vendredi 6 mars 2015

1er Carnet - 24 mai 1918

24 mai. – Sur le dôme des Invalides. 

Hippolyte Destailleur 1822-1893, le père de Walter-André dont parle Gimpel. Vu ce que le grand-père et le petit fils (voir ci-dessous en note) se ressemblent, on imagine volontiers la tête de Walter-André

L’architecte Destailleur*, qui a du talent malgré son physique ciré de demi-hidalgo, me raconte qu’il possède les comptes originaux du Dôme. Ils sont signés Hardouin-Mansart et datés de Meudon, 1690. Hardouin-Mansart et Girardon se plaignent des entrepreneurs parce qu’ils réduisent les proportions des pierres par mesure d’économie et que la beauté de l’édifice en est altérée et ils demandent des crédits pour, au contraire, augmenter le volume de ces pierres. Ils assurent que sur les plans il était impossible de se rendre compte qu’un tel relief était nécessaire.


Le directeur des Bâtiments royaux approuve leur requête, qu’il motive, et le roi accorde les nouveaux crédits. 

25 mai. – Chez Mlle Brisson, relieuse, 68, rue du Cardinal-Lemoine. 

Portrait de Laurent Tailhade par Félix Valloton
Source Wikipedia 

Une cour, et dans une ancienne remise, son atelier. Je feuillette un livre de Laurent Tailhade**. «Il appartient, me dit-elle, à un de mes amis, un poète, ils sont venus ensemble me voir ici. Depuis, Tailhade m’a envoyé un mot très aimable pour m’inviter à aller chez lui, mais son ami m’a dit : «Abstenez-vous, il vous recevra tout nu.» Mlle Brisson, fille d’un horticulteur, est une gamine de Paris, avec de l’art plein les doigts. Comment vit-elle ? Elle a été réduite à faire des munitions pendant la guerre ! Elle n’est pas commerçante parce qu’elle aime trop le livre. Elle pense que c’est son devoir de le lire pour savoir le relier et perd ainsi deux jours par volume, puis trois jours pour trouver le cuir et la soie ou le papier de garde. Puis, quand elle a exécuté la reliure, elle demande huit francs. Les clients lui donnent sept francs cinquante. Elle ira mourir à l’hôpital. C’est une gamine de Paris avec de l’art plein les doigts (1) . 

Panneau de Boucher de la collection Wallace

Un Boucher. 
Panneau décoratif très esquissé, genre Frago. Il a peut-être un mètre soixante de haut et pas plus de cinquante centimètres de large. De la même série que ceux de Wallace. Acheté cinquante mille francs à l’antiquaire Demotte. En 1770, il avait atteint cent trente livres dix-neuf sols à la vente Beaudouin sous le numéro 10 (2)  .

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Notes du livre

(1)
Elle a épousé un avocat australien et vit à Melbourne, heureuse, dans le confort, mais regrettant toujours Paris, même avec ses heures de misère. (Note de 1939.)
(2)
Depuis dans la collection Gulbenkian. (Note de 1927.)
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Notes de l'auteure du blog

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Walter-André Destailleur Walter-André Destailleur (puis d'Estailleur) est un architecte français né en 1867 et mort en 1940. Fils de l'architecte Hippolyte Destailleur, il étudie aux Beaux-Arts de Paris sous la direction d'Honoré Daumet et de Charles Girault. 
À la mort de son père, en 1893, il achève la plupart de ses chantiers, y gagnant ses galons d'architecte avec ténacité et courage. C'est à cette époque qu'il fait modifier l'orthographe de son patronyme en d'Estailleur, reprenant l'orthographe pré-révolutionnaire. 
Après la Première Guerre mondiale, d'Estailleur restaure l’hôtel de Crillon (1907), place de la Concorde, qu'il transforme en palace et dont il refait intégralement le décor intérieur. Toujours vers 1907, il construit à Biarritz la villa Bégonia également appelée Villa Lady Roussel, du nom de sa commanditaire, Marguerite Chaslon-Roussel, mère de l'écrivain Raymond Roussel. Dans les années 1910, il construit un hôtel à Alexandrie et donne les plans d'un nouveau quartier au Caire. 
Juste avant la Première Guerre mondiale, il construit avenue Foch, dans le style Louis XVI, l'hôtel de l'industriel Louis Renault. En 1921, il est chargé de restaurer et de transformer l'hôtel de Wagram, avenue George-V, afin d'y installer l'ambassade d'Espagne. Walter-André d'Estailleur peut être considéré comme l'un des derniers représentants de l'historicisme en Europe (mouvement instauré par son grand-père). De son mariage avec Marie Tuault de La Bouvrie, petite fille du député Joseph Golven Tuault de La Bouvrie, naîtra un fils, l'homme de lettres et aviateur Philippe d'Estailleur-Chanteraine.

Philippe d'Estailleur-Chanteraine en 1932

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Laurent Tailhade, né à Tarbes le 16 avril 1854 et mort à Combs-la-Ville le 2 novembre 1919, est un polémiste, poète, conférencier et pamphlétaire libertaire français.
Le poète satirique et libertaire Laurent Tailhade est issu d'une vieille famille de magistrats et d'officiers ministériels, lesquels, pour l'empêcher de s'adonner à la vie de bohème littéraire l'obligèrent à faire un mariage bourgeois et à se confiner dans l'ennui doré de la vie de province. «Libéré» à la mort de sa femme, Tailhade put gagner la capitale et dilapider en quelques années tout son bien, en s'adonnant à la vie qu'il désirait mener depuis toujours. Devenu l'ami de Verlaine, Albert Samain et Aristide Bruant, Tailhade, tout en écrivant des vers influencés par les Parnassiens, développait sa fibre anarchiste et anticléricale dans des poèmes et des textes polémiques et d'une vigueur injurieuse peu commune.


