résulte lui imprime un regard sombre et réfléchi. Le sculpteur laisse au bord de la pupille un petit élément en relief pour capter la lumière, ce qui accroît la vie du regard. Houdon n'a pas été surpassé, sauf peut-être par lui-même, dans les portraits de ses propres enfants Sabine (Louvre), Anne-Ange (Louvre) et Claudine (Worcester, Art Museum). Ces deux portraits en terre cuite furent présentés au Salon de 1777. Ils jouirent d'une grande popularité, connurent de multiples versions en marbre et bronze et furent reproduits en biscuit de Sèvres et en terre cuite. Ils demeurèrent dans la famille Brongniart jusqu'à leur acquisition par le Louvre, en 1898 pour Louise, en 1900 pour Alexandre.

(****)
La famille Veil-Picard est une famille juive, originaire du Haut-Rhin. L'aïeul, Aaron Veil né le 5 mai 1794 à Oberhagental s'est installé à Besançon où il exerce le métier de banquier. Il y décède le 20 octobre 1868. La famille Veil-Picard compte plusieurs mécènes et philanthropes, dont le plus célèbre est Adolphe Veil-Picard (1824-1877), fils d'Aaron, membre du Consistoire de Lyon et bienfaiteur de la Ville de Besançon. En 1924, est érigé à Besançon un monument à sa mémoire dû au sculpteur Boucher (promenade Granvelle). La grille du portail de la synagogue, porte une plaque avec l'inscription « grille donnée par M. A. VEIL-PICARD à la mémoire de son père 1869 ». En 1888, les banquiers Arthur-Georges et Edmond-Charles Veil-Picard achètent à Louis Alfred Pernod la distillerie du même nom. Ils conservent à la société son nom originel de « Pernod fils ».
Source Wikipedia

Grand amateur d’art, le banquier Arthur Georges Veil-Picard collectionnait, au tournant des XIXe et XXe siècles, les tableaux, miniatures et dessins. Certaines oeuvres ont été vendues avant la Seconde Guerre mondiale. D'autres, saisies par les nazis, furent en partie récupérées par les héritiers. Ces derniers mettent en vente chez Christie's six dessins, trois tableaux et quatre miniatures. Comme ces trois chefs-d'oeuvre d'Ingres, dont le Portrait de l'architecte Alexandre Bénard (estimé entre 400 000€ et 600 000€), une des rares figures posées dans des ruines, celles du forum romain, en 1818. Tous les amateurs de belles feuilles ont possédé un jour une page de Jacques-André Portail, nommé en 1740 garde des tableaux du roi. Ici, ce sont Deux Jeunes Pages (entre 150 000€ et 180 000€) qui s'inscrivent dans la tradition des études d'homme noirs, souvent préparatoires au personnage de Balthazar dans les Adorations des Mages. Jean Antoine Watteau signe deux ravissantes têtes de femmes (entre 100 000€ et 150 000€). Côté tableaux, la vedette est Le Bénédicité de Chardin, la seule esquisse connue du chef-d'oeuvre éponyme conservé au musée du Louvre (entre 600 000€ et 800 000€).
Source Connaissance des arts
Voir aussi Patrimoine de France
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

vendredi 23 janvier 2015

1er Carnet - 2/5 mars 1918

Suite du 2 mars -Vente Ledoux

Hubert Robert : Le Jet d’eau du bosquet des Muses à Marly

Vente Ledoux. 
Elle a lieu demain. J’y note six beaux tableaux. Deux Hubert Robert qui firent treize mille francs en 1885. Le plus beau est Le Jet d’eau. L’autre est un peu déparé par une statue trop allongée. Un Drouais, le seul portrait connu de Buffon. Ce peintre n’a jamais fait de plus belles étoffes, mais la tête est sans relief, elle ne tourne pas, point de crâne, c’est une image.

Un portrait avéré de Madame de Flavacourt par Nattier, sans doute pas celui dont parler Gimpel (elle n'a pas l'air malde de langueur mais est plutôt triomphante ! Source Wahooart

Un Nattier, soi-disant Mme de Flavacourt (*). Signé 1739. Figure bête, maladie de langueur. Un Guardi perlé. Un Boilly. Bien petit maître, mais très bon tableau.

Une gravure d'après Le Petit Prédicateur de Fragonard - Source ici

A signaler aussi une sépia par Fragonard, Le Petit Prédicateur. Elle est belle, quoique un peu passée. Dans le temps, j’ai vendu à Veil-Picard le tableau du Petit Prédicateur

5 mars. – Vente Ledoux, de Fels, Citroën. 

Les deux Hubert Robert nous ont été adjugés à cent cinquante-huit mille quatre cents francs. Nous les aurions poussés à plus de deux cent mille francs. Nous n’estimions le Drouais que soixante-dix mille, il est monté à cent vingt-six mille cinq cents. Féral qui dirigeait la vente a demandé soixante-dix mille francs du Nattier et il fut poussé jusqu’à deux cent vingt mille. On a crié du fond de la salle : « Bravo l’expert ! » Moi-même, j’ai ri, mais Féral avait raison. C’est le comte de Fels qui l’a acheté, ainsi que le Boilly à quarante-quatre mille francs. Ce sont là ses premiers achats.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 21 janvier 2015

1er Carnet - 2 mars 1918

2 mars. – Coquines de fleurs. 

Marchande de fleurs ambulante, Paris 25 juin 1918 , rue Cambon

Mme Ruffier, marchande de fleurs, rue Scribe, qui fut belle fille, a le plus joli choix de Paris. Les fleurs chez Lachaume sont peut-être aussi belles, mais Mme Ruffier possède l’art de les savoir assembler. Chaque corbeille est un tableau. C’est une fille de Paris. Elle peut, aujourd’hui, porter collier de perles tandis qu’elle vend à moins riche qu’elle, mais elle ne peut pas effacer l’empreinte de ce peuple des faubourgs parisiens d’où elle sort et qui enfante tant d’artistes. Aussi vaut-elle cent fois mieux nature quand le client n’est pas là, ce qui est rare. 
— Comme vos fleurs embaument, madame Ruffier ! 
— Ah ! les fleurs, quelles coquines ! Moi qui suis entrée là-dedans parce que je les aimais, si vous saviez à quoi ça sert, quelle dégoûtation ! Au commencement ça me gênait, j’avais le cœur poétique ; des hommes qui avaient de gentilles petites femmes envoyaient à des rombières des fleurs à se pâmer devant. Ces femmes-là, ça ne connaît pas la fleur. Les hommes, comme ils sont bêtes ! J’ai un client qui, chaque fois qu’il envoie des fleurs à sa maîtresse, disons pour deux cents francs, adresse une corbeille à sa femme, d’environ quarante francs, et croit qu’il doit s’excuser auprès de moi : « Ma femme ne comprend pas la beauté des fleurs. » Il est vrai, monsieur Gimpel, que si nous ne devions compter que sur les légitimes pour vivre ! Pourtant, moi, j’aime vendre des fleurs à ceux qui les aiment. L’autre jour, un monsieur m’achète, pour une actrice, une corbeille de douze cents francs. J’accompagne mon garçon de peur qu’il ne l’abîme : « Attention, là. au couloir. Prenez garde à la porte. » J’arrive très fière dans le salon de la dame et la bouche en cœur, je lui dis : « Voilà la corbeille. » – « Ah ! l’andouille, s’écrie-t-elle, en ces temps de guerre et de disette il aurait mieux fait de m’envoyer du sucre. »
« Vous comprenez si ça vous flanque un coup : aussi je sais rigoler quand un homme qui a un nom envoie une corbeille de deux cents francs pour bien se faire recevoir, et, après deux ou trois accueils qui ont satisfait ses désirs, tire sa révérence. » 

La rue Scribe source CPArama

Pause. Entrée d’une cliente, jeune, élégante, suivie d’un bel officier. Mme Ruffier la sert. Choix rapide. Sortie. Elle me dit : « C’est la jolie X… 
— Elle est bien. 
— Et deux fois par semaine je vois son vieux qui ne manque jamais de murmurer à mon oreille, en confidence : « Dire que je suis le seul à posséder cette beauté ravissante ! » Mais la province est encore pire. Un homme de Carcassonne, l’autre matin, m’achète des œillets pour une amie laissée là-bas dont il me dicte l’adresse. Au même moment, une femme entre. C’était la sienne. « Ma chérie, lui dit-il tendrement, prends ces œillets, je te préparais cette surprise. »


« Et les pères qui viennent me demander comment leurs filles se procurent des fleurs quoique d’institutrices accompagnées. Et les femmes mariées qui me menacent de faire saisir mes livres, pour savoir si elles sont cocues. Ah ! ces fleurs, ce qu’elles sont coquines ! »

Conscrits de la classe 1919 - Source ici

Dans le métro. 
Chaque soir, sur les grands boulevards, des monômes de conscrits de la classe 19 hurlent : « On les aura ! » Ici, ils chantent le refrain : « Il est cocu, le chef de gare. » Bientôt quatre ans de guerre et l’ardeur n’est pas tombée ; malgré plus d’un million de morts et de quatre millions de blessés !

Hubert Robert : Le Jet d’eau du bosquet des Muses à Marly

Vente Ledoux : présentation de la vente. Reporté au 5 mars, jour de la vente Ledoux

Antoine Watteau, L'enseigne de Gersaint - Château de Charlottenburg, Berlin (Allemagne)

Sur l’enseigne de Watteau.
On parle au 57 de beaux tableaux qui furent contestés. Nathan Wildenstein dit : « Michel Lévy prétend qu’il a la vraie, que celle de l’empereur d’Allemagne est fausse. J’ai pourtant offert un million de marks de cette dernière. Ce cochon de Guillaume a une lettre de moi (1). Cette toile vaut le double. »
On lui demande qui a servi d’intermédiaire et il répond : « Deux hommes, Ludwig Rosenthal, le marchand, fournisseur de la cour, qui avait acheté à Guillaume quelques manuscrits, et un chambellan de l’empereur qui lui transmit mon offre qu’on avait exigée par écrit ; j’en possède la copie. C’était au beau milieu de la polémique soulevée par l’amateur français et dont tous les journaux s’étaient emparés. Guillaume n’avait pas l’intention de vendre mais cherchait une attestation. Ah ! il n’avait pas besoin de la mienne, la France s’était portée à son secours et surtout le gouvernement français qui avait si peur de l’indisposer et qui fit donner toutes les batteries. Nos ministres mirent en branle la Société de l’art français qui, par l’intermédiaire de l’écrivain d’art Alfassa, fut chargée de réfuter chaque argument de Michel Lévy. Le Louvre, en entier, avait reçu l’ordre de marcher contre ce dernier. On tremblait si fort que si Guillaume avait eu la copie, le gouvernement aurait donné l’ordre d’en faire un original ! »(2)

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Notes de l'éditeur du journal d'un collectionneur
(1) Cette lettre date du 11 juin 1910.
(2) Nathan Wildenstein a reconnu comme vrai le tableau de Michel Lévy. Je suis aussi persuadé qu’il est de Watteau. (Note de 1939)
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Note de l'auteure du blog
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Hortense-Félicité, naît le 11 Février 1715. Elle est la quatrième et avant-dernière enfant de Louis III de Nesle et d’Armande-Félicitée de La Porte-Mazarin. ... Le 21 Janvier 1739, sous l'instigation de sa tante, la belle Hortense est mariée à François-Marie de Fouilleuse, marquis de Flavacourt (1708-1763), maréchal de camp. ... D’une grande beauté, la marquise de Flavacourt est remarquée par le roi qui, séduit, commence à lui faire des yeux doux. Hortense résista à ses assiduités et évita son lit bien que ce dernier voulut en faire sa maîtresse après le départ de Mme de Lauraguais. Louis XV se heurta aussi à l’époux d’Hortense, le marquis de Flavacourt. Celui-ci, fort amoureux de sa femme et donc très jaloux, menaça cette dernière de la tuer si elle devenait « putain comme ses sœurs ».... On peut peut-être également attribuer ce refus à la piété et la vertu de Mme de Flavacourt.
Source Jardin secret, où l'on trouvera plus de renseignements sur Madame de Flavacourt
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 19 janvier 2015

1er Carnet- 28 février/1er mars 1918

Officine, au 57
Mrs Wertheimer, peinte par Sargent en 1904. Source Tate

De la fenêtre, je vous rentrer Mademoiselle Sée, proxénète dans le savoir, suivie d'un beau jeune homme aux yeux bleus. Elle est dans sa troisième jeunesse, dont elle ne se séparera plus. Fillette, elle a connu la fortune. Ruinée un matin par la faute de son père, elle n'eut pas le courage d'abandonner le monde et le luxe. Elle commence par faire des dessins pour journaux de mode et conduit chez amis chez les couturiers, et, quoique mal habillée, elle devient l'arbitre des élégances. Puis ce furent les commissions chez les bijoutiers, aussi bien sur les bijoux achetés à l'épouse que sur ceux demandés par la maîtresse, par la cocotte. Elles sont toutes ses amies. Elle peint des fleurs. c'est une femme de tous les temps. Elle vient de manquer une affaire. Elle avait présenté un noble ruiné à madame Charles Wertheimer, la riche veuve d'un antiquaire londonien. Les complices savaient que la dame avait fait le plongeon à cheval dans les piscines des cirques anglais. La cour se fit, puis l'amour s'enfuit, quand l'aquatique annonça que par la suite du testament du vieux barbon, elle perdait sa fortune en se remariant.
— Qui est ce jeune homme aux yeux bleus ?
— C’est X… oh ! la vilaine combinaison ! Sa maman possède trois tapisseries de la Renaissance.
— Je vais, nous dit-il, lui conseiller de vous les vendre cent mille francs, vous me donnerez ma commission. Puis vous ferez de par la ville grand tapage, vous demanderez deux cent cinquante mille francs de la série, j’en instruirai ma chère mère.
— C’est une gaffe que vous avez commise, lui dirai-je, rachetons les tapisseries.
— Vous les revendrez cent cinquante mille francs et vous me donnerez une commission.
Le 57 devient une officine. Il s’en va désappointé. Ses yeux sont bleus comme de l'acier, c'est un soldat.


Facture de Théophile Belin (source le bibliomane moderne)


1er mars - Chez Théophile Belin, 29, quai Voltaire. 

De compagnie avec Cadou (1)  nous sommes entrés bouquiner. Ah ! le voilà le bon coin, dans ce magasin au rez-de-chaussée de cet ancien hôtel de Mailly, une immense salle rectangulaire et haute où des rangées de livres aux reliures anciennes et caressées se superposent, filent et s’enfuient. Au fond, le petit réduit où des vitrines abritent des pièces rares aux plats armoriés, aux dos ornés et aux nervures saillantes. Ici, cent livres valent plus cher que les dix mille ouvrages de la première pièce. 

Hôtel Mailly-Nesle - (source actuacity)

Belin nous montre une reliure du XVIe à peine effleurée. « Ça ne leur suffit pas, dit-il, ils les veulent fraîches ! Et eux, le sont-ils… frais ? » Il parlait des clients. Avec cet esprit-là, on s’explique qu’il vende très cher pour ne point se séparer trop vite de ses livres. Il aime les bohèmes, et son meilleur ami est Willette.(*) « Je possède, nous dit-il, son plus beau tableau, le Parce Domine ; montons dans l’appartement. » Et nous gravissons le vieil escalier aux marches basses et profondes. Ah ! les belles et hautes pièces ! 

Marie-Anne de Mailly-Nesle par Nattier (source Wikipedia)

Quand Mme de Châteauroux(**) les emplissait de sa mignonne personne, dont Nattier nous a laissé l’image, peut-être qu’en regardant le Louvre immense là en face, par-dessus la Seine, peut-être qu’elle se trouvait aussi resserrée que nous autres, modernes, dans nos appartements cellulaires.

Parce Domine de Willette, musée de Montmartre

Et sur le vieux mur, le Willette immense dans cette atmosphère XVIIIe, eh bien ! ma foi, il ne fait pas mal ; un peu gris, il doit dater d’environ 1880.


Le peuple des Pierrots, de Montmartre à l’Odéon, s’en va dans le ciel, cahin-caha, avec son omnibus. Les vierges laides, abandonnées, suivent le joyeux et mélancolique cortège où les grisettes grisent d’amour ou de dépit les amoureux qui les poursuivent ou les enlacent.(***)

 Adolphe Léon WILLETTE, peintre illustrateur et caricaturiste, photo de Paul, Dornac 

Ah ! Willette ! tu n’es pas le grand peintre, mais tu es le poète et c’est mieux. Tu as peint Montmartre, une époque et son coin. Charpentier, avec Louise, en fut le musicien ; Courteline dans ses pièces en a exprimé la satire. Mais tu manquais pour l’anecdote. Et la petite femme, là, au milieu de ton panneau, celle qui danse avec un sein dévoilé, la petite Colibri, comme on l’appelait, comme elle t’aimait (****)! Hélas, cette grisette, petite-fille de Murger et fille de Mimi Pinson, n’existe déjà plus. Ah ! les siècles qui viendront comprendront-ils ces passages successifs ? Mais oui, car il existe toujours de sensibles amoureux du passé !

Détail de Parce Domine source Prelia

« Messieurs, tout dernièrement, nous raconte Belin, une dame vient et me demande une photographie de ce tableau. Je la lui refuse. Elle en semble fort peinée. Elle était en deuil et d’aspect distingué. Elle m’apprend qu’elle vient de perdre son mari, un officier. Ils demeuraient, oui, place de la Madeleine. Je l’interroge, je veux savoir pourquoi elle désire si vivement cette photographie et elle me répond : 
— C’est que, monsieur, cette petite femme, là, au milieu… 
— Ah ! oui, madame, celle qu’on appelait Colibri. 
— Colibri, mais oui, eh bien ! c’est que… c’était moi. »

Pierrot s'amuse, un dessin de 1883, époque à laquelle Colibri était la maîtresse de Willette. Peut-être est-ce elle qui a posé pour les grisettes qui entourent Pierrot 

Le cruel Belin ne lui donna pas son portrait. Elle lui apprit qu’elle était retournée chez Willette, il y avait peu de temps, avec au cœur ses souvenirs. Elle l’avait trouvé marié avec sa bonne, à laquelle elle donna des leçons de maintien. 
Pour finir, Belin nous montra une chambre, au fond, dont le plafond doit être de Bérain (*****), et à côté, une autre pièce où elle mourut,(******) la petite Dame de Châteauroux qui avait rêvé d’être plus que reine, d’être la maîtresse en titre de Louis le Bien-Aimé. Le plafond blanc, qu’elle a dû fixer à l’ultime minute, est couvert tout entier par un Willette. L’artiste s’y est représenté en Fou. Il agite les grelots et il rit quand l’Eglise, dans un autodafé, brûle les livres ; car si à droite les nuages sont noirs, à gauche l’aurore se lève avec le progrès.

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Notes de l'éditeur du journal d'un collectionneur :
(1) André Cadou, musicien, ami de René Gimpel.


André Cadou (1885-1973), chef d'orchestre, compositeur (notamment de nombreuses musiques de scène) et arrangeur, fut notamment directeur de la musique à l'Odéon de 1922 à 1959 ainsi qu'à la Comédie Française. Il accompagna avec son orchestre de nombreux enregistrements, notamment de Berthe Sylva. 
Quant à l'opportunité de la musique de scène dans un ouvrage, nulle règle absolue que celle qui pourrait s'énoncer ainsi : toute musique inutile est nuisible. André Cadou
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Notes de l'auteure du blog

(*) Adolphe Léon Willette, né à Châlons-sur-Marne le 30 juillet 1857 et mort à Paris le 4 février 1926, est un peintre, illustrateur, affichiste, lithographe et caricaturiste français.
Il s'installe à Montmartre en 1882 et loue avec le docteur Willette, son frère, un atelier au 20, rue Véron. Il illustre Victor Hugo, peint des fresques et des vitraux, dessine des cartes postales, des affiches publicitaires, des couvertures de livres et, en échange d'un repas, des menus de brasserie. Ses représentations de Pierrot et Colombine lui valent une certaine popularité.

