samedi 29 août 2015

4e Carnet - 28 février 1919

Henry Caro-Delvaille (French, 1876-1928), "Elégantes au bord de la mer" 

28 février. – À dîner chez Caro-Delvaille.
Il me dit : « J’aime la fresque avec enthousiasme, c’est une détente et une gymnastique, l’art des tons à plat et des tons justes à mettre vite, l’erreur non permise, les pots de colle que l’on vous passe en vitesse par derrière. La chair, criez-vous, puis l’ambre… là, en succession. C’est un métier noble. Ah ! pourquoi Puvis de Chavannes a-t-il peint sur toile ! La fresque lui aurait donné le relief et l’éternité. »



Caro parle des fresques qu’il a faites pour Rostand à Cambo. « Je l’aimais beaucoup », nous dit-il. « En société, il prenait des allures de pantin et, au fond, dans l’intimité, il était très bonhomme et très loin du poète mondain qui, dans les salons, disait avec fatuité : « Moi, l’argent, je sais le dépenser. » Maintenant chaque convive parle du fils de Rostand.

Edmond Rostand et sa villa l'Arnaga

Caro-Delvaille raconte une aventure dont on a beaucoup parlé un été à Cambo : à côté, dans un petit village, avait été fondé un club de tennis pour jeunes gens et jeunes filles, mais une petite demi-mondaine, installée et perdue dans ces montagnes, en franchit un jour innocemment la porte et on la chassa comme une chienne. Maurice Rostand, indigné de cette grossièreté – il avait quatorze ans – se précipite vers elle, lui offre son bras, sort avec elle et une fois sur la route la salue et se retire. Le lendemain, il passait par le village avec son cadet lorsqu’une domestique vient vers lui et, lui désignant une maison, juste en face, lui dit qu’une dame demande à lui parler. Maurice, surpris, s’y dirige assez tremblant et trouve la petite dame de la veille qui lui sert une tasse de thé. Troublé, assis sur le coin d’une chaise, il avale d’un coup le breuvage amer et la quitte en coup de vent en lui criant : « Ma nounou m’attend ! » Il court chez sa mère, lui conte l’aventure et elle, défaillante, lui dit : « Mon pauvre petit, t’est-il arrivé quelque chose ? Dis-moi toute la vérité. » Et tandis qu’elle écrasait Maurice dans ses bras, une petite voix, celle du frère, s’élève : « Rassure-toi, maman, j’étais en bas, ils n’ont pas eu le temps. »


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Note de l'auteure du blog

(1) Aucune fresque n'est, sur le site de l'Arnaga, indiquée comme étant précisément de Caro-Delvaille. En fait, il semble qu'en 1905, Edmond Rostand lui ait confié la décoration de sa ville de Cambo, où le peintre réalisa des fresques avec G. La Touche : fresque que j'ai donc mises en illustration.

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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963

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