mardi 25 août 2015

4e Carnet - 17 février 1919

17 février. – Chez Mme Otto Kahn.

C’est une grande fatigue d’écrire ici et j’ai besoin de beaucoup de courage. Ainsi, je sors d’un magnifique hôtel particulier nouvellement construit, Renaissance italienne ; architecte : un Écossais de beaucoup de talent, Steinhouse ; de superbes tableaux et objets d’art, et cependant rien ne m’inspire. C’est pourtant la plus belle maison aujourd’hui à New York, mais un ennui mortel tombe de ces pierres que ne peut animer Mme Otto Kahn, encore jolie et qui est intelligente et pleine de goût.

Adelaïde Wolf Kahn

Oui, elle a de beaux objets, mais elle les possède sans qu’ils lui appartiennent parce qu’elle ne sait rien de leur histoire et ne soupçonne pas leur passé. Elle les aime comme on aime les enfants des autres, sans le serrement au cœur. Les objets d’art le lui rendent bien. Ils restent plantés là comme des réverbères qui ne s’allument jamais.

Otto Hermann Kahn

Son mari avait commencé par acheter des tableaux français du XVIIIe et avait débuté par un faux Nattier, ou plutôt une belle copie ancienne dont l’original est à Stockholm. Il l’a cru vrai parce que reproduit – et même en couleur – dans le livre de Nolhac. Ils l’ont encore et le garderont toujours*. Ils avaient ensuite acquis deux Pater, une tapisserie de Boucher : La Halte de chasse, mais la femme pousse le mari vers les Hollandais, puis vers les primitifs. Elle avait alors une influence sur lui ; ils étaient mariés depuis peu et elle possédait une immense fortune.

de gauche à droite : Jane Sanford, Otto Kahn, Margaret "Nin" Kahn Ryan, Betty Bonstetton, assis : Nancy Yuille avec Maurice Fatio. Source Otto Kahn's Palm Beach

Otto Kahn était arrivé de Francfort presque en émigrant et était entré comme tout petit employé dans une grande banque, s’y faisait remarquer par une si réelle valeur, épousait la fille d’un des associés qui, en mourant, laissait une fortune de seize millions de dollars à ses deux filles ; Mme Otto Kahn héritait bientôt toute la fortune par la mort de sa sœur.
Avec tant d’argent à sa disposition, Otto Kahn décida de forcer la porte des « Quatre Cents », travail de géant dans cette société férocement antisémite. Il fonça dans l’antre. L’antre, c’est toujours l’Opéra. Pour en obtenir le contrôle, il en acheta les actions, durement et richement tenues.

Photos du site Otto Kahr House
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Note de l'auteure du blog

(1) Otto H. Kahn House était la résidence new yorkaise d'Otto H. Kahn , un financier et philanthrope allemand. Le manoir est situé au 1 East 91st Street, dans le Carnegie Hill, section de l'Upper East Side .
Kahn, associé principal à la banque d'investissement Kuhn, Loeb and Co., a commandé aux architectes J. Armstrong Stenhouse et CPH Gilbert une maison dans le style néo-renaissance italien. Le manoir a été conçu en s'inspirant du Palais de la Chancellerie pontificale dans Rome. Il a fallu quatre ans pour construire cette demeire qui a 80 chambres, en plus de logements pour 40 fonctionnaires, ce qui en fait l'une des maisons privées les plus grandes et les plus belles d'Amérique. Le manoir comprend une cour intérieure, un jardin et une allée privée, ainsi que d'une bibliothèque lambrissée de chêne et une salle de réception spacieuse. Lors de son inauguration, l' Architectural Review a loué cette maison comme «un exemple remarquable de réajustement bien équilibré dans ces éléments esthétiques que l'on retrouve dans l'architecture du début du XVIe siècle en Italie" et a jugé que J. Armstrong Stenhouse avait "réalisé une œuvre qui se classe comme le premier de son genre dans ce pays. "
Kahn abritait une vaste collection d'art à l'intérieur de la maison, tapisseries, lustres en verre, des tableaux de valeur par Botticelli...
Après la mort de Kahn en 1934, la maison a été vendue au Couvent du Sacré-Cœur , une école catholique pour filles privée. En 1974, Otto H. Kahn House a été déclaré monument protégé par la New York Monuments Commission.


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Note de Gimpel

1. Plus tard, il le laissa pour très peu d’argent à un petit marchand qui le vendit à M. Bayer, de New York, qui le donna dans un échange à Wildenstein. (Note de 1931.)

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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