7 juillet. – Henry Goldman*, collectionneur.
Je n'ai trouvé qu'une photo du père d'Henry Goldman, Marcus. La description d'Henry par Gimpel monte qu'il ne l'appréciait guère et l'homme est, à cause de ses prises de position pro-allemandes (voir note*), laissé dans un prudent oubli.
Tête de haut fonctionnaire allemand. Ses lunettes : les lentilles prismatiques d’un phare. Un visage plein de graisse et de suffisance. Sa confiance en lui-même, le coup de poing sur la table. Ergoteur, fait rouler les r sur un ton rauque.
Nous reparlons des deux tableaux que je lui ai vendus : un Clouet et un Gentile da Fabriano.
Un portrait de François 1er du musée Condé, celui qui correspond au plus près à la description de Gimpel. Le Clouet de Goldman est sans doute actuellement dans une collection privée.
Le Clouet c’est le portrait de François Ier. Environ dix-huit centimètres de haut. On l’appelle : le Clouet de Toulouse. Il se trouvait dans un château des environs de cette ville.
Germain Bapst** m’a fait une étude de treize pages tirées à quinze exemplaires chez Frazier-Soye. Il le décrit de trois quarts, légèrement tourné vers la gauche, coiffé d’une sorte de béret orné d’un bijou de barrette et d’une plume blanche. Son justaucorps à plis est de couleur cramoisie et laisse en une sorte de crevé passer la chemise. Un manteau est jeté sur ses épaules, bordé de zibeline et garni de perles. La tête se détache sur un fond vert olive foncé.
Ensuite, Bapst dit avoir découvert comment ce tableau parvint à Toulouse. Le fameux camée, l’Apothéose d’Auguste, avait été donné par l’église de Saint-Séverin de Toulouse à François Ier et quelque temps après, en 1553 le roi fit don de son portrait au chapitre pour le remercier. Le camée, aujourd’hui se trouve à Vienne. Durant les troubles de la Ligue, il fut acheté par l’empereur d’Allemagne Rodolphe.
Ce tableau a été exécuté vers 1 530.
Le Gentile da Fabriano est un merveilleux tableau. Il avait appartenu à un Canadien anglais, M. Sartis, qui, étant venu se fixer a Paris, l’avait prêté au musée des Arts décoratifs où il était resté longtemps exposé, en compagnie de deux autres primitifs, dont un Lorenzo Monaco que j’ai vendu pendant la guerre au musée de Boston sur la recommandation de son conseiller d’alors, le peintre Walter Gay, qui a touché sa commission.
Le premier achat de Goldman fut un Rembrandt, le portrait d’un boucher, tableau qu’on appelle « Saint Matthieu » pour le vendre plus facilement. Il est mentionné dans Bode. Il le paya dans les cent vingt mille dollars. C’était le sujet à tenter un Boche : un Rembrandt, un homme qui tient un couteau ! Il trouve cela fort. Ce n’est pas une tête de saint, mais bien de boucher, pas d’étincelle, la bestialité. Rembrandt prend ses personnages dans le peuple, dans le bas peuple, il leur met dans les yeux toute sa philosophie. La qualité de cette peinture est excellente, mais c’est une toile vulgaire.
Goldman m’apprend qu’il a acheté pour deux mille dollars à la vente Hermann, le premier Rembrandt mentionné dans Bode et dans le Klassiker der Kunst. Hermann l’avait payé vingt-cinq mille dollars au marchand autrichien Kleinberger. Goldman vient de s’en débarrasser dans un échange avec les frères Ehrich, auxquels il a pris un Van Dyck, époque de Rubens, une vierge et un enfant, collection de Lord Hartington. « Je n’avais acheté ce Rembrandt, me dit-il, que pour l’étudier quelques mois. »
J’ai connu Mme Gimbel jeune fille, jolie, intelligente, intellectuelle, s’intéressant aux arts, à la littérature. Elle aime son mari qui ne possède aucune intellectualité. Le soir, j’ai dîné chez eux. Quand je la quitte, je la remercie et c’est elle qui m’exprime ses remerciements de façon débordante. Cette soirée fut pour elle comme une dernière lueur. Dans quelques années, l’enlisement sera total.
Pour la première fois et à travers tous les États-Unis, le gouvernement américain célèbre officiellement notre fête nationale. Douze mille personnes, ce soir, se pressaient au Madison Square Garden où toutes les places étaient louées depuis déjà longtemps.
L’homme qui obtint le plus gros succès, ce fut l’orateur Paderewsky, hier pianiste, aujourd’hui représentant officiel de la Pologne. Fini, il ne joue plus, il lutte, et comme il est beau ! Il est là sur l’estrade ; il est maigre, le damné et divin défenseur de sa patrie, en habit, les cheveux épars et superbe ! Il parle avec hardiesse et beauté dans une agitation continue et entraînante. En chantant notre fête de la liberté, il sait qu’il appelle pour son pays l’heure de la délivrance.
Les « Chine » de Morgan.
Extrait du catalogue de la collection Morgan, 1911
Joe a acheté la collection près de trois millions de dollars.
Retour.
