31 juillet. – Sur Meissonier.
LA VENTE DE LA COLLECTION CRONIER A LA GALERIE GEORGES PETIT. 1905 --A quatre cent mille!... Le Billet doux, de Fragonard!...--On demande à voir!... Le Billet doux, de Fragonard, a été adjugé 420.000 francs, auxquels il faut ajouter 42.000 francs de frais à la charge de l'acquéreur.
D'après la description de Gimpel, il me semble que Georges Petit est identifiable à gauche.
Comme un chat devant une souris, je trouve Georges Petit, ce matou gigantesque et jouisseur, assis devant son petit verre de chartreuse. La conversation tombe sur Meissonier, et il me dit : « C’était un grand peintre. Il fut l’ami intime de mon père qui fut chargé par lui de défendre ses intérêts et de diriger ses affaires. Moi-même, j’ai vendu La Revue quatre cent mille francs, Les Amateurs de tableaux cinq cent mille, La Confidence trois cent mille. Vous n’avez aucune idée de sa haute conscience artistique.
Il possédait une propriété aux environs de Poissy dans laquelle il entretenait une armée d’ouvriers. Il fit construire pour son tableau L’A propos une porte d’auberge parce qu’il n’en avait pas trouvé dans le pays. Je vendis cette toile deux cent mille francs, et quand je lui apportai l’argent il ne voulut prendre que cent vingt mille francs. Il dépensait un argent fou et n’a pas dû laisser plus d’un ou deux millions. Il recevait Napoléon III avec un luxe à la Louis XIV.
Il possédait une propriété aux environs de Poissy dans laquelle il entretenait une armée d’ouvriers. Il fit construire pour son tableau L’A propos une porte d’auberge parce qu’il n’en avait pas trouvé dans le pays. Je vendis cette toile deux cent mille francs, et quand je lui apportai l’argent il ne voulut prendre que cent vingt mille francs. Il dépensait un argent fou et n’a pas dû laisser plus d’un ou deux millions. Il recevait Napoléon III avec un luxe à la Louis XIV.
— Je le pourrais, d’autant plus que je possède au moins deux cents lettres de lui. Je vous parlais de sa haute conscience, écoutez ceci : il construisit, dans cette même propriété, un petit chemin de fer et une piste sur laquelle il faisait galoper des chevaux tandis que monté sur une locomotive minuscule, il les suivait en prenant des croquis. Vous comprenez alors qu’il n’ait pas eu le temps de peindre beaucoup de toiles. Elles sont presque toutes en Amérique.
Vanderbilt en possédait beaucoup. La première fois qu’il débarque à Paris il court chez Meissonier qui lui répond : « Allez chez Petit, arrangez-vous avec lui. » C’est ainsi que nous fîmes la connaissance de cet homme qui devint un de nos plus gros clients.
Vanderbilt en possédait beaucoup. La première fois qu’il débarque à Paris il court chez Meissonier qui lui répond : « Allez chez Petit, arrangez-vous avec lui. » C’est ainsi que nous fîmes la connaissance de cet homme qui devint un de nos plus gros clients.
— Les Meissonier ont beaucoup baissé.
— Beaucoup baissé, mais beaucoup remonté. Une belle toile peut encore atteindre deux cent mille francs ».
Sur « L’Angélus ».
« Monsieur Petit, avez-vous connu Millet ?
— Oui, et j’ai toujours été mêlé à la vente de son Angélus qui parut d’abord à la vente Wilson, où se trouvait aussi le beau Perronneau de la vente Doucet. Une contestation s’éleva à la vente même, entre Secrétan et Defoler qui, tous deux, prétendirent que L’Angélus leur avait été adjugé. Il avait atteint cent quatre-vingt mille francs. Un plus gros joueur que Defoler n’a peut-être jamais existé. Il proposa à Secrétan ce tirer le Millet au sort, ce qui fut accepté. On mit leurs noms dans un chapeau : j’étais là, un groom tira et Defoler gagna L’Angélus. Peu de temps après, il vient me trouver ; des amis l’ont traité d’imbécile et lui ont dit que jamais Secrétan n’avait eu l’intention de gagner ce tableau, qu’il a été roulé, que les deux bulletins portaient son nom. Je me précipite chez Secrétan qui me répond qu’il en donne deux cent mille francs. Il fit, ce jour-là, une belle affaire, car à sa vente, la toile fut adjugée huit cent mille francs au ministre des Beaux-Arts. Alors, nouvelle affaire, car le conseil des ministres n’approuve pas l’achat. Voilà un ministre diablement ennuyé et qui accourt me raconter la catastrophe. Je pars chez Alphonse de Rothschild, je lui explique la situation et il me répond : « Je ne tiens pas au tableau mais je le prends si cela doit vous tirer d’embarras ainsi que le ministre des Beaux-Arts. » Je retourne à mon magasin où je trouve un nommé Sutton, un Américain, qui avait traversé l’Atlantique pour acheter L’Angélus avec l’intention de l’exposer à travers tous les États-Unis. Il l’avait manqué à la vente et venait d’apprendre que le gouvernement n’en voulait pas. Je lui dis : « Vous arrivez trop tard, je viens de le vendre au baron Alphonse de Rothschild. » Sutton, placide, me répond : « Allez lui offrir huit cent cinquante mille francs. » Je retourne chez Alphonse qui m’autorise à disposer du tableau. Le voilà donc vendu à Sutton qui charge Brandus de la tournée. Les entrées rapportèrent deux cent mille dollars, la vente de la gravure, dix mille dollars, et quand Sutton en eut tiré tout ce qu’il pouvait, il me chargea de le revendre. Chauchard m’en donna un million de francs. »
Defoler.
« Parlez-moi de lui, monsieur Georges Petit.
— Un joueur effréné, je vous le répète. Il jouait au billard à mille francs le point. Il était parvenu à gagner au jeu quatre millions et demi. Effréné, et cependant, un jour, il jura de ne plus jouer s’il perdait cinq mille francs. Le plus curieux, c’est qu’il tint parole. Il se levait très tard, j’allais chez lui le matin avec mes tableaux, je les plaçais droit au bout de son lit et il me disait, par exemple : « Combien ce Corot ? – Cent vingt mille francs. – Cent vingt mille francs, je dois les avoir dans un tiroir, mais je ne sais pas dans lequel, cherchez donc, Petit, dans le secrétaire, comptez et emportez. »
Secrétan*.
Maintenant, j’interroge Petit sur cet autre grand amateur et voici ce qu’il me raconte : « Secrétan n’aimait pas les tableaux. Un jour, il vient déjeuner chez moi et il trouve mon intérieur très joli. Il est vrai que j’avais formé pour mon plaisir une collection de beaux meubles, et de charmants objets d’art. Il me demande combien le tout m’a coûté. Je lui réponds : « Environ sept cent mille francs – Combien me vendriez-vous cette collection ? – Huit cent mille francs – Je vous l’achète. » Je gagnai cinq cent mille francs et ce fut le fond de sa collection. Son fameux Pajou en venait. Je ne fus pas toujours aussi heureux. Un jour, je termine avec lui une affaire de treize cent mille francs, et il me dit : « Venez mercredi prochain à 2 heures, « j’ai vendu des immeubles, j’aurai votre argent. » – Vous pouvez penser si je fus exact au rendez-vous, mais Secrétan était fort silencieux. Il avait devant lui des liasses et des liasses, il comptait les billets un à un, et, de seconde en seconde, il s’impatientait davantage, et quand il eut fini, il me dit : «Tout cet argent, je me rends compte. Petit, je suis fou, je n’achèterai plus. » Et le plus curieux fut qu’il tint parole.
J’interroge encore Petit, mais il est fatigué et se contente de dire : «Corot, un poète ; Daubigny, un bourgeois. Mais tous ces gens, une élite. Ils se moquaient de l’argent. Il n’y a aujourd’hui comme seuls peintres intéressants, intelligents, grands esprits, mon Dieu, que Le Sidaner, Besnard et Ménard.»
Georges Petit est trop vieux ; il se trompe.
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Note de l'auteure
* Pierre-Eugène Secrétan appelé couramment Eugène Secrétan, industriel, né à Saulx en 1836, décédé en 1899, innovateur de l'industrie du cuivre et créateur de l'usine d'électrométallurgie de Dives-sur-Mer.
D'origine modeste, son père était chef-cantonnier, il était autodidacte. Doué des qualités de technicien et à force d'un travail acharné, il devient un des spécialistes français du traitement des métaux non ferreux.
La fin du Second Empire le trouve à la tête de la "Société industriel et commerciale des métaux", comprenant six sociétés et plus de 3 000 employés. ... Attiré par la spéculation, Secrétan commence à se faire la main sur l'étain et sur le plomb dans le quatrième trimestre de l'année 1886. ... À la suite des plus importantes spéculations financières de toute l'histoire de la production de cuivre, il fait faillite en 1889.
Complètement ruiné, il arrive à convaincre l'ingénieur britannique de Leeds, Elmore, qui vient de mettre au point un nouveau procédé de fabrication de tubes en cuivre par électrolyse, de lui confier en France l'exploitation de son brevet.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
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