samedi 1 août 2015

4ème Carnet - 18 janvier 1919

18 janvier. – Date historique.

20 janvier 1919, le banquet Wilson : l'ouverture de la conférence de la paix au Quai d'Orsay
Source Le Sénat  

Aujourd’hui s’ouvre au ministère des Affaires étrangères la Conférence de la paix, d’où sortiront les prochaines guerres.

Chez Barthou. *


Feuilles hugoliennes


8 heures du matin. Il m’attend, il veut me vendre pour dix mille francs deux carnets de Victor Hugo, son journal. Le salon n’est pas fait, j’entre dans la salle à manger où, malgré les deux fenêtres, l’obscurité est grande ; des verdures noires, mortuaires, en tapissent les murs. Aucune salle à manger ne peut être aussi petit bourgeois. La table est recouverte d’une affreuse soie bariolée, de l’arabe de Ménilmontant. Un lustre en cuivre pauvre avec des spirales intestinales. Le long des murs, des chaises pressées les unes contre les autres, comme des stalles, du gothique mont-martrois. Un buffet de paysan enrichi. Des étagères avec des étains, des chinoiseries, des porcelaines, des lots à gagner à la foire.


Une tenture se soulève. Une main apparaît. Elle me tire car j’ai avancé la mienne ; elle m’a happé avec violence et m’a jeté dans un cabinet où je me trouve face à face avec Barthou, affectueux par métier et pressé par tempérament. Il ressemble à Zola. Il est myope, son pince-nez roule sur son nez court et volontaire, sa petite barbe, du crin aplati de vieux matelas, est en pointe et commence à grisonner. Notre ministre et ancien président du conseil veut vendre et entre aussitôt dans le sujet. Il parle beaucoup, sans arrêt, c’est le camelot des boulevards. Pas de pudeur. Il est trop fougueux avec moi qui connais le commerce. Il cherche à annihiler la volonté de l’acheteur et, pour l’obliger à dire oui, le pousse et le colle dans un coin comme au poteau. C’est amusant de lui échapper.
Je voudrais parler littérature avec l’écrivain, avec l’académicien. Impossible. Il est trop désireux de vendre.
Je demande à Barthou quelques prix pour ses manuscrits : les épreuves corrigées de Monsieur Bergeret et celles de l'Anneau d’Améthyste. Chacune mille francs. Les Désirs de Jean Servien : sept mille. La Porte d’ivoire de Flaubert : six mille.
Le More de Venise : dix mille. Servitude et Grandeur militaires : vingt mille. Je me retire en lui disant qu’il faut que j’arrive à New York pour savoir si j’aurai de l’argent. Comme appât, Barthou me donne une petite étude sur Lamartine, avec une dédicace. Je l’en remercie et il me répond : « Ce n’est rien, ça vaut trois louis. » Je lui ai tendu la main, et en me la serrant il me pousse dehors comme un homme pressé par tempérament et affectueux par métier.

