16 février. – Dans l’atelier de Paul Thévenaz (1).
Mlle Glaenzer, qui me conduit chez lui, me dit : « Vous allez voir un homme beau comme un dieu. » Son dieu est petit, des cheveux noirs et arabes, une peau d’un jaune un peu foncé, du papier d’emballage de bonne qualité, des yeux marron, trop marron mais vifs, et le nez sinueux qui donne de l’imprévu à son visage. Certainement je l’aurais trouvé mieux si je ne m’étais pas attendu à voir un dieu… mais le dieu d’une femme est si loin du dieu d’un homme !
Son atelier est une pièce longue, étroite et comme blanchie à la chaux ; la cheminée monte au plafond ; un bureau américain, deux fau-teuils anglais confortables. C’est tout. Il travaille à plat sur deux planches en bois. Il me montre plusieurs aquarelles dont le portrait de Mme de Noailles. La meilleure de ses figures est celle de Rodier qui, me dit Thévenaz, est pleine d’esprit.
Nous parlons cubisme et Thévenaz m’apprend que les cubistes ne l’ont pas reconnu ; il se moque un peu de ses confrères et me raconte que l’un d’eux, en peignant le portrait de sa fiancée, était arrivé à faire un triangle et prétendait expliquer longuement cette transformation ; mais, un jour, un de ses amis lui dit, très vite : « J’ai compris. » Notre cubiste en est tout le premier étonné et demande à son tour des explications ; son ami répond : « C’est bien simple, vous faites poser un triangle et vous aurez le portrait de votre fiancée. »
A mon tour de raconter la réflexion de Forain qui, sortant du Salon d’automne, s’écrie : « Ils mettent des pavés de bois dans le crépuscule. »
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Note de l'auteure du blog
(1) Paul Thévenaz, 1891-1921, peintre et professeur de gymnastique rythmique, fut l'ami de Cocteau. Il semble (source) qu'il soit mort (très jeune à 30 ans) d'une péritonite consécutive à une rupture d'appendicite et non, comme on a pu le prétendre à l'époque, d'un suicide.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
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