29 octobre. – Un Monet.
Je viens de voir chez Rosenberg La Japonaise à l’éventail. Monet m’avait dit que c’était une œuvre très médiocre. Cette toile est à un beau tableau ce qu’une potiche moderne japonaise est à un ancien vase noir de Chine. Rosenberg en demande trois cent mille francs.
30 octobre. – Cbez Georges Lepape, 44, rue Notre-Dame-de-Lorette.
Georges Lepape en 1913
C’est un des chefs du mouvement de l’art décoratif moderne.
Le 44, c’est tout simplement cinq étages de fenêtres percées dans un mur. Escalier bourgeois avec, à chaque palier, la double porte couleur chocolat. Il demeure au cinquième, il m’ouvre. Il a une bonne face réjouie, de grosses joues amicales et des pommettes vives de bébé primé, il n’a pas de menton. Ses yeux sont sincères et sa poignée de main sans restriction.
L’entrée est d’un jaune frais, d’un jaune jardin, un peu comme la salle à manger de Claude Monet. En face, la salle à manger. A droite, un grand escalier avec jour du haut et de côté, plinthes et corniches peintes avec un gris perlé, le mur est tapissé d’un papier violet moderne, à longues raies d’inégales largeurs. Un divan plat et très bas recouvert d’une étoffe d’argent. Quelques chaises. Une sorte de grande table Tronchin en bois blanc qu’il promène et sur laquelle il travaille debout. Dans le coin, à droite, une autre table pour travailler assis ; au-dessus, au mur, deux rangées de livres dans des casiers également peints en gris.
Lepape me montre beaucoup de ses dessins. J’admire ses belles couleurs juvéniles. Il me dit : « C’est Poiret, le couturier, qui le premier m’a montré la couleur. Il m’étala des étoffes merveilleuses et brillantes et me dit : « Copiez-les et faites-moi des modèles de robes. »
— Et les ballets russes ?
— Ils m’ont aussi influencé.
— Dessinez-vous d’après modèle ?
— Non, mais je commence toujours par une esquisse ; je ne suis pas long à composer mais lent à penser.
Gouache Les vendanges de Lepape
Il me fait aussi défiler des gouaches, des paysages de Bretagne, d’autres, près de Granville, très brillants.
Pendant le thé la conversation tombe sur le cubisme et Picasso. « On m’a raconté, dit Lepape, que Picasso a répondu à une dame qui voulait avoir son portrait et lui demandait un rendez-vous pour poser : « Vous n’avez qu’à m’envoyer « une mèche de cheveux et votre collier. »
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
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