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Note de l'auteure du blog

* Jean Louis Barthou dit Louis Barthou, né le 25 août 1862 à Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées) et mort le 9 octobre 1934 à Marseille, est un avocat et homme politique français.
Louis Barthou est issu d'un milieu modeste mais aisé, son père étant quincaillier à Oloron-Sainte-Marie - qui selon Georges Clemenceau inventa un tire-bouchon - puis à Pau, dans le Béarn. Il poursuit des études de droit à la faculté de Bordeaux avant de partir à Paris, où il obtient son doctorat au cours de l’année 1886. Revenu dans ses Pyrénées natales, il devient avocat, inscrit au barreau de Pau, puis secrétaire de la Conférence des Avocats.
Il est attiré très tôt par deux passions : la politique et le journalisme. Il embrasse donc les deux carrières, devenant député et journaliste. Tout en étant rédacteur en chef de l'Indépendant des Basses-Pyrénées, il adhère aux Républicains Modérés avant de se faire élire en 1889, à l'âge de 27 ans, député des Basses-Pyrénées. Il sera réélu sans interruption à ce poste jusqu'aux législatives de 1919 et il quittera en 1922 la Chambre des députés pour le Sénat. Il commence à fréquenter à la fin du siècle le salon de Madame Arman de Caillavet, l'égérie d'Anatole France, et héritera du surnom peu flatteur de Bar toutou.
En 1894, à l'âge précoce de trente-deux ans, il obtient son premier portefeuille comme ministre des Travaux publics. Il est ensuite successivement ministre de l'Intérieur en 1896, de nouveau ministre des Travaux publics de 1906 à 1909, puis Garde des Sceaux de 1909 à 1913. Louis Barthou est devenu l'un des grands notables de la IIIe République.
Le 22 mars 1913, sous la présidence de Raymond Poincaré (18 février 1913 – 18 février 1920), il devient Président du Conseil, poste qu’il gardera jusqu’au 2 décembre 1913. Conscient de la montée des périls (crise d'Agadir de 1911, etc.) et avec l'appui du président de la République Poincaré, il reprend le projet de son prédécesseur, Briand, visant à augmenter la durée du service militaire: la loi des trois ans est votée par la Chambre en juillet 1913, malgré l'opposition de la SFIO et d'une bonne partie des radicaux. Mais plusieurs événements tragiques vont entraîner son retrait de la scène politique, retrait toutefois temporaire. En un très court laps de temps, il subit durement la victoire de la gauche aux élections législatives de 1914 malgré la constitution d'une dynamique Fédération des gauches, puis la déclaration de guerre et enfin la perte au front de son fils, quelques mois plus tard. Il retrouve cependant en 1917 une place de premier plan en récupérant le ministère des Affaires étrangères. Tout au long des années 1920, il continue d'occuper des ministères importants, comme ceux de la Guerre et de la Justice de 1926 à 1929, dans des gouvernements de coalition républicaine.
Source Wikipedia

** Feuilles hugoliennes :
Organisée au château de Miromesnil, lieu de naissance probable de l’écrivain Guy de Maupassant, la vente mettait en exergue un autre écrivain du XIXe siècle, Victor Hugo. Indiqué autour de 5 500 €, un agenda relatif aux mois de juillet et d’août 1834, inséré dans une boîte-étui, doublait les estimations. Adjugé 12 000 €, cet émouvant document comprend cinq notes : les lettres d’amour prises sur le vif au milieu de la nuit et adressées à la maîtresse de l’écrivain, l’exquise Juliette Drouot : "Ta joie est ma joie. que m’importe que la vie soit sombre pour moi, pourvu que ton beau visage rayonne…" Quant à notre carnet de poche, enrichi de nombreuses photos et de cartes de visite, il aurait appartenu à Louis Barthou, avocat, journaliste et homme politique. Inédit, il dévoile Victor Hugo sous divers aspects : l’écrivain, l’homme et l’exilé. De nombreux comptes entremêlés aux notes illustrent la grande générosité d’Hugo envers les miséreux de Guernesey. Notre homme prie encore face au sort malheureux des filles pauvres, obligées dès 16 ans à se prostituer. Républicain engagé, Victor Hugo se révolte contre le destin des communards condamnés ; il s’indigne ainsi de leur sort, les qualifiant de "forçats à perpétuité !". Concernant ses travaux d’écriture, l’écrivain reprend son habitude pour L’Homme qui rit de "marquer chaque jour par une barre dans la marge du manuscrit à l’endroit où j’interromps mon travail de la journée". Suscitant la convoitise des musées, des amateurs et du négoce international, notre carnet gagne finalement la collection d’un client français au double des estimations.
Source Gazette Drouot **

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

1 commentaire:

  1. Bonjour, puis-je savoir d'où vous reproduisez la photo des "pages hugoliennes" ? merci

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