Adolphe Léon Willette en 1913, photographie de l'Agence Meurisse.
Source Wikipedia

 « En rupture totale avec l'académisme à la mode de Bonnat et autre Bouguereau, Willette ignore tout autant la révolution impressionniste. Sa palette est pauvre et se cantonne le plus souvent dans des harmonies de gris et d'ocres. […] À partir de 1886, il s'éloigne de plus en plus de la peinture, qu'il ne retrouvera qu'à l'occasion de grandes décorations, pour se consacrer au dessin. » Avec Rodolphe Salis et Émile Goudeau, il participe à la création du cabaret parisien « Le Chat noir » du boulevard Rochechouart où il expose d'abord une toile refusée au Salon, puis qu'il décore ensuite de panneaux, notamment celui du Parce Domine (1884, Paris, musée de Montmartre).


Willette, en pierrot noir, estampe par Marcellin Desboutin, parue dans L'Artiste en mai 1896.

Au Chat Noir, il fréquente également Henri Rivière, Maurice Donnay, Maurice Rollinat, Henri de Toulouse-Lautrec, Paul Signac, Camille Pissarro, Vincent van Gogh, Louis Anquetin ou Georges Seurat. Il décore de nombreux cabarets et restaurants de la Butte Montmartre : l’auberge du Clou, la Cigale, le hall du bal Tabarin, la Taverne de Paris, ainsi qu'un salon de l’Hôtel de ville de Paris. En 1889 il décore le Moulin Rouge, et dessine le célèbre moulin.
Source Wikipedia

(**)  Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle, duchesse de Châteauroux, née à Paris le 5 octobre 1717 et morte dans la même ville le 8 décembre 1744, est une favorite de Louis XV. Cinquième fille de Louis III de Mailly-Nesle (1689-1767), marquis de Nesle, et de son épouse Armande Félice de La Porte Mazarin (1691-1729) elle épouse en 1734 le marquis Louis de La Tournelle (1708-1740).

Portrait de la duchesse de Chateauroux par Jean Marc Nattier en Thalie, muse de la Comédie en 1744

Devenue favorite en titre et soutenue par le duc de Richelieu, elle fut quelque temps toute-puissante à Versailles et usa de son influence pour entraîner la France dans la guerre de Succession d'Autriche.
Louis XV l'autorisa à le rejoindre dans les Flandres en juin 1744 puis le roi et son armée se rendirent à Metz. Là, le roi logea sa maîtresse dans une bâtisse proche de son palais. Pour faciliter les rencontres des deux amants une galerie couverte fut édifiée entre les deux maisons au grand dam de la population messine qui voyait dans sa ville s'étaler publiquement l'adultère royal. En août, le roi tomba gravement malade à Metz. Proche de sa fin, il résolut de se repentir mais pour cela dut renvoyer sa maîtresse à Paris. La duchesse de Châteauroux quitta discrètement la ville et la fameuse galerie couverte fut démolie tandis que la reine et le dauphin Louis-Ferdinand accourraient en hâte à Metz et que le royaume se mettait en prière. 
Source Wikipedia - Voir aussi Passion Histoire

(***)
1884 : Il exécute des vitraux pour le Chat noir, La Vierge verte et le Te Deum Laudeamus ou Triomphe du Veau d’or. Rentré à Paris, il achève et peaufine la toile monumentale le Parce Domine, refusée au Salon. ...
En 1885 ... le Chat noir va devoir fermer après une rixe avec les souteneurs au cours de laquelle un des garçons de Salis trouve la mort. Le Chat noir déménage tambour battant dans l’hôtel particulier du peintre Alfred Stevens, rue de Laval. Le 10 juin 1885, le déménagement se monte en cortège charivarique avec le Parce Domine porté par 4 garçons vêtus en académiciens qui le portent à bout de bras dans la rue, avec musique et flambeaux. Willette est écœuré par le spectacle. « L’exode, au long du boulevard Rochechouart, s’ébranle lentement à la lueur des flambeaux, au son d’un orchestre de fifres et de violons. Salis s’avance, vêtu en préfet, suivit de deux chasseurs tenant les bannières du Chat noir avec cette devise : “Montjoy Montmartre”. Derrière, quatre hommes habillés en académiciens portent le Parce Domine de Willette. Enfin, à quelques mètres, dans une charrette à bras, se trouvent pêle-mêle, les objets les plus extraordinaires. Étonnée, la foule regarde et ne comprend pas… Les chefs du cortège arrêtent sans raison les omnibus, les voitures et les passants, cependant que les agents, en l’absence d’ordres reçus, regardent d’un œil torve… Imaginez cela ! » (Feu Pierrot, p.169-170).
Avril 1902 : .... Le Parce Domine, exposé l’année dernière au Salon, a montré à ceux qui ne connaissaient pas ce chef d’œuvre déjà ancien, tout ce dont on pouvait attendre d’une organisation aussi personnelle. » (Frantz Jourdain – l’auteur parle apparemment du Salon de 1904. « Willette a merveilleusement rendu la caractéristique de notre époque : de la colère et de la révolte mêlées à de la raillerie et à de la satire. » (Frantz Jourdain)....
23 mars 1904 : Vente des collections du Chat noir par la veuve Salis (Russeil) : le Parce Domine  est acheté par Belin...
Mai 1905 : Le Parce Domine est exposé au Salon (il avait été refusé en 1885), repris dans toute la presse.
Source Prélia

(****)
1882 : Il monte à Montmartre, pour emménager dans un petit atelier loué par son frère, le docteur Willette, 20 rue Véron. Ce dernier lui présente au Chat noir l’un de ses malades, Théophile Alexandre Steinlen, qui deviendra l’un de ses intimes (le docteur Théodore Willette ouvre un cabinet médical au 27 rue Lepic, adresse où il résidera toute sa vie). Adolphe Willette a ses habitudes dans cette même rue, dans une petite crèmerie tenue par une veuve, la mère Cucurou. Il se met en ménage avec une cousette, surnommée Colibri. C’est elle que l’on retrouve en « Pierrette » dans les premiers dessins du Chat noir et du Courrier français (voir Marc de Valleyre, Sur le boulevard, Paris, Frinzine Klein, 1884, p. 299 et suiv.). ....
1883-1884 :...Willette travaille toujours pour Le Figaro (almanach de 1884), mais se fait remercier à cause d’une blague au goût douteux de Salis envers le rédacteur en chef Périvier. C’est à ce moment que Colibri se blesse en dansant un quadrille et doit quitter la butte pour l’hôpital (voir Georges Cain, Le Temps, 7 février 1911). C’est mariée à un notaire qu’elle retrouvera Willette lors de l’exposition du pavillon de Marsan en 1911. ...
 (Source Prelia)

(*****) En effet il semble bien que le plafond de l'hôtel Mailly de Nesles est de Jean Bérain : voir la  revue L'Architecture  [No 1] du 15/01/1932 - LES DECORATIONS DE JEAN BERAIN A L' HOTEL DE MAILLY-NESLES Magazine – 15 janvier 1932

(******) Néanmoins, après son rétablissement et son retour à Versailles, le Roi qui avait mal vécu l'humiliation imposée par l'évêque de Soissons, rappela la duchesse de Châteauroux à la cour et reprit leur liaison. Il songeait également à confier à sa maîtresse la place lucrative et stratégique de surintendante de la maison de sa belle-fille, la future Dauphine. Cependant quelques jours avant Noël, la duchesse mourut d'une péritonite à l'âge de 27 ans. Cette mort parut suspecte à certains qui parlèrent, sans preuves, d'empoisonnement.
Source Wikipedia - Voir aussi Passion Histoire

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963