Je m’embarque à bord de la Lorraine. Même cabine.
Vision du temps passé.
Les religieuses, de la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, servantes des pauvres, sont de celles que l'on rencontrait partout où il y avait malades et blessés à soigner ; reconnaissables à leur grande cornette, maintenant abandonnée pour une plus discrète. Ici, à l'hôtel Dieu de Valenciennes, en 1918.
La mer n’est pas très bonne. À l’extrémité du pont dorment des sœurs de charité. La tête rejetée en arrière, elles ne savent pas, elles, si discrètes, qu’elles laissent leur visage découvert et exposé à tous les regards. Il me semble, sans les chercher, avoir saisi sur leurs traits des traces du passé. La mer a contracté leur figure, la souffrance a l’air de les étreindre et je retrouve, ah ! mais de façon frappante, l’expression des vierges du XVIIe siècle, des vierges qui ont souffert des attaques contre leur foi. Je crois rêver de me trouver de façon si saisissante ramené en arrière et de constater comme une même vocation, une même pensée, font mêmes tous ces visages.
Deux cents soldats polonais. Quatre-vingts Slovaques. Soixante Italiens. Vingt-cinq Français. Soixante membres de l’Association des jeunes gens chrétiens, une vingtaine de Chevaliers de Colomb qui est l’association catholique, puis des Croix-Rouge en quantité. Des membres de toutes sortes de sociétés de charité, quelques commerçants, des policiers. En seconde classe, de riches Américains pressés d’arriver en France pour s’y dévouer ou y mourir, parqués quatre dans des cabines intérieures et puantes, des gens qui, en temps de paix, ne voyageraient pas sans cabines de luxe. Une telle réunion de tant de gens de cœur est unique. L’atmosphère est saturée de hautes âmes. On a l’idée de ce que pourra être un monde meilleur, et c’est là un monde meilleur. Moi, si solitaire durant mes traversées, si heureux tout seul avec mes livres, je sens le besoin de me mêler à cette foule et je le fais.
Le paquebot camouflé
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Notes de l'auteure du blog :
* Henry Goldman (21 Septembre, 1857 - 4 Avril 1937) était un banquier américain, fils de Marcus Goldman . Il a joué un rôle dans la décision du conglomérat financier Goldman Sachs au début du XXe siècle. Banquier innovant, il a servi avec un grand dévouement auprès du comité exécutif de l'automobile. En 1915, Goldman a exprimé publiquement son soutien pour les Allemands et a refusé de permettre à Goldman Sachs pour participer à une émission de 150 millions de dollars obligataire anglo-français organisé par JP Morgan. En 1917, après l'entrée en guerre de l'Amérique, Goldman a démissionné en tant que partenaire de Goldman Sachs pour incompatibilité d'opinion. Goldman est resté un fervent partisan de l'Allemagne jusqu'en 1933, quand, lors d'un voyage annuel à Berlin, il a été témoin de première main l'antisémitisme de plus en plus brutal et institutionnalisé qui commençait à prévoloir dans le pays. Goldman n'est jamais revenu à l'Allemagne. Jusqu'à sa mort en 1937, Goldman a travaillé pour aider allemande intellectuels juifs et les enfants réfugiés à immigrer aux États-Unis pour échapper aux nazis.
** Germain Bapst (Paris, 20 décembre 1853 - Paris, 9 décembre1921) est un érudit, bibliophile, collectionneur de souvenirs historiques français.
Germain Bapst fait ses études chez les jésuites. Il entre dans la maison plus que centenaire que son père Alfred Bapst, dernier joaillier de la couronne, dirige avec ses cousins Paul et Jules Bapst. Après la mort de son père en 1879, Germain s’associe avec Lucien Falize. Se rendant compte qu'il avait plus d'aptitudes pour les études historiques et artistiques que pour le commerce, il rompt avec son associé et lui abandonne la direction de la maison.
Il s'acquiert alors une notoriété particulière d'historien, de collectionneur, de bibliophile.
Membre de nombreuses sociétés savantes, il était également administrateur du Musée des Arts décoratifs, membre du Conseil de la Manufacture nationale de Sèvres. Il est envoyé de 1883 à 1886 en mission pour le compte du gouvernement en Orient. Il publie en 1886 les Souvenirs de deux missions au Caucase, Les fouilles sur la Grande chaîne en 1885 et Les fouilles de Siverskaia en 1887.
Là encore je n'ai trouvé qu'une photo de Jules Bapst, le cousin de Germain, joaillier lui aussi.
Ses études sont parfois relatives au rôle économique des bijoux, des métaux, à leur provenance, à leurs usages. Il possédait une collection restreinte, mais choisie, qu'il a léguée en partie au Musée du Louvre, au Musée des arts décoratifs de Paris et au Musée du Luxembourg.
Il est trois fois lauréat de l’Institut : Académie des inscriptions et belles lettres, prix Marcellin Guérin (prix de littérature) et Académie française, prix Thérouanne (prix annuel d’histoire).
Source Wikipedia
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Extrait de Journal d'un collectionneur de René Gimpel - Edition Calmann-Lévy 1963