samedi 20 juin 2015

3ème Carnet - 11 novembre 1918

11 novembre. – Victoire !

Le train de l'Armistice 11 novembre 1918

A 5 heures, ce matin, signature de l’armistice.
A Paris, la nouvelle court de bonne heure, tout le monde vous la dit, personne n’en est certain, mais à 11 heures, à la seconde où cessent les hostilités, les cloches se mettent à sonner, le canon à tirer. Je suis sur la place de la Concorde, le ministère de la Marine suspend des panoplies de drapeaux. Beaucoup de retenue. Quelques monômes. Les gens vont déjeuner, heureux, c’est tout.


Mais à 3 heures, quel changement ! Je descends les Champs-Elysées, la foule est compacte. Grande animation, et que vois-je ? Suspendu au bout d’une longue perche un mannequin, c’est Guillaume II. On le traîne, on le pousse sur un canon que des ouvriers ont pris au bord d’un trottoir. L’empereur porte un pantalon noir, une casquette et une ceinture rouge de souteneur.

Une caricature montrant Guillaume II chassé à coups de pieds dans le derrière


Ses moustaches conquérantes sont faites avec de la paille et on lui a passé autour du cou une pancarte blanche avec en rouge : Assassin. On le conduit devant la statue de Strasbourg où on le brûle, mais la pancarte ne brûle pas et le mot « Assassin » ne disparaît pas.


La foule n’est plus qu’une mer humaine. Des cris, des chants, des monômes rue Royale et tout au long des grands boulevards. Tout Paris a congé. Beaucoup de mots drôles jaillissent : un soldat anglais a un peu bu et on entend une voix : « En voilà un qui n’a pas connu les restrictions. »

Des canons allemands sont traînés, le 11 novembre 1918, sur la place de l'Opéra et les boulevards, au milieu des farandoles. Source : l'album de la guerre 1914-1919. © L'illustration

La circulation est arrêtée sur les grands boulevards que, seuls, parcourent les gros tracteurs automobiles américains qui portent jusqu’à cent cinquante personnes, Dieu sait comment, et j’entends un gamin de Paris : « Le voilà le char d’assaut. » On conspue beaucoup Guillaume. On n’entend que cette chanson ou plutôt ces deux lignes dites sur un ton « ouvere-rier » :
Y fallait pas qu’y aille,
Y fallait pas y aller.

Place de l'Opéra 

Sur la place de l’Opéra où un curieux et perpétuel remous se produit, parce qu’on y arrive sans cesse de tous côtés, c’est une houle. J’entends un gosse dire : « C’est le tango », et cette réflexion est mer-veilleuse de vérité. Je reste là jusqu’à 7 heures. J’y retourne après le dîner avec ma chère femme qui, d’ordinaire, a une telle horreur de la foule, mais qui l’aime, ce soir, parce qu’elle est magnifique dans sa joie à la fois hystérique et saine. La grande foule de la guerre s’en donne à cœur joie. Et que de gens en deuil et qui pleurent ! Ils sont quand même heureux car c’est le jour de gloire.

FRANCE = VICTOIRE

Fin du 3ème Carnet


--------------
Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire