Nous sommes partis le 24. La mer est mauvaise. Durand-Ruel, ferme sur le pont. Je vais à lui. Son nom est tellement lié à l’art du XIXe que je trouve intéressant de l’interroger sur les origines de sa famille, et il me dit : « Le père de mon père était notaire avant la Révolution française ; elle le ruina et l’obligea à fuir. Revenu en France vers 1802, il s’installa papetier, puis vendit des pinceaux et des tubes de couleur, fréquenta les artistes qui venaient dans sa boutique, et c’est ainsi que nous sommes devenus marchands de tableaux. La maison, à peine née, a failli disparaître parce que mon père haïssait le commerce (1). Il avait préparé Saint-Cyr, avait été reçu au concours mais refusé à l’examen physique comme trop faible de poitrine. Il n’a jamais eu un rhume et il a aujourd’hui quatre-vingt-huit ans ! Alors il a continué le commerce de son père. Mais il fit de très mauvaises affaires en cherchant à faire triompher l’école 1830 à ses débuts, puis les impressionnistes. En 1886, il fut à deux doigts de la faillite, il devait cinq millions et partit pour l’Amérique où le succès fut bien long à venir. Nous ne sommes pas riches, nous n’avons jamais recherché l’argent, nous possédons seulement une collection qui vaut une certaine somme. »
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Note de l'auteure du blog
(1) Paul Durand-Ruel est le fils de Jean-Marie-Fortuné Durand et de Marie-Ferdinande Ruel, issue d'une famille riche et cultivée, et qui apporte dans sa dot un commerce de papeterie et articles divers (pinceaux, aquarelles, encadrements, chevalets).
Jean-Marie-Fortuné Durand, issu d'une famille de vignerons établis à Solers, est marchand de fournitures d'artistes avant de devenir marchand d'art. En mars 1849, son fils Paul passe son examen du baccalauréat et réussit le concours d'entrée de l'École militaire de Saint-Cyr, se destinant à une carrière militaire, mais une grave maladie l'obligea à renoncer à cette école et à rester avec ses parents pour les seconder. Fournissant des articles pour les artistes, ces derniers souvent désargentés lui laissent en garantie leurs tableaux. En 1865, il reprend les rênes de l'entreprise familiale qui représente notamment Corot et l'École de Barbizon. Au cours des années 1860 et aux débuts des années 1870, Paul se montre un défenseur brillant et un excellent marchand de cette école. Il se tisse rapidement un réseau de relations avec un groupe de peintres qui se feront connaître sous le nom d'impressionnistes.
Il épouse le 4 janvier 1862 Jeanne Marie Eva Lafon (1841-1871), fille d'un horloger de Périgueux et nièce du peintre Jacques-Émile Lafon, avec laquelle il aura cinq enfants, Joseph, Charles, Georges, Marie-Thérèse et Jeanne.
En 1867, Paul installe la galerie Durand-Ruel 16 rue Laffitte, rue des experts et des marchands de tableaux et qui va rester jusqu'à la Première Guerre mondiale un des centres du marché de l'art. En janvier 1869, il fonde La Revue Internationale de l'art et de la curiosité dont il confie la direction à Ernest Feydeau. Dès 1870, il reconnaît le potentiel artistique et commercial des impressionnistes. Sa première exposition d'importance se tient en 1872, toujours à Londres. Il organise ensuite des expositions impressionnistes dans ses galeries parisienne, londonienne et bruxelloises, et plus tard à New York.
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963
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