Son nom devint populaire à partir de décembre 1893, lorsqu'il proclama son admiration pour l'attentat anarchiste d'Auguste Vaillant avec une phrase fameuse, « Qu'importe de vagues humanités pourvu que le geste soit beau ! » Par une étrange ironie du sort, Tailhade fut lui-même victime quelques mois plus tard, d'un attentat anarchiste, d'où il ressortit avec un œil crevé.
C'était un habitué des duels (plus de 30 à son actif), et il avait été blessé plusieurs fois par ses adversaires, notamment par Maurice Barrès. En 1902, lors des obsèques d'Émile Zola, il en prononce le panégyrique (lui-même, comme Zola, était dreyfusard) ; il est reconnaissant que ce dernier soit venu le défendre, au nom de la défense de la liberté de la presse, à la barre du tribunal l'année précédente lorsqu'il était poursuivi pour avoir écrit dans Le Libertaire un article incendiaire constituant un véritable appel au meurtre à l'encontre du tsar Nicolas II qui fait en 1901 sa seconde visite en France. Il est pour cela condamné à un an de prison ferme et séjourne environ six mois à la prison de la Santé entre octobre 1901 et février 19024.


Laurent Tailhade prend l'habitude de passer la saison estivale à Camaret: d'opinion libertaire, de mœurs libres (il y fait scandale en partageant sa chambre à l'Hôtel de France à la fois avec sa femme et un ami peintre), il était volontiers provocateur. Le scandale du 15 août 1903 est resté longtemps célèbre à Camaret : le 15 août est traditionnellement le jour de la Fête de la bénédiction de la mer et des bateaux : après la messe, la procession part de la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour, suit le « Sillon » et longe les quais du port avant de faire demi-tour et, de retour à la chapelle, est suivi des vêpres ; des couronnes de fleurs sont jetées à la mer et les bateaux sont bénis par le curé de la paroisse tout au long du parcours de la procession. Lorsque celle-ci se trouve à hauteur de l'Hôtel de France, Laurent Tailhade, dans un geste de provocation, verse le contenu d'un vase de nuit par la fenêtre de sa chambre, située au premier étage. Le 28 août 1903, 1800 camarétois font le siège de l'Hôtel de France, menaçant d'enfoncer la porte d'entrée, criant «À mort Tailhade ! À mort l'anarchie ! », et menacent de jeter Tailhade dans la vase du port. Il doit quitter Camaret sous escorte policière. Il se réfugie à Morgat et se venge, notamment en publiant dans L'Assiette au beurre du 3 octobre 1903 un pamphlet intitulé « Le peuple noir » où il critique violemment les Bretons et leurs prêtres. Un procès lui est par ailleurs intenté par le recteur (curé) de Camaret devant la cour d'assises de Quimper. La chanson paillarde Les Filles de Camaret a d'ailleurs probablement aussi été écrite anonymement par Laurent Tailhade pour se venger des Camarétois. Le nom tailhade est devenu pendant une bonne partie du XXe siècle dans le parler local un nom commun synonyme de « personnage grossier, mal élevé », même si ce mot est désormais tombé en désuétude.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mercredi 4 mars 2015

1er Carnet - 23 mai 1918

23 mai. – Groult. 


Le Gaulois du dimanche : la collection Camille Groult

Sa veuve est morte. Que va devenir la collection ? C’est la question du jour. Camille, le fils, nous a dit qu’elle formerait un musée après sa mort et celle de sa sœur.
Groult* fut la grande figure de l’amateur du XIXe siècle, le pendant de M. de Julienne au XVIIIe. Tout le monde l’a rencontré et personne, j’ai beau interroger, ne sait plus rien sur lui. Il était plein d’esprit. On parlait toujours de ses bons mots, et aussi de ses mystifications. J’étais tout gosse quand je l’ai connu.

Camille Groult en 1902

C’était un grand et fort bonhomme à la Joseph Prudhomme. Il venait souvent voir mon père en son magasin au 9, rue La Fayette ; il me connaissait très bien et me regardait travailler. Un Américain demande, un jour, à mon père, à voir sa collection ; mon père va le trouver et m’emmène avec lui pour me donner l’occasion de visiter la maison de Groult et ses merveilles. Groult me regarde et s’écrie : « Ah ! le voilà, l’Américain. » Mon père répond : « C’est mon fils. – Non ! hurle Groult, c’est l’Américain. Ah ! c’est ainsi que vous, monsieur Gimpel, avez voulu introduire un étranger chez moi à mon insu. » Et Groult continue sur ce ton en se fâchant tout rouge. « Mais vous connaissez bien mon fils », assure mon père. « Oui, et c’est parce que je le connais que je jure que cet homme (j’avais peut-être quinze ans) est un Américain. Je ne veux recevoir personne et je ne montrerai pas ma collection. » Puis, s’adressant à moi : « Vous aimez l'art, petit ? – Je m’y intéresse beaucoup, monsieur, – Eh bien ! regardez ce Watteau, le portrait de M. de Julienne. Vous ne verrez jamais une toile pareille. » Il avait raison, c’est peut-être le seul portrait connu fait par Watteau(1)  beaucoup discuté et indiscutable.

Portrait de Jean de Julienne par Watteau


Puis, comme si mon père n’existait pas, il me prend par le bras et me fait entrer dans ses vastes galeries où sa collection semblait perdue dans le plus immense des désordres. Mais ce désordre, comme il avait su l’arranger avec soin, avec art ! Un objet ou un tableau ne s’apercevait que d’un point, mais de là rien d’autre ne pouvait attirer la vue. Mon père nous suivit. Groult m’arrête devant deux vitrines plates, recouvertes d’un velours, me dit qu’elles cachent la plus belle création artistique du monde et il tire l’étoffe avec un geste d’escamoteur ; je découvre dans l’une des papillons merveilleux et dans l’autre des coquilles de nacre ; et il me dit : « Vous voyez la couleur de ces papillons, ces couleurs, l’homme n’a jamais pu en créer d’aussi belles, et la perle la plus rare n’a pas l’éclat de ces coquilles que j’ai payées entre vingt et trente sous pièce à Cancale. Si elles étaient rares comme les perles, on donnerait des millions pour les avoir et les femmes les porteraient. Mes papillons vaudraient aussi des centaines de mille francs. L'humanité n’apprécie pas ce qu’elle peut avoir à bon marché. Mais savez-vous encore ce qu’au-dessus de ma collection je préfère ? Un beau coucher de soleil. J'ai cinq ou six chambres dans Paris, sous les toits, des chambres de domestiques, et quand, l’après-midi vers 6 heures, je hume un beau coucher de soleil, j’escalade les six étages les plus proches et je contemple la nature dans sa sublime féerie. Tenez, venez voir le peintre qui a le mieux compris la couleur et la lumière. » Il me conduit dans une pièce où, sur une douzaine de chevalets, se trouvent des Turner, et il continue : « Le plus beau, selon moi, c’est le Pont de Saint-Cloud. Le premier dimanche qui le-champ et depuis j’y passe tous mes étés. C’est autrement beau que mon Turner ! »

William Turner (Londres 1775-Chelsea, Londres 1851) 
 Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, vers 1835-1840 **


Les Turner de Groult, ce fut toujours l’amusement de Paris car il en avait bien trois de faux sur quatre. Le savait-il ? Parfaitement. Il payait le vrai Turner deux cent mille francs et le faux, difficilement, trois cents francs. Mais il s’amusait à voir les vrais connaisseurs admirer ces croûtes par peur de lui déplaire. Il poussa la plaisanterie jusqu’à donner un faux Turner au Louvre pour l’y voir suspendu par les conservateurs qui espéraient qu’il leur léguerait sa collection. D’ailleurs il le laissait croire. Il ne légua pas un dessin ; alors, quelques jours après son enterrement, on fit dégringoler le faux Turner de son clou, mais, soudain, on se mit à espérer en Mme Groult et on le raccrocha.

Camille Groult en 1903 : il s'agit donc bien sur père mort en 1908

Peu de temps avant sa mort, Groult avait transformé son jardin de l’avenue de Malakoff en un paysage à la Hubert Robert, avec un jet d’eau, des colonnes et des ruines. Un passage conduisait rue Pergolèse ; je ne crois pas qu’il lui appartenait.
Il était loué à des marchandes de fleurs mais il s’était arrangé avec elles pour pouvoir s’y promener à partir de 6 heures du soir, après leur départ, et jouir des fleurs qu’elles y laissaient.
Le seul mot qu’on rapporte souvent de lui est celui-ci : un grand industriel ayant fait sa fortune dans les pâtes alimentaires, des gens très bien allaient chez lui. Un roi, peut-être de Grèce, qu’il avait rencontré aux eaux, vint à Paris et Groult l’invita à déjeuner. Le roi ne répondit même pas. Notre homme lui écrivit alors : « Vous auriez vraiment pu venir, vous nous avez beaucoup manqué, nous étions entre nous, il n’y avait que le meunier et son fils. »

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Note du livre

(1) Celui du musée de Valenciennes est par Watteau

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Notes de l'auteure du blog

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Camille Groult (30 juin 1837, Paris - 13 janvier 1908, Paris), est un industriel et collectionneur d'art français.
Héritier d'une riche famille de minotiers (pâtes alimentaires Groult à Vitry-sur-Seine, rue d'Oncy, maintenant rue Camille-Groult, qui fusionnèrent en 1967 avec la marque de semoule Tipiak, usines à Nantes et Pont-l'Évêque), il commença, vers 1860, à collectionner des tableaux, dessins et pastels du xviiie siècle français, mais délaissa ce thème autour de 1890, pour acquérir des tableaux du xviiie siècle anglais. "Ami du Louvre", plus tard donateur d'une riche collection, il fut sans doute le plus grand amateur de peinture britannique en France à la fin du xixe siècle. Grâce à ce don, le Louvre conserve à présent un ensemble d’œuvres de Raeburn sans exemple hors du monde anglo-saxon. Marié à Alice Thomas, fille du préfet Théodore Thomas (1803-1868) et de Rose Françoise Anaïs Tassin de Moncourt, il est le grand-père de Pierre Bordeaux-Groult.
Source Wikipedia

Camille Groult était aussi le premier collectionneur d’art anglais en France. Sa préférence allait au peintre Turner (1775-1851). Il aimait la couleur et collectionnait les papillons qu’il épinglait près des tableaux de Turner pour que les couleurs rivalisent. Encouragé par Proust, il a voulu donner un musée d’art anglais à l’État français, mais le projet échoua.
Source Vitry sur seine

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Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain est l'un des rares tableaux de Turner que Proust ait pu voir : l'écrivain connaissait en effet la collection de l'industriel Camille Groult (1832-1908), où cette œuvre semble avoir été distinguée par Edmond de Goncourt dès 1890 - "Il y a, parmi ces toiles, un Turner : un lac d'un bleuâtre éthéré, aux contours indéfinis, un lac lointain, sous un coup de jour électrique, tout au bout de terrains fauves. Nom de Dieu ! Ça vous fait mépriser l'originalité de Monet et des autres originaux de son espèce !" (Journal, Paris, Robert-Laffont, 1989, T. III, p. 374, 18 janvier 1890).
Source BNF

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

lundi 2 mars 2015

1er Carnet - du 18 au 22 mai 1918

18 mai. – De l’art et de l’amour. 

Georges Bernheim me dit : « Dans un instant, à 6 heures, je vais au b… l de la rue Favart voir seize Toulouse-Lautrec dont on demande cent mille francs. On en aurait refusé cent vingt mille avant la guerre. 
— C’est possible, répond Alforsen, un artiste suédois, car les affaires marchent mal dans les maisons closes. Les femmes trouvent trop de travail au dehors, et les patronnes ne parviennent pas à recruter assez de main-d’œuvre féminine. » 

 21 mai. – Un Rembrandt. 

Old Woman Holding Glasses, 1643, van Rijn Rembrandt (1606-1669) 
The State Hermitage Museum St. Petersburg Russie

J’ai offert cent quarante mille dollars pour le portrait d’une femme âgée de la collection Montgermont, daté de 1643. Elle tient des binocles dans la main droite. Illustré dans Bode. Tome IV .(1)

22 mai. – Collection du marquis de Chaponay, 30, rue de Berri*.


1711- Marie-Madeleine Coskaer de La Vieuville Parabere par l'atelier de Largillière 

Deux anciennes folies placées côte à côte que le marquis a réunies et dont il a fait une charmante maison. Aspect un peu château. Un immense jardin. Terrain de quatre mille mètres. Il n’avait pas un tableau il y a vingt-cinq ans et il se fit une collection en moins d’un an, aidé par la marquise. Ils n’en avaient parlé à âme qui vive, et un beau jour ils invitèrent vingt-cinq amis, des amateurs. Stupéfaction. Les Chaponay, une collection, pas possible ! Grand bruit au faubourg Saint-Germain. Puis, on apprit quelques prix alors sensationnels : deux cent mille francs à Durand-Ruel pour un Nattier, c’était un record. N. Wildenstein en avait offert cent soixante-quinze mille francs. Trois cent cinquante mille francs pour un Romney, une femme en blanc, qui n’est même pas vraie. Plus de cent mille francs pour un Largillière, Madame de Parabère, qui avait appartenu au comte Boni de Castellane auquel mon père l’avait vendu. Plus de deux cent cinquante mille francs pour un Watteau en largeur à cinq personnages, peint sur fond or, avec, à gauche, son vieux joueur de flûte et, au milieu, un danseur, frère de L’Indifférent. Ce doit être un ancien panneau de clavecin. L’or sous la jupe de la danseuse est plein de radiation. Tableau ardent et raffiné !(2)
Que possède encore le marquis ? Une peinture de Lawrence(3), un peu « porcelainisée ». Un ou deux Vigée-Lebrun. Un Schall. Un Mlle Gérard. Un petit amour de Boucher. Un Gainsborough, le portrait de Peel.
Le marquis et la marquise veulent vendre. J’achèterais le Nattier (4)  six cent mille francs, c’est le plus beau qui existe ; le Watteau, deux cent cinquante ; le Largillière, cent vingt-cinq ; le Lawrence, soixante-quinze ; deux mobiliers, cinq cent mille, dont un de Salambier et l’autre à pavots des Gobelins ; dans les cent cinquante mille un Fragonard, La femme à la lettre de l’ancienne collection Mühibacher. Ils l’ont acheté dans les trente mille. Il y a encore un beau bronze : le portrait de Henri IV, puis de jolis meubles, de beaux objets, beaucoup de goût.

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Notes du livre

(1)
Les Duveen, depuis, l’ont acheté plus cher. (Note de 1925.)
(2)
Depuis, chez le baron Edmond de Rothschild.
(3)
Depuis chez Arthur Veil-Picard
(4)
Depuis chez Arthur Veil-Picard

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Note de l'auteure du blog

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Le 30 rue de Berri a été détruit
no 30 : Anciennement hôtel de la marquise de Chaponay, née Constance Schneider (1865-1935). Après elle, il fut la résidence de ses filles, Mlle de Chaponay et Constance Zélie Eudoxie Marie Nicole de Chaponay (1890-1975), duchesse de Lévis-Mirepoix par son mariage avec le duc de Lévis-Mirepoix (1884-1981), membre de l'Académie française. Cette dernière organisait des bals rue de Berri pour les œuvres sociales de la noblesse française. L'hôtel existait encore en 1953.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

samedi 28 février 2015

1er Carnet - 15 mai 1918

15 mai. – Sur la mort de Gordon Bennett*. 


Le propriétaire du New York Herald s’est éteint hier à Beaulieu. Son amour ardent pour la France venait de son mépris pour la rudesse américaine qu’il personnifiait. « Le journaliste français, me dit-il un jour, c’est un chien de chasse, l’Américain c’est un bouledogue. »

Pavillon de la lanterne à Versailles

Un hasard me fait visiter aujourd’hui le rendez-vous de chasse situé sur le territoire de Trianon et donnant sur son parc, que Gordon Bennett louait aux Domaines : « La Lanterne »**, vieux château Louis XVI, une miniature. Il y construisit une grande volière pour ses hiboux, l’oiseau qu’il aimait entre tous parce que le plus martyrisé. Le jardin est délaissé ; il est clos d’un grand mur. Dans un angle, sous des arbres géants : des tombes… des tombes minuscules. Au ras du sol, des plaques de marbre. Je me penche et je lis : Cher petit Toppy, mort le… – Beautiful little Ketty… – Pauvre petite Zata… – Poor old Billy… – Pauvre vieux Baby… 
Là, dorment les chiens de Gordon Bennett.***

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Notes de l'auteure du blog

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James Gordon Bennett junior né le (10 mai 1841 et mort le 14 mai 1918), est un homme de presse américain, passionné de sports, mécène, créateur de la coupe automobile Gordon Bennett et de la coupe aéronautique Gordon Bennett.
Né à New York, le fils et homonyme du riche éditeur du New York Herald, James Gordon Bennett senior, est instruit principalement en France, pays où il passe une bonne partie de sa vie. Fervent marin, Gordon Bennett sert dans la marine pendant la guerre civile américaine, puis, en 1866, gagne la première course transocéanique en bateau avant de reprendre les affaires du journal de son père l'année suivante.
Une fois responsable, il relève le journal. En 1877, quelques années après avoir repris le journal de son père, Gordon Bennett quitte New York après un scandale qui met fin à ses fiançailles avec Caroline May, membre de la haute société. Bennett est arrivé ivre et en retard à une fête au manoir new-yorkais de la famille May, et a uriné dans la cheminée du salon devant tous les invités.
S'établissant de manière permanente en France à Paris, il commence à éditer un journal de qualité, en anglais, qui existe toujours de nos jours sous le nom de International Herald Tribune. Il dirige la rédaction du journal de New York depuis Paris, ou à bord de son luxueux yacht de 100 mètres mètres de long.
L'enthousiasme de Bennett pour les sports l'amène à commanditer plusieurs événements dans l'air du temps, et fortement populaires...
Il a de très nombreuses femmes à sa disposition, les utilisant pour se divertir, et ne se mariant qu'à l'âge de soixante-treize ans, pour des raisons d'affaires, avec la baronne de Reuter, une fille de Paul Reuter, le fondateur de la célèbre agence Reuters. Gordon Bennett meurt le 14 mai 1918 à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Il est inhumé au cimetière de Passy à Paris.

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Sous l’ancien régime 
Historiquement, « La Lanterne » est un ancien pavillon de chasse, situé à côté de la ménagerie (aujourd’hui disparue) et construit en 1787 par le prince de Poix, capitaine des Gardes du corps de Louis XVI, dans un recoin du parc du château de Versailles.
A la révolution 
À la Révolution, le pavillon de la Lanterne est aliéné, comme le reste des bâtiments du château de Versailles, avant d’être racheté par la Couronne en 1818.
Du XIXe à la cinquième République
À la fin du XIXe siècle, il est habité par le millionnaire américain James Gordon Bennett junior. Pendant la IVe République, le pavillon est loué à David K. E. Bruce, ambassadeur des États-Unis en France.
De 1959 à 2007 
Par décision de Charles de Gaulle en 1959, l’ancien pavillon de chasse devient la résidence de villégiature du Premier ministre en fonction. Le couple Malraux modernise l’intérieur du bâtiment central. Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991, fait procéder à une rénovation, à la construction d’une piscine et d’un court de tennis, la fille longtemps cachée du Président François Mitterrand, Mazarine Pingeot, y monte à cheval, Lionel Jospin vient s’y ressourcer en compagnie de son épouse avant que le Premier ministre Dominique de Villepin n’y découvre à son tour l’« une des plus belles caves de la République ».
Sous la présidence Sarkozy
Dès le lendemain de son élection à la présidence en 2012, Nicolas Sarkozy fait savoir qu’il veut prendre possession du lieu à la place de son Premier ministre, François Fillon. C’est là que le nouveau président de la République compose son gouvernement, qu’il reçoit Carla Bruni pour un premier week-end en amoureux et que la soirée du mariage s’est déroulée. En octobre 2008, une convention est signée entre l’Élysée et Matignon pour officialiser le transfert de la Lanterne au chef de l’État. En compensation, le domaine de Souzy-la-Briche, habituellement réservé au président de la République, est mis à la disposition du Premier ministre qui n’y séjourne en réalité jamais.
Sous la présidence Hollande 
C’est là, plutôt qu’au Fort de Brégançon que François Hollande a décidé de passer ses congés d’été. C’est encore là que sa compagne a séjourné récemment quelques jours après un séjour à l’hôpital.
Le domaine aujourd’hui 
Le domaine de quatre hectares est ceinturé par un haut mur d’enceinte et une longue allée bordée de peupliers. Son survol en avion est interdit. La propriété comprend :
- un bâtiment central d’un étage, essentiellement décorée par la compagne d’André Malraux au rez-de-chaussée figurent un grand salon, une salle à manger et un bureau, à l’étage, on trouve cinq chambres avec leurs salles de bain respectives, permettant d’accueillir les visiteurs,
- deux ailes plus basses que le corps central encadrant une cour gravillonnée, une de ces ailes abrite le logement du personnel et la cuisine, l’autre sert aux services de sécurité du bâtiment,
- un grand jardin avec piscine et tennis.
Source Andrelenotre

*** Et maintenant celui d'Edouard Balladur !

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

jeudi 26 février 2015

1er Carnet - 14 mai 1918

14 mai. – Chez le bibliophile Gallimard. 

Je pense qu'en 1918 Gimpel parle de Paul Gallimard, le père de Gaston (né en 1881 ce dernier n'avait alors que 37 ans et ne peut donc être qualifié de vieux général)... Paul lui, par contre est né en 1850 et affiche 68 ans. 
Paul Gallimard par Toulouse Lautrec

Ou plutôt chez l’actrice Diéterle, 68, boulevard Malesherbes. Gallimard* : type vieux général Napoléon III à barbiche. Une longue carotte en place de nez.

Les Fleurs du Mal illustrées par Rodin

Son plus beau livre, c’est Les Fleurs du mal illustré de vingt-sept dessins de Rodin**. Le miracle du sculpteur c’est d’avoir du vers de Baudelaire extrait et matérialisé son mâle et sa femelle. 
Gallimard me dit : « Je possède quinze cents des deux mille bois qui illustrent les principaux livres du XIXe siècle. Le lendemain de la mort des grands graveurs, je courais chez leur veuve ou voyais leur famille et j’achetais leur œuvre gravé. J’en ai fait des occasions ! » Ses yeux luisent. Quel livre à écrire sur la cruauté de l’amateur !

Ambroise Vollard

Pendant qu’il s’entretient avec moi, j’ai les yeux fixés sur un homme qui parle à Diéterle. C’est Vollard***, le plus riche des marchands de tableaux modernes. Il possède dix millions.


Hommage à Cézanne (1900) , Orsay , par Maurice Denis (1870-1943) , de gauche à droite : Redon / Vuillard / Mellerio / un homme qui tient le chevalet / VOLLARD / Sérusier / RansonN / Roussel / Bonnard / Marthe Denis.

L’origine de sa fortune date du jour où, dans l’atelier de Cézanne, il trouva l’artiste déprimé, et où il lui acheta environ deux cent cinquante toiles à une moyenne de cinquante francs pièce. Il en céda quelques-unes mais garda le plus grand nombre jusqu’au moment où il put les vendre entre dix et quinze mille francs pièce.

Illustration de Degas pour la Famille Cardinal de Halévy

— Savez-vous, Vollard, lui demande Gallimard, comment les experts présenteront, dans la prochaine vente Degas, les dessins qu’il fit pour illustrer La Famille Cardinal de Halévy**** ? 
— Ils les réuniront en un seul lot. Halévy n’a pas pu comprendre le talent de Degas, mais Mme Halévy, qui l’admirait, lui disait de préparer des dessins, et elle l’assurait qu’elle convaincrait son mari, mais elle échoua. Halévy choisit le lamentable Morin.

Portrait de Ludovic Halévy (1834-1908) pour la Famille Cardinal par Degas

Gallimard ajoute : 
— Moi, je suis allé trouver Degas et lui ai demandé le prix du lot Cardinal. Il m’a répondu : quinze mille. J’acceptai aussitôt, mais le soir il m’envoyait un mot : Il me faut quatre-vingt mille francs du lot Cardinal. 
Vollard s’écrie : 
— Les artistes sans talent ont seuls une parole.

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Notes de l'auteure du blog

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Son père de Gaston Gallimard, Paul Gallimard (1850-1929), est un rentier qui traduit les œuvres de John Keats pour Le Mercure de France et collectionne les livres rares, comme il le fait des tableaux impressionnistes. Il est ami avec Auguste Renoir. Il fréquente aussi les théâtres. Il a épousé Lucie Duché (1858-1942).

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Sur le site du Musée Rodin
CHARLES BAUDELAIRE (1821 -1867) LES FLEURS DU MAL Édition originale de 1857, illustrée par Rodin en 1887-1888 H. 18,7 cm ; L. 12 cm D.7174 Paris, Poulet-Malassis et de Broise. Cet exemplaire de l’édition originale de 1857 appartenait à l’éditeur et bibliophile Paul Gallimard. C’est grâce aux interventions de l’architecte et critique d’art Frantz Jourdain que Rodin reçoit la commande pour l’illustrer. La reliure en maroquin brun est réalisée par Henri Marius Michel. Sur le premier plat, un cuir incisé et mosaïqué représente en demi-relief une tête de mort de ton ivoire sur un pied de chardon vert foncé.
 En à peine quatre mois, à la fin de l’année 1887- début 1888, Rodin, dont on connaît l’attachement à la poésie et à Baudelaire, travaille sur ce projet, et ses dessins au trait ou ombrés, au fond hachuré et aux cinq lavis sur papier japon, chargés d’encre et de gouache qui furent insérés par la suite. Conçus pour l’occasion, ou antérieurs, comme ceux inspirés de Dante, ces dessins apparaissent en frontispice des poèmes ou envahissent parfois le texte.
Cet exemplaire unique a pu être acquis en 1931 par le musée Rodin, grâce à la participation de MM. David Weill et Maurice Fenaille.

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Ambroise Vollard est un marchand d'art, galeriste, éditeur et écrivain français né à Saint-Denis de La Réunion le 3 juillet 1866 et mort à Versailles le 22 juillet 1939. Il révéla Paul Cézanne, Paul Gauguin, Vincent van Gogh, Henri Matisse, Pablo Picasso1,2. Avant-gardiste en matière d'art moderne, il se lia d'amitié avec les plus grands peintres de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle. Passionné du Père Ubu d'Alfred Jarry, il était fasciné par la littérature.

Ambroise Vollard par Renoir

Fils de notaire, le jeune Ambroise quitte son île natale pour poursuivre des études à Montpellier, mais c'est à Paris qu'il fera finalement son droit. Il y développe une passion pour la peinture qui l'amène à ouvrir sa galerie d'art dès 1890. Il ouvre sa première galerie parisienne en 1893. Vollard expose par la suite de nombreux artistes majeurs comme Gauguin ou Matisse. Il en fréquente beaucoup d'autres, notamment Paul Cézanne ou Auguste Renoir, qui peindront son portrait, ainsi que les nabis. Il devient l'ami de Maurice de Vlaminck et contribue énormément à sa reconnaissance.
Vollard se lance dès 1889 dans l'édition et publie de nombreux poètes dans des recueils illustrés par autant de grands maîtres. C'est chez lui qu'a lieu en juin 1901 la première exposition de Pablo Picasso, jeune peintre espagnol récemment installé à Paris (et qui peindra également son portrait).
En 1914, la guerre l'oblige à fermer sa galerie parisienne. Par sécurité, il transfère ses tableaux dans la région de Saumur. Il ne rouvre qu'en 1919 après la fin des hostilités. Il meurt le 23 août 1929, dans un accident de voiture.
N'ayant pas pris le soin de faire un testament, son inestimable collection de plusieurs milliers d’œuvres est dispersée. Certains de ses tableaux se retrouvent dans les plus grands musées du monde ou dans des collections privées, d’autres se volatilisent à jamais
Source Wikipedia

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HALÉVY, Ludovic.- La Famille Cardinal. Illustré d'un portrait de l'auteur et de trente-trois monotypes en noir et en couleurs par Edgar Degas. Avant-propos de Marcel Guérin. Paris, Auguste Blaizot & fils, 1939 (1938 au colophon). Gr. in-4°. Relié par E. Maylander : plein maroquin bleu foncé, plats sertis de multiples filets dorés gras ou maigres et d'un listel de maroq. saumon, dos à nerfs et caissons ornés comme les plats, doublures de soie parme serties de cadres de maroq. bleu foncé ornés de filets dorés pleins ou pointillés, doublures de même soie, tranches dorées sur témoins, couv. et dos cons. Sous étui. 34 compositions en noir : portrait de l'auteur en noir en frontispice, 31 hors-texte dont 6 avec des couleurs lég. plus prononcées, 1 bandeau et 1 cul-de-lampe. En vue d'illustrer l'ouvrage, Degas montra ces monotypes à son ami Halévy mais ce dernier ne montra aucun enthousiasme. L'artiste rangea ses gravures qui furent mises en vente en 1928 et acquises par un groupe de bibliophiles qui céda le droit de reproduction à Blaizot. Le monotype étant un type de gravure tirée à une seule épreuve, c'est Potin qui fut chargé de reproduire au plus près les originaux. Tirage limité à 350 ex. sur vélin de rives filigrané au nom de l'éditeur, un des 325 mis dans le commerce (n° 300).
Source Icollectors

Ludovic Halévy, né à Paris le 1er janvier 1834 et mort à Paris le 7 mai 1908, est un auteur dramatique, librettiste d'opérettes et d'opéras, et romancier français.

Ludovic Halévy

Halévy créa les personnages de la famille Cardinal, symbole de la petite bourgeoisie parisienne pompeuse, pédante et méchante. Il est également l'auteur de deux romans, L'Abbé Constantin (1882) et Criquette (1883), qui furent de très grands succès de librairie à la fin du xixe siècle. En rupture avec la noirceur des romans naturalistes, ils dépeignaient un monde certes réaliste mais où tous les personnages sont bons et vertueux. Ce succès lui ouvrit les portes de l'Académie française, où il fut élu le 4 décembre 1884.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

mardi 24 février 2015

1er Carnet - du 10 au 13 mai 1918

10 mai. – Art de guerre.

Vitrine d'une boulangerie protégée contre les bombardements au 12 rue Soufflot, Paris, France, 22 mars 1918 
Vitrines du Grand Bazar protégées contre les bombardements, Paris, France, 10 mai 1918

A la suite du bombardement, les journaux ont recommandé aux Parisiens de coller des bandes de papier sur les glaces des vitrines des magasins pour éviter qu’elles ne se brisent. Ma bonne ville ne fut jamais si belle. Spontanément, un art a surgi, l’art du ruban de papier. Il semble qu’il ne restera plus un dessin géométrique à inventer, certains sont merveilleux. Parfois, le simple boutiquier montre plus de goût que le grand orfèvre. Une heure a suffi pour créer un art ! Hélas ! en une minute, on le grattera . 

11 mai. – « L’Invocation à l’amour. » Sépia par Fragonard.

L'invocation à l'amour - 1781 - Fragonard - Cleveland Art Museum

Elle est trop blonde, sans détails, mais quelle passion ! Achetée quinze mille francs à Mme Veuve Debussy, l’ancienne femme de Sigismond Bardac.

12 mai. – Avec Cadou, à Hermé.


Village aussi mortel que les tranchées. Nous relisons ce journal. Prenons quelques notes, des phrases ou anecdotes à revoir ou à compléter. Il m’encourage à le continuer.

 13 mai. – Sur Bernstein*.


« C’est le Georges Ohnet du théâtre », me dit Berenson.

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Note de l'auteure de ce blog

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Pour Berstein voir le journal du 6 mai
Georges Ohnet, également connu sous le pseudonyme de Georges Hénot, né le 3 avril 1848 à Paris et mort le 5 mai 1918 à Paris, est un écrivain de romans populaires français. Il est le petit-fils du docteur Esprit Blanche.


Fils de l'architecte Léon Ohnet, et petit-fils du docteur Blanche1, Georges Ohnet débuta dans le journalisme, notamment au Pays et au Constitutionnel. Ses premières œuvres littéraires sont des pièces de théâtre : Regina Carpi (avec Louis Denayrouze, 1875), puis Marthe (1877). Ces deux pièces n'eurent pas de réel succès. Il publia ensuite de nombreux romans. Il fut entre autres l'auteur de la série intitulée Les Batailles de la vie dont les titres les plus connus sont Serge Panine, Le Maître de forges, La Grande Marnière, La Comtesse Sarah. Il connut un très grand succès et les tirages de ses romans furent extrêmement importants. Plusieurs de ses romans furent adaptés au théâtre.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

dimanche 22 février 2015

1er Carnet - 7 et 8 mai 1918

7 mai. – Vente Degas. 

La Famille Bellelli de Degas - Musée d'Orsay

La première vacation a rapporté deux millions. Toutes les prévisions sont dépassées. Le Louvre a acheté à l’amiable le tableau de famille (n° 4) quatre cent mille francs*. C’est un des beaux tableaux du monde. Que n’a-t-il peint plus de portraits ! 

8 mai. – Occasions. 

Je n'ai pas réussi à trouver de photo de Georges Petit. Juste cette gravure de l'Illustration du 9 décembre 1905 intitulée : La vente de la collection Cronier** à la Galerie Georges Petit
On peut imaginer, d'après la description qu'en donne Gimpel, que Georges Petit ets l'homme debout à gauche, bien enveloppé. L'événement se situe 13 ans avant le journal de Gimpel, il a eu le temps de devenir obèse entre temps !!

Georges Petit***, qui a une figure de matou musqué, obèse et hydrocéphale, me dit : « Il y a quinze ou vingt ans, je suis entré chez tous les commerçants de Fontainebleau pour chercher les tableaux que Corot avait pu leur donner en paiement. Les deux plus beaux, je les ai trouvés chez une fruitière qu’il n’avait pas réglée pendant trois ans et à laquelle il avait dû quatre cents francs. Je les ai achetés douze mille et vendus cinquante. Ils vaudraient aujourd’hui deux cent mille francs pièce. »

Dessin de Helleu sur la première de son catalogue de la Vente Degas

Vente Degas. 

Elle intéresse le gros public. Il y avait, dimanche, six mille personnes à l’exposition. Elle se termine sur un total de six millions.

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Notes de l'auteure du blog

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Entre 22 et 26 ans, Edgar Degas achève sa formation en Italie, où réside une partie de sa famille. Il représente ici sa tante paternelle, Laure, avec son époux, le baron Bellelli (1812-1864) et ses deux filles, Giula et Giovanna. Le baron est un patriote italien, chassé de Naples, qui vit en exil à Florence. La baronne porte le deuil de son père, Hilaire, récemment décédé, dont le portrait est représenté sur la sanguine encadrée, juste à côté du visage de sa fille. En 1860, les deux petites filles, Giovanna et Giula, ont 7 et 10 ans. La mère est impressionnante de dignité et affirme une autorité un peu sévère, qui tranche avec l'effacement relatif du père. Ce tableau de famille évoque ceux des maîtres flamands, de van Dyck en particulier. Chef d'oeuvre des années de jeunesse de Degas, ce portrait évoque les tensions familiales qui murent chacun des personnages dans leur solitude. Le format imposant, les couleurs sobres, les jeux structurés de perspectives ouvertes (portes et miroirs), tout concourt à renforcer un climat de malaise. D'autant que des suggestions de fuite apparaissent, comme ce curieux petit chien coupé hors-cadre. Seule la position presque ludique de la fille cadette, croisant une jambe sous ses jupes, contraste avec la pesanteur de l'atmosphère tandis que sa soeur aînée semble déjà prisonnière des conventions des adultes.

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Rue de Sèze. La grande cohue. Quelque chose comme une émeute silencieuse,--autour d'une porte; la prise d'assaut d'on ne sait quoi par une foule très élégante qui, des deux rues voisines, afflue, se serre en interminables files au long des trottoirs, guette fiévreusement son tour d'entrer... C'est le grand spectacle de la semaine,--autrement sensationnel qu'une «première» aux théâtres du boulevard; un spectacle où ce n'est pas de l'émotion inventée et truquée, de la littérature qu'on nous sert, mais de la douleur «pour de bon», le dénouement du drame vécu dont un homme est mort. La vente Cronier! Tout Paris a voulu voir cela et, depuis cinq jours, la salle Georges Petit est une étuve. On s'écrase, on joue des coudes pour arriver jusqu'aux cimaises:
--Avez-vous vu le Gainsborough?
--Et cette Flore, ma chère! c'est le chef-d'oeuvre de Carpeaux.
--Moi, ce sont les tapisseries que je voudrais m'offrir. Ces cartons de Boucher! c'est le triomphe de Beauvais.
--Et le Watteau! Et les Fragonard!
--Il y a un Perronneau délicieux.
--Oui, mais Chardin!


--Et les La Tour, donc!...

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Georges Petit, né à Paris le 11 mars 1856 et mort le 12 mai 1920, est un galeriste et marchand d'art français, l'une des figures clés du marché de l'art de son époque à Paris. Il fut, avec son grand rival Durand-Ruel, et dans une moindre mesure Louis Adolphe Beugniet, l'un des principaux promoteurs des peintres impressionnistes. Son père, François Petit, fonda en 1846, au 7, rue Saint-Georges à Paris, la galerie François Petit. Georges Petit ouvre sa propre galerie en 1881 au 12, rue Godot-de-Mauroy à Paris et devient au fil des ans l'un des plus puissants acteurs du marché français de l'art. Il expose d'abord aussi bien des artistes académiques, appréciés par une clientèle bourgeoise fortunée1, que des artistes aux conceptions d'avant-garde. Ainsi, la galerie devient au fil des ans un lieu privilégié alternatif à l'exposition au Salon des artistes français; elle prendra ultérieurement pour adresse le 8, rue de Sèze à Paris. Georges Petit expose Claude Monet à partir de 1885 et Alfred Sisley vers 1886.
Source Wikipedia

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963